La Suisse doit mieux répondre aux besoins des migrants vulnérables selon le Conseil de l’Europe

Dans un rapport de 40 pages dont la moitié concerne “les droits de l’homme des migrants, y compris des réfugiés et des demandeurs d’asile”, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, a présenté ses recommandations à la Suisse, suite à une visite en mai 2017.

Félicitant la Suisse pour la nouvelle Loi sur l’Asile (LAsi) qui vise à accélérer la procédure d’asile et  établir des mécanismes de conseil et de représentation juridique gratuits, il a insisté sur le maintien d’une qualité de service juridique aux requérants d’asile dès le début de la procédure sans quoi leurs droits fondamentaux ne seraient pas garantis. 

Un nouveau statut de protection subsidiaire doit remplacer l’admission provisoire

 

Le Commissaire aux droits de l’homme a fustigé non seulement la politique restrictive à l’égard des requérants d’asile syriens souvent déboutés de l’asile avec une admission provisoire mais aussi la politique endurcie vis-à-vis des requérants d’asile érythréens, injustifiée au vu de la situation critique des droits de l’homme en Erythrée.

Par ailleurs, il a encouragé les autorités suisses, qui envisagent actuellement une révision de l’admission provisoire (1), à mettre en place un statut de protection internationale subsidiaire. Ce nouveau statut donneraient les mêmes droits que ceux accordés aux réfugiés bénéficiant de l’asile. Selon lui: 

« Il n’est pas acceptable de placer durablement des personnes qui resteront très probablement à long terme en Suisse dans une situation difficile et précaire entravant leur intégration. C’est pour cela qu’il convient de lever les restrictions juridiques que ce statut impose à des personnes nécessitant une protection internationale, notamment en matière de mobilité géographique, de regroupement familial et d’aide sociale ».

Ses remarques vont d’ailleurs dans le sens des autorités suisses. Dans un récent rapport, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) estime que près de 90% des étrangers admis provisoirement restent durablement en Suisse (2). Comme ce statut s’accompagne d’importantes restrictions juridiques notamment en terme de mobilité géographique et d’accès au marché du travail, les personnes admises à titre provisoire mettent beaucoup de temps à trouver un emploi. Leur intégration professionnelle est aussi entravée par des dispositions administratives restrictives et par la méconnaissance de ce statut par les employeurs. 

Nils Muižnieks souligne en outre les conséquences dramatiques pour les familles séparées par la fuite. Celles-ci restent bien trop longtemps exclues du droit au regroupement familial puisque ce droit dépend, entre autre, de leur situation financière (indépendance de l’aide sociale).

 

Couvre-feu excessif et détention de mineurs sont pointés du doigt

 

Selon le Commissaire aux droits de l’homme, le couvre-feu instauré en semaine entre 17h00 et 9h00 dans les centres d’accueil est une restriction importante à la liberté de mouvement imposées aux demandeurs d’asile résidant dans ces centres. Dans son rapport, il rappelle les critiques de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) condamnant la privation partielle de la liberté des résidents. Il invite les autorités à considérer la demande de la Commission fédérale contre le racisme qui appelle à une révision du couvre-feu. Les autorités suisses disent poursuivre leurs réflexions en faveur d’un éventuel assouplissement dans le nouveau système de l’asile qui, dès 2019, étend la durée maximale du séjour dans les centres fédéraux à 140 jours au lieu de 90 jours actuellement.

 

La détention des mineurs même dans les zones de transit des aéroports doit être évitée autant que possible. Dans les zones de transit, les autorités d’asile peuvent retenir les familles avec enfants dans une zone fermée, durant une période de 60 jours ce qui représente une limitation excessive à la liberté de mouvement des requérants d’asile et contrevient à la Convention sur les droits de l’enfant selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant doit être respecter en tout temps. Le Commissaire a aussi recommandé la suppression de la détention administrative des enfants migrants de plus de 15 ans, malheureusement pratiquée dans certains  cantons. Par ailleurs il a recommandé aux autorités d’assurer l’unité familiale même en cas de tentative de renvoi.

 

Le rapport comporte d’autres recommandations sur la prise en compte des aspects liés au genre et aux enfants dans les décisions relatives à la migration, sur la méthode de détermination de l’âge des migrants employée par les autorités suisses pour déterminer s’ils ont moins de 18 ans et sur les  renvois dans le cadre de la procédure Dublin et les renvois forcés. Ces recommandations peuvent être consultés ici.

 

Monsieur Nils Muižnieks sera en Suisse le 21 novembre dans le cadre d’une Conférence sur le regroupement familial des réfugiés en Suisse organisée par le Centre Suisse pour la Défense des Droits des Migrants (CSDM) et le Bureau du HCR pour la Suisse et le Liechtenstein afin de présenter le rapport intitulé «Réaliser le droit au regroupement familial des réfugiés en Europe».

 

Lire aussi la réponse du Conseiller fédéral, Chef du Département fédéral des Affaires étrangères au rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

 

Lire aussi: La Suisse devrait renforcer son cadre de protection des droits de l’homme et mieux répondre aux besoins des migrants vulnérables

 

  1. Dans les cas où l’étranger a été débouté de sa demande d’asile, il doit en principe quitter le territoire suisse et fait donc l’objet d’une décision de renvoi. Toutefois, pour les étrangers qui ne peuvent pas être expulsés, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) émet une admission provisoire qui prend la forme d’un permis F.
  2. Voir: Conseil fédéral, Admission provisoire et personnes à protéger : analyse et possibilités d’action, Rapport, adopté le 12 octobre 2016.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.