Mardi 25 juin à 10 heures du matin sur les bords du Rio Grande, Óscar Ramírez et sa fille Valeria ont été retrouvés morts noyés et toujours enlacés. Ils n’ont pas réussi leur traversée, emportés par les courants sous les yeux de la mère Tania Vanessa Ávalos, hurlant à l’aide en les voyants partir dans les flots. L’image prise par Julia Le Duc, reporter pour La Jornada à Matamoros, fait penser à celle d’Alan Kurdi, l’enfant syrien de trois ans retrouvé mort sur une plage de Bodrum en septembre 2015. Julia Le Duc était sur les lieux au moment où les corps ont été retrouvés. Elle a raconté à la BBC Mundo les raisons du drame.
Cette photographie a fait le tour du monde et pour cause, elle montre les dangers quotidiens que rencontrent les personnes migrantes durant leurs parcours, les effets dramatiques du durcissement américain et la gestion inhumaine de la crise migratoire sur la frontière mexicaine. Le couple salvadorien de San Martin avait un revenu modeste mais rêvait d’une vie meilleure aux Etats-Unis. Arrivés au Mexique ils ont obtenu un visa humanitaire mais ils ont réalisé que la procédure de demande d’asile prendraient des mois et qu’ils devraient attendre dans des conditions insoutenables. Ignorant les mises en garde sur les dangers d’une traversée à la nage, la malchance les a rattrapés.
Dimanche 23 juin en fin d’après-midi Óscar Ramírez et son épouse Vanessa décident de traverser à la nage le Rio Grande avec leur fille Valeria de 23 mois. La traversée commence bien. Le père a placé l’enfant dans son T-shirt pour aider la petite à s’agripper. Malgré les courants importants, ils réussissent la traversée. Il la dépose sur le rivage Texan puis il retourne à la nage pour aider sa femme. Mais la petite suit son père et elle est rapidement emportée par les courants. Il doit revenir vers elle pour la sauver. Il l’a retrouve dans les flots, parvient à la mettre à nouveau dans son T-shirt, puis ils disparaissent. La recherche est lancée mais interrompue car la nuit tombe. Ils sont retrouvés le mardi matin. Deux corps flottants, inanimés et encore enlacés.
Les explications de Julia Le Duc à la BBC
“Ce qui s’est passé ici, prêt du “Nouveau pont” (Gateway International Bridge), est qu’il y a eu des alertes rouges sur les conditions de vie des migrants d’Amérique centrale, d’Afrique et de Cuba. Des conditions déplorables sans aucune aide officielle. Il y a eu des groupes de citoyens qui se sont organisés pour leur fournir de l’eau parce qu’il y a des gens qui arrivent avec rien après avoir parcouru tout le Mexique. Nous avons signalé que ces personnes n’ont nulle part où dormir dans les camps. Il n’ y a pas de toilettes, ils se lavent dans la rivière, les enfants aussi. Cela dure depuis des mois mais personne n’a rien fait. Maintenant les gens verront ce qui se passe à Matamoros. La crise dure depuis des mois. J’espère que cette photographie incitera quelques uns à agir et nous n’aurons pas à continuer de photographier des corps de migrants morts dans la rivière. Cette actualité s’est propagée rapidement sur le net. Elle agit comme un appel à la conscience des gouvernements qui doivent comprendre que les migrants continuent de venir et mourront à la frontière parce que personne ne fait attention à eux.”
“C’était dimanche après-midi quand la police a été alertée parce qu’une femme criait au bord de la rivière (Rio Grande) et elle était dans un état terrible. Quand la police et nous sommes arrivés, elle nous a expliqué ce qui est arrivé. La police a commencé sa recherche qui a été suspendue quand la nuit est tombée parce que c’est une zone dangereuse où il y a des animaux la nuit. Ensuite ils ont continué la recherche mardi et ils ont trouvé les corps vers 10 heures. Ceux qui étaient sur place, les journalistes et les policiers étaient étonnés de voir que les corps sortaient de l’eau enlacés. Il y a d’autres familles avec des enfants dans les camps qui attendent l’occasion de déposer une demande d’asile et il y a des familles désespérées qui vivent dans de terribles conditions à des températures extrêmes, ils ont faim, soif. Ils dorment dehors dans des conditions inhumaines, ils ne sont pas des criminels, ce sont des migrants en transit.” (2)
Les réactions
Le Vatican a rapidement réagit au drame. Dans un message le Pape François s’est dit profondément attristé par la mort d’Óscar Ramírez et Valeria. Ce drame a aussi secoué les salvadoriens. Le Président Nayib Bukele a déclaré que le Salvador était principalement responsable de ce drame et que le gouvernement devait prendre des mesures concrètes pour éviter la fuite de sa population. Le gouvernement a promis de payer pour le rapatriement des corps et de soutenir financièrement la famille. Il a aussi lancé des appels pour éviter les départs et les traversées du Rio Grande ou du désert. Bien que le nombre de victimes à la frontière est en baisse depuis 2016, les conditions humanitaires restent extrêmement préoccupantes.
Plus tôt ce mois-ci, le Mexique a conclu un accord avec le Président Donald Trump pour tenter de contenir le flux de migrants. Depuis, le nombre de déportations et de détentions de migrants sans papiers aurait augmenté. Les démocrates à la Chambre des représentants des États-Unis ont de leur côté approuvé une aide humanitaire de 4,5 milliards de dollars (3,5 milliards de livres sterling) à la frontière américano-mexicaine mais ce projet doit être avalisé par le Sénat contrôlé par les républicains.
(1) Julia Le Duc est reporter pour La Jornada in Matamoros, la ville Mexicaine juste de l’autre côté de la ville texane Brownsville que le Rio Grande sépare.
(2) Ce témoignage peut-être écouté sur le podcast de BBC World News du 28 juin 2019, traduction libre de Jasmine Caye
“Bien que le nombre de victimes à la frontière est en baisse depuis 2016”
“Le Président Nayib Bukele a déclaré que le Salvador était principalement responsable de ce drame”
Je n’ai rien à ajouter….sauf que je me demande bien qui a été élu en 2016 et permis par ses décisions “impopulaires” de sauver des vies.
Une baisse du nombre de morts ne signifie pas qu’une politique du refus soit bénéfique. Combien de migrants morts avant d’atteindre la frontière? Combien d’anonymes enlevés et exécutés par les cartels au Mexique? Combien de migrants forcés au retour sont morts dans leur pays d’origine? Et surtout, qu’en est-il des chiffres des toutes ces personnes aux vies traumatisées par cette tentative de fuir une vie misérable que ni vous ni moi n’avons eu et n’aurons le malheur de connaître. Violences, viols, séparations, faim, humiliations peuvent être pire que la mort parfois. Ces gens ne sont pas nés du bon côté de la barrière comme nous, c’est tout.
Heureusement à vous lire qu’il y a une barrière pour nous éviter de vivre les mêmes tragédies que vous décrivez…
Et, surtout, ne pensez-vous pas que si cette barrière était vraiment infranchissable, les personnes lutteraient pour leur avenir sur place (lutte pour la démocratie, pour l’égalité hommes-femmes-LGBT+, contre les tyrannies, contre les theocraties, contre la corruption, etc) comme nous le faisons ici.
Très sincèrement, je ne vois aucune raison qui expliquerait pourquoi les luttes qui ont mené à notre prospérité démocratique ne pourraient pas être menées là-bas, sauf à drainer leurs forces vives pour … travailler à l’indécente prospérité de nos supers riches ici.
Parfois, j’ai l’impression que nous revivons l’époque où les républicains étaient contre l’exploitation par l’esclavage de nos frères humains et les démocrates qui expliquaient qu’un esclave était mieux ici que là-bas et qu’il fallait continuer à les extraire de force de leur vie (beurk, comment les démocrates pouvaient dire cela et se regarder dans un miroir??)…