Forum de Davos: la contribution économique des réfugiés selon Mohammed Hassan Mohamud

Cette année Mohammed Hassan Mohamud est l’un des co-présidents du Forum économique mondial à Davos. Il vit depuis 20 ans dans l’immense camp de Kakuma au Kenya. Il s’est exprimé hier au Forum pour expliquer la nécessité pour les réfugiés de participer aux débats sur l’avenir de l’économie mondiale.

 

Ce qui l’empêche de dormir? Passer les 20 prochaines années dans un camp de réfugiés

 

“Est ce que mes frères et soeurs auront un foyer, un document, un sentiment d’appartenance, une identité? Les gens ne parlent pas de ce problème à un niveau global (…) Les gens préfèrent faire semblant que nous n’existons pas. Je ne demande pas beaucoup. Je demande l’égalité des chances. C’est-à-dire de me donner à moi aussi les outils et les compétences de m’épanouir et contribuer à la société.”

 

 

Pour Mohammed il est grand temps que les réfugiés soient considérés comme des partenaires des efforts de développement, plutôt que comme un fardeau pour la société.

 

 

La venue de Mohammed au Forum est l’occasion de parler de son parcours admirable et aussi d’évoquer le sort oublié de millions de réfugiés confinés souvent depuis des décennies dans des camps fermés. C’est le cas du camp de Kakuma établit en 1992 pour abriter les 20’000 «garçons perdus du Soudan» séparés de leur famille pendant le conflit et parcourant d’énormes distances pour trouver refuge. Fin novembre 2018, le camp de Kakuma et celui intégré de Kalobeyei comptaient plus de 186 000 réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés.

 

Trajectoire

 

Mohammed est né dans le sud de la Somalie, en pleine guerre civile. Après la mort de son père tué parce qu’il appartenait à un clan ethnique minoritaire, sa mère a emmené son fils de 1 an  au Kenya où ils ont été placés dans le camp de réfugiés d’Utanga, près de Mombasa. Après l’incendie du camp, la famille a été transférée à Kakuma où sa mère gagnait sa vie en cuisant et en vendant du pain et des légumes. Au cours de ses 20 années d’existence, Mohammed a vu Kakuma changer et grandir, passant d’un petit camp avec peu de monde à un camp surpeuplé qui offrait tout de même des opportunités.

 

Actuellement il supervise la sous-section Kakuma 1, représentant plus de 20 000 personnes de neuf nationalités différentes, situées dans la partie la plus ancienne et la plus peuplée du camp. Son rôle est d’y assurer le bon fonctionnement de tous les services, avec «des enseignants dans les salles de classe et de l’eau dans les robinets». En tant que président de zone, il rencontre le HCR et le gouvernement kenyan pour s’assurer qu’un soutien suffisant est fourni, mais il collabore également avec l’unité de consolidation de la paix de la Fédération luthérienne mondiale pour prévenir les conflits au sein du camp.

 

Nous avons besoin et nous pouvons participer au développement économique du monde

 

Dans les camps de réfugiés, les problèmes réels ne sont pas matériels mais souvent invisibles et d’ordre psychologique.

 

«Ce que je traite est principalement psychologique. Les gens deviennent fous parfois. Souvent, lorsque des personnes extérieures rencontrent des réfugiés, elles ne font que regarder la souffrance physique et le besoin physique. Cela se résout en faisant un don de nourriture ou en offrant un abri. Mais après 5, 10 ou 15 ans, les besoins changent. Il n’est plus question de faim, il s’agit de trouver une maison. Cela fait partie de l’identité. Vous restez ici pendant 20 ans, vous devenez dépendant de rations alimentaires. Avec le temps, l’estime de soi et votre dignité disparaît. Et puis, lentement, lentement, ces environnements deviennent vos paramètres par défaut et vous ne pouvez plus fonctionner ailleurs. Même si vous êtes installé ou rapatrié, il est difficile pour vous de vous intégrer à la société et de devenir utile, car vous avez été battu et c’est votre réglage par défaut: recevoir de la nourriture et rester en ligne.”

 

Le pouvoir de l’éducation

 

En avril 2017, sa mère est décédée d’une maladie cardiaque obligeant Mohammed à commencer ses études et à devenir un chef de file afin qu’il puisse façonner l’avenir de ses sept frères et sœurs.

 

Les universités ont installé des centres sur le camp et proposent des formations à distance. Mohammed étudie donc actuellement pour obtenir un “Bachelor of Arts” de l’université de Regis, basée à Denver, au Colorado. Pour lui l’accès à l’éducation est vital. Tout récemment il a reçu une bourse d’étude conditionnelle de l’université de Princeton.

 

Malheureusement il n’a pas réussi à obtenir les notes de SAT, dérouté par l’humiliation subie au centre d’examen de Nairobi parce qu’il n’avait pas de documents valables («j’avais ma carte de rationnement avec moi, je n’ai pas de passeport»). Pourtant son nom était bien sur la liste. Cette expérience ne l’a pas dissuadé de vouloir atteindre ses objectifs de terminer ses études et de retourner dans son pays d’origine en tant que dirigeant.

 

«J’aimerais retourner en Somalie et occuper une position de leader pour pouvoir servir mon peuple. Je pourrai devenir Premier ministre en Somalie. Qui sait?”

 

Vers un avenir durable

 

Cette année, le thème de Davos est la Mondialisation 4.0 et Mohammed est convaincu que les camps de réfugiés comme Kakuma peuvent jouer leur rôle dans la réalisation d’un avenir durable pour tous si et seulement si le monde développé repense son approche en utilisant et en s’enrichissant des idées des réfugiés. 

 

«Nous vivons dans un climat semi-aride. Dans le camp nous nous concentrons sur la mise en avant de sources alternatives d’énergie et de protection de l’environnement. Nous avons beaucoup de soleil ici. Nous avons tellement de poussière dans le vent. Nous nous demandons donc comment nous pouvons exploiter cette puissance des éléments et peut-être produire de l’énergie. Il est important que nous développions des idées durables fondées sur les intérêts mutuels, le respect mutuel et les droits de l’Homme.

 

 

 

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Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

3 réponses à “Forum de Davos: la contribution économique des réfugiés selon Mohammed Hassan Mohamud

  1. Et avez-vous une opinion sur le maintien des camps palestiniens dans les pays arabes?
    https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/refugiespalestiniensdpl2000

    Alors qu’ils devraient tous être elligibles à la citoyenneté dans leur pays d’accueil et à l’égalité des droits??

    Quant au gars qui explique qu’il est réfugié parce qu’il doit étudier à l’université pour s’occuper peut-être un jour de ses frères et soeurs… et qu’il veut être subventionné pour être un leader de demain … mais rate un test élémentaire comme le SAT à cause d’une fragilité psy…. franchement, j’ai plus de compassion pour le gilet jaune qui travaille aujourd’hui (et non dans quelques années) pour un salaire de misère afin d’aider par ses propres moyens sa famille, sans allocs et sans études supérieures….

    1. Madame,

      Merci pour le lien envoyé à propos des réfugiés palestiniens. Ils sont oubliés. Ils ne méritent pas non plus d’être confinés dans des camps.

      Le SAT n’est pas un test élémentaire, c’est un test exigeant. Les points demandés par Princeton pour le SAT est 1500/1600 au minimum. Les étudiants français et suisses des meilleurs écoles repassent souvent plusieurs fois cet examen et reçoivent des cours soutenus pour obtenir un bon score. Non je pense que la démarche de ce réfugié est très positive car cela montre qu’il cherche à avoir une autre vie, à sortir de ce camp, à construire son avenir.

      La comparaison avec les gilets jaunes est totalement inadéquate! Chaque parcours de vie est différent. Je ne pense pas qu’un gilet jaune aie envie de se retrouver 20 ans dans un camp de réfugié.

      1. Je crois que vous vous focalisez sur le terme “camp” alors qu’il s’agit d’espaces de vie où les résidents bénéficient généralement de meilleures conditions de vie que les habitants environnants (grâce à la générosité des pays occidentaux et arabes).

        Wikipeda pour le camp de kakuma :”Compared to the wider region, the Kakuma camp has better health facilities and a higher percentage of children in full-time education, which resulted in a general notion that the refugees were better off than the locals. ”

        Et si vous voulez critiquer, merci d’inviter:
        – le gouvernement kenyan à supprimer l’interdiction d’employer contre rémunération des réfugiés;
        – les ONGs à cesser d’offrir des formations universitaires à des MNA qui n’ont aucun débouché professionnel localement (sauf les trafics d’armes, d’humains, etc vu qu’il est interdit d’employer des réfugiés) et à privilégier des formations duales;
        – L’ONU à réaliser un audit pour voir ce qui fonctionne et arrêter de dépenser des millions dans des programmes qui conduisent des populations toujours plus importantes de ces camps à nous détester/haïr car ils ont cru aux rêves collportés par des personnes qui ne touchent pas le sol….

        Et je ne partage pas votre mépris du desespoir des gilets jaunes. Ils ont aussi faim, ils ont aussi peur pour leur avenir et souhaitent aussi une meilleure vie pour leurs enfants. Et ils se sont aussi réfugiés / été chassés (économiquement) en-dehors des villes ou vivent dans des villages pauvres… Pour les uns, on appelle cela être réfugiés (au mépris de la notion de persécution) et pour les autres, des personnes qui vivent en dessous des minimums vitaux. Ils partagent toutefois les mêmes réalités: ne pas pouvoir vivre dans les grandes villes et avoir peur pour leurs enfants. C’est le relativisme culturel qui conduit ensuite à avoir de la charité pour les premiers et du mépris de classe pour les autres…

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