La santé un business florissant : qui est assez fou de parler d’économie ?

Un système économique qui croit de 3% par an est le rêve de toutes entreprises. Le marché est florissant et crée des emplois. Pourquoi alors cette agitation à propos des coûts de la santé ? Contrairement à l’économie de marché, le principe régulateur de l’offre et de la demande ne fonctionne pas dans le domaine de la santé. La Suisse jouit d’un système de santé parmi les meilleurs au monde, mais nous payons beaucoup trop pour cela, et une refonte profonde est indispensable pour le préserver.

Cette explosion des coûts est dans tous les discours politiques et chacun semble avoir une recette miracle pour l’atténuer. Malheureusement ces mesures sont soit ponctuelles touchant l’un ou l’autre aspect du système soit elles déplacent des coûts sur un autre acteur : au final rien ne change si ce n’est la cosmétique du moment. Le « micro management » actuel est et restera sans effet durable, car les prémisses du système doivent être repensées et nouvellement définies. Aucun parti politique n’a de programme convaincant à ce sujet. Comment prendre au sérieux l’initiative socialiste ou PDC de bloquer les primes en fonction du salaire ? Ceci correspondrait soit à un rationnement pur et simple, soit à un déplacement des coûts qui seraient alors pris sur nos impôts. Les chiffres de l’Office Fédéral de la Statistique (NZZ 16.7.2019) montrent que pour 37% des Suisses les primes d’assurance maladie sont devenues un poste plus important que les impôts dans leur budget. Ainsi, le problème n’est clairement plus de nature politique mais bien de société, et la solution bien au-delà des convictions partisanes ou lobbyistes. La question n’est plus d’avoir plus de concurrence ou plus de centralisation, mais de repenser les principes de base du système de santé, en particulier de son financement. Mais comme société, nous devons revoir nos attentes et en fonction de celles-ci restructurer les services de santé.

Mis à part le citoyen payeurs de prime, la question cruciale est d’identifier qui d’autre a un intérêt dans le système actuel à faire des économies. La réponse est simple : absolument personne !

  • Les assureurs maladies adaptent « automatiquement » (avec la bénédiction de l’Office Fédéral de la Santé Publique) les primes en fonction de leurs dépenses de l’an précédent, et ainsi leurs chiffres d’affaire augmentent, ce qui réjouit les CEO de toute entreprise.
  • Les factures des hôpitaux sont payées à 45% par les assureurs maladie et 55% par les cantons. Les cantons auraient un intérêt certain à des économies, mais ils n’ont aucun moyen de le faire : ils payent les 55% de toutes les hospitalisations sans pouvoir exercer un contrôle sur celles-ci. L’initiative qui favorise l’ambulatoire au stationnaire pour une liste d’interventions chirurgicales est une tentative d’économie des cantons. Médicalement ceci peut se justifier dans un bon nombre de cas, mais la discussion actuelle porte sur le « déplacement » des coûts entre les assureurs et les cantons : si l’intervention est faite en ambulatoire, c’est l’assureur qui paie la facture ; si la même intervention est faite en hospitalier, l’assureur paie 45% et le canton 55%. Ainsi, la discussion porte d’abord sur le financement, et secondairement sur le bien-fondé du choix entre ambulatoire et hospitalier.
  • Les médecins en pratique privée sont payés à l’acte : plus ils font d’actes, plus leur chiffre d’affaire augmente. Le contrôle de l’adéquation des prestations médicales est en Suisse très lacunaire, entre autres parce que n’avons toujours pas de dossier électronique du patient (ce sera le sujet d’un prochain article). Dans cette logique si certaines prestations sont devenues meilleur marché, une augmentation de leurs nombres compensera la perte du chiffre d’affaire. Comme le contrôle est quasi inexistant, il est impossible de mesurer la surconsommation médicale. Le nouveau tarif TARDOC pourrait améliorer la situation, mais le principe de base du payement à l’acte reste donc rien ne change et il est vraisemblable que les coûts augmenteront parce que le problème de fond n’est pas considéré.

Nous comme citoyens ne pouvons qu’assister impuissants à cette situation. En fin d’année, nous avons le choix de changer d’assureur maladie, mais ceci ne changera rien au système. Nous pouvons aussi choisir un modèle « médecin de famille ou de télémédecine », mais ceci sert principalement aux assureurs pour sélectionner les bons risques. Ces déplacements momentanés ne vont aucunement assainir le système actuel qui est comme un carrousel qui s’est emballé dont on a perdu la pédale des freins. Un signe de ce fait est le nombre de personnes qui perçoivent une aide au payement des primes d’assurance maladie. En 2017, 2,2 millions de personnes ont bénéficié d’une réduction de prime (ce qui représente 26% de la population). Au total, les cantons et la confédération ont versé 4.5 milliards en 2017. Ces chiffres montrent clairement que le système est devenu inefficace.

 

 

Il est urgent de repenser le système très en profondeur, en particulier de dépasser les luttes intestines (par exemple entre les faîtières des assurances maladies – Curafutura et santésuisse) et les attitudes lobbyistes (par exemple les faîtières professionnelles). Le citoyen doit participer à cette refonte aussi bien en tant que citoyen qu’en tant que malade potentiel. Comme société évoluée, nous devons organiser un débat public de fond sur la question du système de santé. Un thème central serait de discuter et de choisir consciemment combien nous sommes prêts à dépenser pour notre santé : 12, 15, 20 % du produit national brut ? Actuellement, nous naviguons naïvement avec le rêve éveillé que la santé n’a pas de prix. Comme pour le thème du climat, nous serions nettement mieux servis comme société si nous élaborions des solutions viables pour le futur proche. Dans le débat actuel pour les élections fédérales d’octobre, les partis politiques pourraient dépasser leurs différents et ainsi organiser ce débat national. Ceci serait une vraie démonstration de courage politique et un respect pour la démocratie et le citoyen.

 

Question pour la semaine prochaine : la Suisse a-t-elle une pénurie ou une pléthore de médecins ?

Jan von Overbeck

Jan von Overbeck est né 1954. Il est médecin interniste avec une large expérience aussi bien clinique que de l’industrie, de l’administration et de la politique de santé helvétique. De 2014 à 2018, il a été médecin cantonal à Berne. En 2018, il a ouvert sa propre firme dans le domaine de la santé. Sa conviction profonde est que le système suisse, bien qu’en soi excellent, a besoin d’une réforme profonde.

2 réponses à “La santé un business florissant : qui est assez fou de parler d’économie ?

  1. Je suis d’accord avec le fait que jusqu’a maintenant , le problème ne fait que de se déplacer d’un acteur à l’autre ( tout en enflant ) . Tous les partenaires du système ne sont pas prêts à diminuer le prix des prestations et n’oublions pas que 8 milliards de réserves soit 6 de plus que le minimum exigé, sont dans les mains des assureurs !
    Alors oui, nous avons un super système de santé mais il s’agit surtout d’un gouffre à pognon avec lequel certains s’enrichissent pendant que d’autres coulent. A quoi bon se vanter d’un système qui brille d’un côté s’il crée un véritable enfer du côté ?
    Combien de malades n’ont pas accès aux soins 28% sauf erreur et combien s’endettent?
    N’oublions pas non plus que la santé est financée par les citoyens . Il est essentiel de remettre un peu d’équilibre et d’éthique dans tout ça.
    Notre santé n’est pas un business .
    Les pharmas vont plutôt bien, eux !

  2. Vous avez je crois très bien brossé le cadre général du problème. Les partis politiques et leurs comités, en fait, ne comprennent rien à la médecine.
    La présence de quelques médecins au sein des partis n’aide pas, car ils ont beaucoup de peine à se faire comprendre et souvent lassés finissent par abandonner, surtout déçus par la mentalité politicienne dominante (j’en ai connus).
    Il a fallu des années de palabres jusqu’a ce que les assureurs comprennent (enfin) l’enjeu et l’utilité pourtant indiscutable de la prévention (dépistage Ca colorectal, etc.), car non précisée dans la LAMal (juridisme étroit ?).
    L’assureur, en tant qu’entreprise privée dans une économie libérale, recherche son intérêt financier. Le soignant (physios, pharmaciens et dentistes inclus) indépendant ou en groupe, est dans une situation similaire et doit payer son personnel, ses charges, entretenir ou remplacer son matériel, se conformer aux normes. Il en est de même pour les hôpitaux et les cliniques.
    Le problème à résoudre est plus vaste et plus complexe que prévu, comme probablement avec le climat.
    Les bricolages proposés par certains partis, l’OFSP, la modulation discrète du prix des médicaments, ou même le comité de soi-disants experts du CF Berset, n’ont rien résolus, ou presque rien. Les primes continuent à augmenter à la satisfaction des assureurs, mais la bourse des citoyens payeurs et consommateurs se vident inexorablement.
    Comment résoudre cette équation devenue plus économique que médicale ? S’agissant de santé, faut il imaginer une solution « collective » raisonnée et pragmatique ? persévérer dans l’individualisme propre à notre économie actuelle ? imaginer une troisième voie ?
    De toute évidence, on ne pourra pas échapper à une concertation nationale de toutes les branches impliquées. Les politiques pourraient théoriquement initier cette vaste démarche inédite avec la FMH, l’association des patients, et le soutiens de la confédération. À discuter.
    Je me réjouis de lire la suite de vos blogs.

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