Cesser la détention administrative de migrants mineurs: les cantons intelligents éviteront les disparitions

L’ « État des lieux de la détention administrative des migrant·e·s mineur·e·s en Suisse » vient d’être publié. Il révèle une utilisation peu efficace, peu pertinente et illégale de la détention administrative de migrants mineurs à des fins de renvoi.  

 

Le rapport se base sur les données statistiques encore trop brouillonnes et opaques des autorités cantonales et fédérales.  Il dénonce la pratique de plusieurs cantons qui ordonnent trop légèrement la mise en détention de migrants mineurs alors que des solutions alternatives efficaces existent. Ces alternatives avaient déjà été proposées dans un premier rapport en 2016.

 

Des dizaines d’enfants placés en détention avant leur renvoi

 

Concrètement, de 2015 à 2017, huit cantons ont pratiqué la détention administrative de migrants mineurs. Selon les statistiques fournies ce sont 83 migrants mineurs qui ont été placés en détention administrative dont des enfants de moins de 15 ans. Ce chiffre pourrait être supérieur. Les statistiques obtenues révèlent aussi un taux de détention particulièrement élevé en 2017 par rapport au nombre total de migrants mineurs non-accompagnés  dans un contexte de baisse générale des demandes d’asile en Suisse.

 

Contraire au droit suisse et au droit international

 

La détention administrative est une mesure de contrainte utilisée pour garantir l’exécution du renvoi de personnes étrangères dépourvues d’un droit de séjour. En résumé: la loi suisse autorise la détention administrative pour les 15 à 18 ans, sous certaines conditions mais l’interdit pour les moins de 15 ans même lorsqu’ils sont accompagnés d’un parent. En droit international, la détention administrative pour les enfants mineurs viole le devoir des Etats de protéger en tout temps l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3 de la Convention de l’ONU relative aux droits des enfants). Pour le Comité des droits de l’enfant de l’ONU et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’emprisonnement n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant (1).

 

Pratique des cantons très variable

 

L’attribution des migrants mineurs à l’un ou l’autre des cantons influence radicalement leur traitement. Alors que les cantons de Genève et Neuchâtel interdisent absolument la détention administrative de migrants mineurs, d’autres cantons essaient de ne pas l’appliquer par principe comme les cantons du Jura, Vaud et Bâle alors que beaucoup d’autres l’autorise comme les canton de Berne, Lucerne, Schaffhouse,  Valais et Zoug.

 

En juin 2018 la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) avait déjà dénoncé la pratique de certains cantons estimant qu’elle violait le droit suisse et le droit international. Ces critiques ont heureusement débouché sur des mesures d’urgence dans les cantons de Berne et de Zurich.

 

Détermination de l’âge problématique

 

La détermination de l’âge des jeunes est aussi problématique. Il arrive régulièrement que des requérants mineurs non-accompagnés soient considérés comme majeur. Dans le doute, précise le Tribunal administratif fédéral, les autorités doivent retenir la minorité afin que les migrants puissent bénéficier de la protection juridique applicable aux enfants. Terre de hommes et plusieurs ONG constatent en réalité que la pratique est souvent opposée.

 

Les objectifs de la détention administrative ne sont pas atteints

 

En outre l’objectif principal visé par la détention – l’exécution du renvoi – n’est de loin pas atteint. La crainte de la détention provoque la disparition des mineurs qui est  constatée lors du transfert du centre fédéral d’enregistrement vers le canton d’attribution.

 

Les statistiques disponibles montre un taux de disparition croissant en corrélation avec un taux de détention croissant. En 2015, sur 2’739 requérants mineurs non-accompagnés qui ont déposé une demande d’asile, 129 soit 4.7% ont disparu. En 2016, sur 1’999 requérants mineurs non-accompagnés qui ont déposé une demande d’asile, 400 soit 20% ont disparu. Le Rapport de la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) présenté en juin 2018 relève la même inquiétude.

 

Ivana Goretta, attachée de presse à Terre des hommes m’explique:

“Les jeunes mineurs non-accompagnés ont parcouru seuls des milliers de kilomètres pour arriver en Suisse, ils sont très indépendants.  Pour éviter l’enfermement ils choisissent la clandestinité, un quotidien beaucoup plus précaire et ils sont des proies faciles aux réseaux criminels.”

 

Développer et promouvoir la mise en œuvre de mesures alternatives à la détention

 

Ce sont les mesures les moins invasives que les cantons doivent appliquer en priorité surtout lorsque cela concerne une famille avec des enfants mineurs scolarisés. Ils doivent privilégier le placement dans des centres d’hébergement adaptés aux mineurs et aux familles, ouverts ou semi-ouverts mais en tous les cas non carcéraux. Des exemples montrent que cela fonctionne. L’autorité cantonale peut par exemple exigé d’une personne frappée d’une décision de renvoi de se présenter quotidiennement à ses bureaux. Elle peut aussi exiger de la famille ou du mineur non-accompagné qu’il ne quitte pas le territoire qui lui est assigné ou ne pénètre pas dans une région déterminée. C’est assez courant. Pour les requérants mineurs non-accompagnés le placement en famille ou dans des structures d’accueil adaptées petites et encadrées permet de ne pas les perdre.  

 

Effet positif du rapport

 

Le canton du Valais a été sensible aux recommandations de Terre des hommes et aimerait améliorer les choses a expliqué sur la RTS Frédéric Favre, conseiller d’Etat valaisan en charge de la Sécurité. Le Canton du Valais vient d’édicter une directive interdisant la détention de mineurs. La directive ressemble à celle toute récente du canton de Zurich. Le nombre de cas étant relativement modeste les cantons doivent justement pouvoir trouver des solutions alternatives.  Ces cantons rejoignent le canton de Genève et de Neuchâtel. Chaque canton devrait suivre le mouvement pour garantir une meilleure prise en charge des migrant mineurs en procédure de renvoi.

 

Améliorer le système de collecte de données

 

Enfin Terre des hommes insiste sur le besoin d’améliorer au niveau cantonal et fédéral le système de collecte des données sur les détention administratives des migrants mineurs accompagnés ou non. Il n’y a pas aujourd’hui de statistiques détaillées, fiables et facilement accessibles. Cette mesure est urgente et indispensable.

 

“La Suisse fait partie sur le plan européen de la moitié des pays qui ne disposent pas de données fiables, complètes et comparables. Il a été observé un manque de transparence sur les données statistiques, une irrégularité dans leur collecte ainsi que certaines contradictions dans les données obtenues. Cette lacune fait l’objet de la recommandation n°17 du Comité des droits de l’enfant adressée à la Suisse lors de son précédent examen périodique universel sur la situation des droits de l’enfant dans notre pays. Il est très inquiétant, alors que le problème est connu et dénoncé de longue date, de ne toujours pas pouvoir relever d’amélioration dans ce domaine : ni les autorités fédérales ni les autorités cantonales compétentes pour ordonner et respectivement exécuter la détention administrative de mineurs migrants ne disposent de statistiques fiables ou détaillées. De plus, les chiffres transmis par le SEM diffèrent très fortement de ceux fournis par les cantons. Terre des hommes exprime donc une fois de plus sa plus vive inquiétude, sachant l’impact qu’une telle situation peut avoir sur le destin des enfants concernés.”

 

Pour Terre des hommes, la Confédération a tendance à mettre la faute sur les cantons. En réalité c’est à elle que revient la tâche de haute surveillance de l’application des lois et des engagements internationaux.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

7 réponses à “Cesser la détention administrative de migrants mineurs: les cantons intelligents éviteront les disparitions

  1. Je suis d’accord avec le message (ne jamais prétendre que la détention administrative des mineurs est dans leur intérêt).
    Mais, chère Madame, pourquoi ne mentionnez-vous pas l’art. 37 let. b 2ème phrase de la CDE?, qui expose à quelles conditions la détention d’un mineur est possible? Et sur quel arrêt/sentance vous basez-vous, implicitement?, pour affirmer que cette disposition ne serait pas applicable et que les cantons alémaniques que vous citez “violeraient donc le droit international” ? Est-ce seulement votre avis et celui d’ONGs?

    1. Les conditions – et implications – de l’art.37 let b CDE sont passées rapidement en revue dans le rapport de Terre des hommes (cf. en particulier les chapitres 1.1 (pp. 34 à 36), 1.2.2. (pp.39 à 40) et 1.2.3.), en référence à la jurisprudence du TF, de la CrEDH et à la doctrine en la matière. Au regard notamment des notions de privation de liberté, de restriction de liberté, du droit et des droits. Remarque complémentaire: le droit international (dont l’instrument CDE) est élaboré par les états pour les états; ils ont ainsi gardé la compétence nationale pour ce qui relève des politiques migratoires. Au niveau de l’UE, les états membres ont créé un cadre légal régional (accords Dublin; Schengen) normalement en conformité avec les exigences de la CEDH et de son interprétation par le juge européen, cadre auquel la Suisse est associée dans une certaine mesure (justement Schengen et Dublin): et qui définit les conditions d’une rétention pour des motifs migratoires. Si la détention administrative (à distinguer donc de la détention pénale) n’est pas prohibée par certains pays, c’est le fait de la volonté du législateur . A souligner toutefois que ce qui est inscrit dans une loi et est donc légal, ne signifie pas ne pas être problématique au vu de certaines exigences de droit international et national. Le fait d’admettre la détention au titre d’une mesure de contrainte comme mesure de dernier ressort traduit surtout la volonté politique d’inscrire dans la loi cette mesure de contrainte plutôt qu’une autre. Or, d’autres mesures non privatives de liberté existent aussi pour garantir le renvoi ou l’expulsion : mesures aussi davantage respectueuses des droits humains et de la dignité humaine (cf. droit international). Les cantons visés ne sont pas spécifiquement les cantons alémaniques, le rapport de Terre des hommes décrit la situation en Suisse dans tous les cantons. Le débat sur la détention administrative soulève aussi d’autres questionnements. Dans l’objectif de trouver les meilleures solutions possibles en faveur de la protection des mineur-e-s.
      Concernant les arrêts du TAF ou du TF, il faudrait consulter les arrêts ou textes cités en référence en les recherchant dans la base de données respective.

      1. Chère Mme Darbellay, Merci pour votre intervention !
        Quelques remarques de détails, puisque je suis pointilleux 🙂
        – Schengen/Dublin sont des accords supranationaux (régionaux a un sens spécifique qui restreindrait leur portée);
        – la directive UE “retour” (en tant qu’acquis Schengen) règle la détention administrative (pas directement Schengen/Dublin). Remarque: vous parliez du droit international (donc de la CDE, pactes ONU, etc.), pas du droit européen (UE/accords bilatéraux);
        – je citais des cantons alémanique en raison du passage sur ce blog : “les canton de Berne, Lucerne, Schaffhouse,  Valais et Zoug.” et que le CE valaisan F. avait indiqué avoir modifié les directives internes suite à votre rapport (rts/forum);
        – j’aimerais bien recherché les références des arrêts TAF/TF sur le doute qui profiterait aux MNA mais vous ne donnez aucune référence (et, de mon côté, j’ai trouvé la jurisprudence inverse). Est-ce une erreur de votre rapport?, comme je le redoutais?

  2. “Dans le doute, précise le Tribunal administratif fédéral, les autorités doivent retenir la minorité …”

    J’ai cherché à vérifier… avez-vous un arrêt du TAF à citer à l’appui de votre affirmation? Je lis:”le requérant supporte le fardeau de la preuve [de sa minorité]”. Souce: arrêt TAF E-3848/2017 avec renvois à E-1928/2014, puis et JICRA 2004/30…

      1. Chère Madame,
        Merci beaucoup d’avoir pris du temps pour me répondre. J’ai parcouru avec intérêt vos liens.

        Est-ce que vous partagez mon opinion que vos liens relativisent un peu les conclusions de votre article? que nous pourrions résumer par cette conclusion : “Tdh arrive à la conclusion que si la détention administrative des enfants est légale en Suisse, elle n’est pas forcément légitime au regard des droits humains.” (je partage cette conclusion de TdH)

        Remarque: légitime n’étant pas ici un synonyme de “viole le droit international” ? (car l’art. 3 CDE est tempéré par l’art. 37 CDE, cité par TdH mais pas dans votre article 🙂 ).

        D’une part:

        Deuxième lien: “La Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant n’interdit pas expressément la détention d’enfants. Néanmoins, la base juridique en Suisse ainsi que la pratique cantonale soulèvent des questions de légalité.”

        Le comité contre la torture (cité dans votre deuxième lien) : “L’État partie devrait (Théo: il n’est pas écrit “doit”) mettre en place et appliquer des mesures alternatives à la détention administrative, n’utiliser la détention qu’en dernier recours, surtout en ce qui concerne les enfants non accompagnés et, lorsque la détention est nécessaire et proportionnée, pour une période aussi courte que possible. L’État devrait poursuivre ses efforts afin de prévoir des structures spécialisées dans tous les cantons pour accueillir desmigrants placés en détention administrative, avec un régime adapté à sa finalité.”

        D’autre part
        (premier lien) “À l’égard des enfants de plus de 15 ans, la détention, tout en étant conforme au droit des étrangers, n’est pas conforme au droit international des droits humains au vu des développements de la jurisprudence et de la doctrine”

        Critique: cette affirmation de TdH ne devrait-elle pas être moins péremptoire ?, vu la première partie ? 🙂

        Minorité – doute:
        Je n’ai trouvé que cela: “/…/ En ce qui concerne l’ évaluation de l’ âge, il serait souhaitable qu’en cas de doute, l’autorité retienne la minorité “(…) “En effet, nous avons vu qu’en cas de majorité présumée, la personne concernée ne bénéficiera pas de la protection juridique applicable aux enfants, raison pour laquelle il est extrêmement important qu’en cas de doute sur l’âge, les autorités responsables de l’enregistrement se conforment systé-matiquement à l’interprétation du TAF en privilégiant la minorité.[70]» (rapport TdH, p. 38).

        Remarque: j’ai l’impression qu’il s’agit d’un raccourci (mais je n’ai pas lu tout le rapport, donc je serais heureux de me tromper). Il me semble que TdH mentionne le souhait des auteures (FREHNER, Sarah, NUFER, Seraina) citées en note 68 et confond ce souhait avec la jurisprudence du TAF. Ainsi, alors que les auteures disent qu’il serait souhaitable qu’en cas de doute,… TdH affirme qu’il s’agit de “l’interprétation du TAF”. Mais je n’ai pas ce livre, donc c’est mon interprétation.

        N’y a-t-il donc pas eu un bug lors de la rédaction du rapport ?, vu que la jurisprudence constante du TAF (citée ce midi) dit le contraire ? bug qui vous a d’ailleurs induit en erreur ?

        Après examen de la jurisprudence du TAF, je peux résumer ma compréhension de leur jurisprudence de la manière suivante:
        1. le SEM a l’obligation de mettre en oeuvre d’office tous les moyens raisonnables et prévus par la loi pour déterminer l’âge d’un requérant d’asile qui se prétend mineur (remarque: je n’ai pas trouvé le moindre exemple d’un contrôle des organes génitaux cité par TdH. Cela me choquerait si c’était vrai);
        2. le requérant d’asile a l’obligation de collaborer et de produire tous les moyens de preuve à sa disposition (à commencer par son histoire de vie);
        3. Le TAF est relativement rigoureux dans l’examen, obligeant le SEM à rechercher véritablement si le requérant est mineur (pour lui assurer une protection adéquate). Vu la marge d’appréciation des examens osseux, pour prendre cet exemple, les requérants bénéficient d’un écart de 2 ans en leur faveur (s’ils disent 16 ans et l’examen dit + 18ans = reconnu mineur; s’ils disent 15 ans et l’examen dit + 18 ans = reconnu majeur). Cet écart est généreux, vu les travaux scientifiques actuels (https://www.intechopen.com/books/forensic-medicine-from-old-problems-to-new-challenges/forensic-age-estimation-in-unaccompanied-minors-and-young-living-adults);
        4. Si au terme de toutes les mesures, il existe toujours un doute, le requérant doit supporter ce doute et sa minorité sera niée.

        J’imagine qu’un comité de l’ONU ne partagera pas cette conclusion suisse un jour… mais en attendant, c’est la jurisprudence que j’ai trouvée et comprise de bonne foi.

  3. Bon article sur le sujet des mineurs non accompagnés:
    Europe: le tri aléatoire des mineurs étrangers isolés
    https://webspecial.tdg.ch/longform/mineurs-etrangers-isoles/europe-tri-tres-aleatoire-mineurs-etrangers-isoles/

    Et, bien sûr, la décision du Conseil constitutionnel français sur le sujet (confirmant la régularité des tests osseux):
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2018768QPC.htm

    Personnellement, je trouve dommage que je prenne la peine de citer de la jurisprudence, de motiver ma position dans un blog tenu par une juriste…. et que je n’obtiens aucune indication… sauf le silence.

Les commentaires sont clos.