Autopsie d’un blog

 

 

Le blog « un esclavage en Suisse » a suscité à ce jour 1529 consultations par des lecteurs et 90 commentaires, 16 positifs pour approuver sa prise de position en faveur d’une condamnation des clients et 30  au contraire pour la réprouver et faire l’apologie de la prostitution. Mais surtout 20 commentaires hors sujet les uns mettant en cause l’UE, d’autres le terrorisme, d’autres l’enseignement, d’autres la conscription. Plus 27 répliques du blogueur lui-même.

Parmi les arguments positifs en faveur de la prostitution, on peut trouver un éloge du contact humain entre client et prostituée, bénéfique au point de vue psychologique. Aussi une curieuse assimilation entre conscription et prostitution : si l’Etat contraint des citoyens à un travail forcé dans l’armée ou la protection civile, il y a moins lieu de s’alarmer que des femmes soient contraintes de pratique un métier qu’elles n’ont pas choisi. Une très curieuse analogie entre la prostitution et l’enseignement où les enseignants ne seraient pas libres. Enfin l’argument décisif, susurré et insinué plus qu’affirmé, selon lequel Jésus de Nazareth aurait eu une relation avec Marie-Madeleine prostituée. Après ce dernier argument, on peut tirer l’échelle. C’est du grand n’importe quoi.

Or, l’objet du blog n’était pas du tout le procès ou l’apologie de la prostitution, mais la constatation que le parlement fédéral rejettaq à une écrasante majorité la possibilité de sanctionner les clients, comme si cette mesure ne servirait à rien, alors qu’elle est déjà appliquée effectivement dans sept pays de tradition libérale et démocratique.

Il n’est dès lors pas étonnant que les commentaires opposés au blog aient été deux fois plus nombreux que ceux qui le soutiennent. La prostitution est considérée comme « un mal nécessaire », pas tout à fait le pire de maux, parce que les victimes sont tout de même dans leur accablante majorité des étrangères, ce qui pernet d’affirmer qu’au lieu de s’en prendre aux clients,  « il n’y a qu’à » refuser à ces femmes un permis de travail, en revenant ainsi à la bonne vieille tradition de répression des victimes.

On voudra bien se souvenir de l’époque pas si lointaine où le tabagisme, la consommation de drogues, les excès de vitesse, la pollution industrielle, les additifs alimentaires, les décharges sauvages, la maltraitance des animaux, les violences conjugales, la pédophilie étaient toutes considérées comme des maux nécessaires par le profit qu’ils ramenaient à certain, malgré les dégâts causés à la vie des uns ou à l’équilibre mental d’autres. Sur tous ces problèmes, la société a avancé pat l’éducation, par l’information mais aussi par la répression. C’est devenu un mouvement d’ensemble des pays les plus civilisés, une marque d’éveil des consciences aux malheurs des plus déshérités, qui doivent être vraiment protégés en punissant les oppresseurs.

Ainsi en est-il de la prostitution. Si elle est prétendument nécessaire, utile voire indispensable à des mâles trop vigoureux, elle pénalise inévitablement les prostituées elles-mêmes. On peut malaisément soutenir la thèse selon laquelle la relation sexuelle pourrait être sans inconvénient majeur dissociée du rapport affectif, pour devenir un service comme un autre, une prestation que l’on acquiert légitimement en acquittant un prix, comme le service à table au restaurant,

Qui, parmi ces avocats de la prostitution, dans les commentaires ou au parlement, pourrait sereinement considérer que c’est une voie comme une autre sur laquelle pourrait ou devrait s’engager une femme avec laquelle il possède un lien de proximité, une mère, une sœur, une fille, une amie. C’est supportable tant que ce sont les autres, les étrangères, celles qui n’ont pas un passeport rouge, qui ne parlent même pas une langue nationale, qui n’ont pas d’attaches locales. Elles ne sont pas tout à fait identiques à des Suissesses. Elles sont durement exploitées parce que notre société d’abondance ne pourrait pas persister sans qu’il y ait quelque part des exploités de toute espèce. Pourvu qu’ils ne soient pas trop visibles. Pourvu qu’ils retournent chez eux en fin de carrière. Dans cette géhenne que sont les pays pauvres, corrompus, soumis à la violence. Dans cette décharge planétaire qui recueille nos déchets.

On dit souvent que la prostitution est le plus vieux métier du monde. C’est vrai dans la mesure où jadis, la plupart du temps, toutes les femmes étaient opprimées au sens où elles le sont aujourd’hui dans l’Afghanistan, au sens où elles  y retombent aux Etats-Unis. La décision du parlement suisse établit une distinction entre les citoyennes du pays et d’autres femmes. C’est sans doute pour cela que dans les 172 voix qui ont rejeté la motion Streiff au Conseil national, il y avait forcément beaucoup des 84 conseillères nationales.

Au terme de cette autopsie d’un blog largement contesté, la question demeure toujours la même : est-ce que le parlement reflète ainsi la conviction du peuple souverain ? Est-ce que nous soutenons cette position ? C’est la seule qui attend une réponse, pas les faux-fuyants que furent tant de commentaires. Pourrait-on débattre honnêtement, sereinement, rationnellement d’une tare sociale ? Pourrait-on arrêter de ridiculiser les défenseurs de la dignité de toutes les femmes comme si c’étaient des moralistes, une espèce ringarde ? La morale n’a rien à voir là-dedans, la justice tout.

L’extrême pointe de la réponse à cette tare sociale serait l’éducation des clients potentiels. Expliquer d’abord que la violence de l’instinct sexuels est la réponse inévitable de la nature biologique à la menace d’une extinction de l’espèce : il faut que dans certaines situations les hommes fassent abstraction de tout autre facteur que l’exigence de la survie du genre humain. Expliquer ensuite que toutes ces violentes pulsions biologiques élémentaires ont été humanisées par la culture, le droit, les religions : la monogamie, la protection des femmes et des enfants, l’observation de rites, le respect de certains interdits. Le faîte de la relation entre les sexes est la passion amoureuse qui est un des piliers des arts. Une fois que cet accès aux sommets de la civilisation est garanti, la prostitution apparait tristement pour ce qu’elle est, une régression aux origines de notre espèce, un repli devant ce qui alimente notre antinomie avec les autres espèces vivantes. Lutter contre cette tare sociale apporte ainsi un bénéfice non seulement aux victimes, mais aussi aux agresseurs qui apparaissent maintenant elles-aussi comme des victimes de l’inculture. La loi, par ses sanctions mêmes, leur apprend à devenir plus humains. A ce titre elle aurait méritée d’être votée.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

33 réponses à “Autopsie d’un blog

  1. Si vous voulez une prise de position pertinente.

    CEDH vous l’a rappelé: le TF a jugé que le contrat de prostitution n’était plus contraire aux bonnes moeurs. “Mon corps, mon choix” est passé par là.

    ATF 147 IV 73

    On ne vous a pas répondu sérieusement car vos considérations relèvent d’une autre conception morale de la société. Votre génération a eu le pouvoir, l’a galvaudé et laissé se créer une autre société de valeurs.

    Mes amies sont sur instagram et savent porter des bikini pour faire des vues et donc de l’argent.

    Des influenceuses célébres vont à Dubai pour arrondir leur fin de mois par la prostitution.

    Des stars de teleréalités se prostituent.

    C’est aujourd’hui une minorité, heureusement, mais la prostitution, réelle ou virtuelle, est là, génèrent des milliards et n’est plus perçu sous votre prisme moral. Les femmes sont l’égale de l’homme et ont le droit de monnayer leur corps, occasionnellement ou régulièrement.

    Dans votre vision, vous imaginez la prostituée sur le trottoir, étrangère et exploitée. La traite existe encore, certes. Mais les applications connectées leur font concurrence. Aujourd’hui, une moldave de transnistrie n’a plus besoin de venir physiquement en Suisse. Il lui suffit d’allumer sa caméra et elle gagnera 10 à 20x le salaire minimum.

    Et celle qui vient physiquement en Suisse, recevra de la police et des assos le nom des applications payées par le contribuable et sécurisées pour la mettre en contact directement avec les clients, sans arpenter les trottoirs. Il n’y a plus guère de cabarets, de macs, etc…

    Je pense que vous cherchez à régler un problème de votre jeunesse qui n’existe plus aujourd’hui sous cette forme.

    Il y a 10 ans, on disait: ce n’est pas la loi qui tue, ce sont les clients. Aujourd’hui, le message a changé.

    https://www.leparisien.fr/amp/societe/des-prostitues-manifestent-contre-la-verbalisation-de-leurs-clients-13-04-2022-C4K7XA4KDNCVBBO7B6MWKEOUVM.php

    Et si vous voulez sauver l’âme des prostituées, elles vous répondront:

    https://mobile.twitter.com/ClownWorld_/status/1540846947287781376

    C’est pour cela que je préfére parler de l’échec des policiers suisses qui n’ont pas arrêté les deux terroristes qui voulaient faire exploser une bombe dans une grande ville suisse (laquelle?)… cela dit, merci aux Allemands.

    1. Vous noyez le poisson. Il ne faut pas amalgamer le destin de ce que l’on appelait les grandes cocottes dans le Paris de 1900, si bien mis en scène par Colette dans son roman “Chéri”, avec celui des prostituées qui ne choisissent pas de s’y livrer mais qui y sont contraintes par la misère. Il y a une différence entre une courtisane vivant dans le luxe, entretenue par un amant richissime, qu’elle a choisi, et celles qui font le trottoir ou l’abattage dans un bordel ou la retape sur un site informatique. C’est ce sens que ce n’est pas une affaire de morale ou de technique. Tout adulte a la libre disposition de son corps, certes. Mais certaines la perdent encore aujourd’hui et ce sont celles-là que la loi aurait pu sauver. L’amant d’une influenceuse ne sera bien évidemment pas poursuivi car il s’inscrit dans la liberté des mœurs garantie par la loi.
      Dans le blog, il n’est nulle part question de sauver l’âme des prostituées, c’est une caricature du texte, mais de donner le libre choix de faire ou non ce métier, c’est-à-dire de pouvoir choisir son amant ou ses amants. Ce qui est horrible, c’est de ne pas avoir le choix. C’est en ce sens que c’est un esclavage.

      1. D’accord avec vous et Sylviane.
        On n’est pas dans la morale mais bien dans la solidarité avec les plus vulnérables.
        Penser que ces personnes (majorité étrangère) aient le choix est un manque de connaissance des réalités. Mais l’homme est un loup pour l’homme, ne dit-on pas ?
        Le vote ne reflète pas mon avis et j’ai été très déçue par les politiques.
        Merci !

        1. Certes mais la différence était radicale avec les prostituées sur le trottoir. Les premières choisissaient, les secondes non.

    2. Merci Juliette, pour ces propos nettement plus éclairés et largement partagés, car pour moi le débat initié par Monsieur Neyrinck porte en effet sur un discours misérabiliste de milieux politiques et religieux destiné à “serrer la vis” aux personnes prostituées sous prétexte de les aider (en fait pour essayer de les priver totalement de leurs revenus). Concernant votre dernière remarque, une sécurité à 100% n’existe pas (c’est illusoire, ça n’a jamais existé nulle part), mais la Suisse reste néanmoins un des pays les plus sûrs au monde.

    3. Il y a aussi beaucoup d’étudiantes qui se prostituent (en mettant des annonces sur internet) pour financer leurs études. Chez ces jeunes femmes, on a vraiment l’impression que c’est leur libre choiix et cela fait partie de leur mentalité de femmes modernes, libérées, hédonistes, sans les interdits moraux qu’avaient leurs mères et grand-mères. Je pense que M. Neirynck (question de génération?) ne perçoit pas cet aspect des choses.

      1. Ce n’est qu’une impression, fausse.
        Si je perçois vivement cet aspect des choses. A Madrid lors d’une conférence, un ami m’a amené par surprise dans un lieu remplis d’étudiantes qui finançaient ainsi leurs études. A l’époque deux de mes petites-filles étaient étudiantes, munies d’un financement adéquat. Le contraste entre ce que je savais de ma famille et ce que je constatais pour d’autres m’a éclairé sur ce que cela signifie : si ces étudiantes espagnoles avaient eu suffisamment de ressources, elles n’auraient pas été obligées de se livrer à la prostitution. Ce ‘était pas leur libre choix, c’était la négation de leur dignité, de leur affectivité, de leur formation.
        Tout autre chose est évidemment la possibilité pour une étudiante de multiplier les aventures avec des garçons dont elle tombe amoureuse. Là il y a un choix.

        1. Mais alors que dire à ces étudiantes qui se prostituent ? Peut-être qu’on pourrait leur rendre hommage. Elles gâchent leur jeunesse, mais il faut du courage. Et ainsi elles parviennent à financer leurs études. Je ne sais pas si c’est une absence de choix. C’est un choix très dur, et un sacrifice consenti, dans un but.

          Je ne sais plus où j’ai lu que la définition de la dépression économique c’est quand les femmes docteurs en médecine doivent faire le trottoir. J’ai aussi connu une femme russe, très belle, ayant fait des études universitaires et connu la détresse noire dans la période Eltsine (on oublie un peu trop que c’est Poutine qui a tiré les Russes de là) et qui s’était prostituée à cette époque comme danseuse dans des cabarets suisses. Elle m’avait fait des confidences. Entretemps elle s’était mariée, avec un homme d’affaires (un de ses anciens michetons?) et elle était mère de famille. J’ai ressenti une vive sympathie pour cette femme là.

          La vie est dure. On ne pourra jamais éviter ce genre de situations. C’est parfois aussi une façon de s’en sortir. Doit-on interdire cette ressource à certaines qui en ont besoin?

          1. La motion rejetée par le parlement qui est l’objet du blog vise les clients, pas les prostituées.

          2. En pénalisant les clients, on pénalise aussi les prostituées, qui ne trouveront plus de clients.

          3. Est-ce pénaliser une prostituées étrangère en la privant de potentiels clients suisses et en évitant son déplacement en Suisse?

  2. La question concerne la liberté de se prostituer.
    Une petite minorité de femmes préféreront la prostitution à un métier qui rapporte peu.
    D’ailleurs, une féministe genevoise connue, prostituée, défendait la prostitution. Elle évoquait le côté social de son métier.
    Même les féministes sont donc partagées sur ce sujet.

    La question qui concerne aussi d’autres sujets, c’est : Peut-on par morale interdire pour “protéger” les gens malgré eux ? Ou est la limite de l’ingérence de morale ? Interdire l’esclavage, ce n’était pas seulement morale, mais aussi une histoire de victimes.
    Concernant la prostitution, la traite des femmes, c’est de l’esclavage, la prostitution pour payer sa drogue est une forme d’esclavage. Il y a donc une bonne raison pour interdire.
    Mais pour les autres, c’est juste un choix, et donc, c’est la morale qui devient l’arme absolue contre la prostitution et là c’est dérangeant.

    La société n’a jamais créé l’humain parfait, il faut accepter ses mauvais côtés et protéger les victimes. Victimes de la prostitution, de l’alcoolisme qui impacte les familles, etc..
    Encourager à sortir de la prostitution malgré un choix assumé, est une possibilité. Mais, a t’on ce droit?

    Concernant les clients, ils ont une lourde responsabilité si il n’y aucun doute sur le côté victime de la prostitué.Si l’Etat désigne aux clients celles qui font ce métier librement, il serait judicieux de pénaliser les clients qui choisissent ailleurs. C’est la seule amélioration que je vois.

    Bref, je n’ai pas de réponses tranchées.

    1. Entièrement d’accord. Mais le problème est comment différencier les différents types de prostitution ? comment savoir si un macro ou un “mari” se cache derrière, si un passeport est confisqué, si la sécurité de leurs enfants ou de leur famille est en jeu ou si une addiction pousse ces femmes à se prostituer?
      Je crains que de différencier celles-ci des autres ne soit utopique.

      Ainsi la réponse est de savoir : est-il préférable de protéger les opprimées en risquant également d’interdire à celles qui le souhaitent de se prostituer ou est-il à l’inverse préférable de laisser faire pour celles qui ont le choix au risque de laisser cette forme d’esclavage se poursuivre?
      Pour ma part la seconde option me parait bien plus dramatique.

  3. Je n’ai personnellement pas le même problème que Monsieur Neyrinck au sujet de la morale, comme si la justice qu’il veut mettre en place sur la question de la prostitution, n’était pas de la morale. Toute décision politique est morale, dans la mesure où elle concerne les pratiques et la liberté. Je trouve intéressant de comparer dans la relation de prostitution les deux libertés, celle du client et celle de la prostituée. Il est évident que le client est plus libre que la prostituée, même dans le cas de la courtisane de Colette.

  4. La proposition de loi était donc éminemment morale, même si ce n’est pas dans le sens où l’entend M. Neyrinck. Il faudrait s’interroger sur cette notion négative de la morale, largement partagée par nos contemporains. Voici. La sexualité n’est-elle pas un combat, n’est-elle pas une lutte entre le bien et le mal ? Notre besoin d’être aimé n’est-il pas par nature contradictoire: pour pouvoir être aimé, je dois me rendre aimable et donc aimer celui (celle), dont je veux l’amour, car qu’est-ce qui pourrait donner l’envie de faire cet effort (c’est ce que j’appelais un combat) si ce n’est l’amour. Et cela n’a-t-il pas à voir avec le sacrifice ? Avec la violence, par conséquent. C’est pourquoi c’est une question de bien et de mal, car la violence c’est, sauf cas particulier, le mal et, en tous cas, tout mal est violent. Je vois que ces idées ne vont convaincre personne à voter pour, si un jour on nous demande notre avis, mais je ne trouve pas mauvais, de temps en temps, qu’on nous fasse la morale. Et qu’on n’ait pas peur ou pas honte de le faire !

  5. Tout comme l’on se dirige vers la voiture sans chauffeur, dans le métier objet du BLOG, la chose va se passer dans un avenir proche sans prostituées, et ça ne sera pas au profit de poupées gonflables mais à des humanoïdes (qu’est-ce qu’il moche ce mot) au silicone, qui ont tout et qui font tout sans se poser de questions. C’est triste mais c’est ainsi. Suis favorable à limiter ce métier dans des maisons closes pour nettoyer, et ce mot reste faible, nos rues.

    1. C’est un idéal louable. Mais hum, avez-vous déjà ouvert Instagram, Youtube ou plus généralement Internet voire même vu des spots publicitaires ?
      Tant que le corps, féminin mais aussi masculin, sera source de désir et de plaisir, ses “caractéristiques” seront monnayés sous une forme ou une autre…
      Dans certains endroits du monde, on met des “sacs” sur les corps pour minimiser cette source de désir. Pas sûr que ce soit mieux, non ?

  6. “Une très curieuse analogie entre la prostitution et l’enseignement où les enseignants ne seraient pas libres.”

    A ce sujet, voir, entre autres:

    Nico Hirtt, “L’école prostituée – Le marché s’attaque à l’école”, Quaderni Année 2002, pp. 127-130.

    Dans son analyse des stratégies politico-économiques que connaît déjà en 2002 l’enseignement, l’auteur constate que l’Etat vend l’école et que cette mise en vente de l’école par l’Etat est pour lui une forme de prostitution. Selon N. Hirtt, les politiciens pactisent avec le privé et en se soumettant à l’empire de l’argent, ils ouvrent les portes de l’école aux lois du marché et à ses régisseurs industriels. Ainsi le politique va s’intéresser à ce secteur afin d’en faire une arme stratégique dans la course effrénée à la mondialisation. (https://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_2002_num_48_1_1751).

    A cet égard, l’école vaudoise n’est pas en reste, semble-t-il, puisqu’en septembre 2003, le préambule au bilan intermédiaire de la réforme “Ecole Vaudoise en Mutation” publié par l’ancien Département de l’Instruction Publique et des Cultes (DIPC) décrète que l’école et la formation constituent l’un des piliers de la cohésion sociale et l’un des moteurs du développement économique. Certes, ce n’est pas moins légitime ni plus méprisable que de laisser entièrement l’école soumise aux foucades de ses maîtres, comme c’est périodiquement le cas. D’autant plus que l’alpha et l’omega du credo des dits maîtres se résume à une question de moyens (“plus de moyens pour l’école”) – ce qui relève au vrai d’une pure logique marchande!

    Dans un monde scolarisé, le chemin vers le bonheur est pavé par un index de la consommation, écrit Ivan Illich dans “Une Société sans école”” (Deschooling Society): “Le Mythe de la Consommation Sans Fin a remplacé la croyance dans la vie éternelle. Les jeunes voient leurs études comme un investissement avec le plus haut rendement financier possible et les maîtres les voient comme un facteur-clé de développement” selon ce philosophe radical, précurseur de l’école libre et de enseignement à distance.

    Dès le milieu des années 1980, de l’aveu même de responsables de la formation pédagogique dans le Canton de Vaud, l’école est soumise à l’emprise de l’économie. “On ne sait plus comment en sortir”, avoue même l’un d’eux.

    Pas facile de s’échapper d’une maison close, en effet.

    1. L’école a ses problèmes. Par métaphore on peut utiliser le mot prostitution pour décrire cet état. Mais cela ne signifie pas du tout que les deux problèmes seraient liés.

      1. Non, bien entendu. Il n’est pas question d’incriminer l’école mais de dénoncer, comme le fait Nico Hirtt, la mainmise que l’économie prétend exercer sur elle.

        Or, l’école et ceux qui la servent se défendent mal contre ceux qui ne pensent qu’à s’en servir et à l’instrumentaliser à leurs propres fins (ne pourrait-on en dire autant de la santé et de toute profession à but non-lucratif?) La presse nous apprend que Poutine a fait nommer des “conseillers patriotiques” dans les écoles publiques et fait ré-écrire les manuels d’histoire ukrainienne selon ses propres normes. Face à ce diktat, les enseignant(e)s n’ont que deux possibilités: soit s’y plier et devenir les agents dociles du régime en place, soit démissionner – ce que les autorités conseillent d’ailleurs aux réfractaires, qui peuvent s’estimer heureux de s’en sortir à si bon compte. Sous Staline, la contestation ne se traitait-elle pas d’ordinaire par neuf grammes de plomb dans la nuque?

        En a-t-il jamais été autrement sous quelque régime que ce soit?

        Mais je sais bien que poser de telles questions est absurde. Denis de Rougemont disait: “je crois à l’absurdité de fait le l’instruction publique” et ajoutait: “On ne réforme pas l’absurde”.

        Depuis que l'”European Round Table” a décrété dans son rapport de février 1995 que “l’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique, mise sous pression par le rouleau compresseur du marché, l’école, devenue la religion d’un prolétariat modernisé, continue ainsi à à faire ce qu’Ivan Illich appelait “des promesses futiles de salut aux pauvres de l’ère technologique… L’école obligatoire est devenue l’école pour l’école: un séjour forcé en compagnie de maîtres, récompensé par le privilège douteux de partager encore plus une telle compagnie.”

        Dans ce sens, ne peut-se demander en quoi le métier réputé “le plus merveilleux du monde ” se démarque encore du plus vieux?

        1. On ne peut pas poser des analogies aussi futiles. Il y a une différence radicale entre des femmes pauvres obligées de vendre leur corps pour survivre dans un pays de riches et un service public, certes critiquable sous certains aspects, mais qui est globalement positif, ne serait-ce que de d’apprendre à lire et à àcrire à tous. Que l’instruction prépare les enfants à s’insérer plus tard dans l’économie en pratiquant un métier est une évidence et on ne voit pas pourquoi il faudrait ne pas les y préparer. L’économie n’est pas une activité perverse en soi même si elle comporte évidemment des aspects critiquables.

          1. “Que l’instruction prépare les enfants à s’insérer plus tard dans l’économie en pratiquant un métier est une évidence et on ne voit pas pourquoi il faudrait ne pas les y préparer.”

            Mais les y prépare-t-elle? Dans “La désinformation vue de l’Est”, Vladimir Volkoff cite cet exemple d’épreuve proposée au baccalauréat français:

            “…l’Education nationale, sensée apprécier les capacités de raisonnement des étudiants, propose en 2005, comme sujet de dissertation au baccalauréat, non pas d’examiner le pour et le contre d’une politique de limitation des naissances mais de démontrer tout de go les avantages de l’avortement, non seulement au mépris d’une morale qui est celle d’une bonne partie de la population, mais au mépris du simple bon sens qui veut qu’on examine d’abord et que l’on conclue ensuite.”

            Il ajoute: “…si le candidat joue le jeu, il entrera (pour certains)
            dans la prison de la mauvaise foi, et, s’il adopte un autre point de vue que celui qui lui est imposé, il recevra une mauvaise note et sera disqualifié: il est perdant des deux manières, soit sur le plan de la réussite, soit sur celui de l’intégrité.”

            Volkoff désigne ce genre d’impasse par ce qu’il appelle le “syndrome de la souricière”, qu’il attribue à Heidegger dans sa critique de la pensée occidentale:

            “C’est une souricière dont on ne peut s’échapper, car, pendant qu’on s’en échappe, elle se met à l’envers et on se retrouve dedans.” (“Comme on voudrait voir un dessin animé représentant l’opération”, ajoute l’auteur).

            (Vladimir Volkoff, La désinformation vue de l’Est”, Editions du Rocher 2007, pp 24-25).

            A défaut de maison close, l’école ne serait-elle pas pour certains une souricière?

          2. L’épreuve de dissertation du baccalauréat français est d’abord un examen de la capacité de rédiger et d’argumenter. On peut ne pas être en accord avec l’avortement mais on ne peut ignorer que sa libération a été une décision démocratique, même si une minorité s’y oppose. Quel sujet pourrait-on proposer à une dissertation qui recueillerait l’unanimité de l’opinion publique?
            Par ailleurs la formation ne se limite pas à la capacité de disserter. Elle comporte l’enseignement des sciences et des langues étrangères. Plus ou moins réussi sans doute mais que l’on ne peut ignorer.

          3. Personne ne met en question l’enseignement des sciences et des langues étrangères. Selon Volkoff et d’autres auteurs – par exemple Christine Champion dans “Désinformation par l’Education nationale” (2007) -, les réformes consécutives à la Charte de Pau d’octobre 1968 sur les réformes scolaires, sous prétexte d’assurer aux élèves l’égalité des chances, n’ont fait en réalité qu’avantager les plus forts au détriment des plus faibles:

            “L’abaissement du niveau scolaire avantage non pas les enfants les plus doués mais ceux qui sont issus de milieux cultivés et fortunés, bénéficiant à la fois d’une atmosphère domestique raffinée et des moyens permettant de recourir au préceptorat quand ce n’est pas aux établissements d’enseignement privés en attendant les grandes écoles.” (V. Volkoff, “La désinformation vue de l’Est”, p. 68). Il ajoute:

            “L’université elle-même, à laquelle chacun peut accéder s’il le désire, ne dispense plus que des leçons ponctuelles, inorganiques, détachées de l’ensemble de la connaissance” […]. C’est que, écrit-il, “s’il faut laver le cerveau de toute une société, le soumettre à un programme de manipulation considérable et débrancher le bon sens de plusieurs générations, il convient de détruire le système d’éducation universitaire et discipliné et de remplacer la culture humanitaire (sic) par la “culture-mosaïque” (allusion au multiculturalisme d’origine anglo-saxonne). Pour cela, les manipulateurs doivent s’emparer de l’école et des media. Et l’école et les media se révéleront plus forts que les traditions, les sermons et les contes de grand-mères.” (Ibid.)

            Citant Abraham M. Moles, auteur de “Sociodynamique de la culture” (1967), Volkoff ajoute:

            “Dans la culture-mosaïque, les connaissances ne se forment pas grâce à un système d’éducation mais par les media.” Par opposition à la culture humaniste et universitaire, “la culture-mosaïque est reçue par l’homme presque sans qu’il s’en rende compte, sous forme de petits bouts arrachés au torrent de communications qui s’abattent sur lui”. Or, “plus forte est la pression de la culture-mosaïque, moins important est le rôle joué par la logique, et plus la conscience est sensible à la manipulation. Si bien que la destruction de la culture universitaire […] est la condition indispensable d’une domination solide de la démocratie.” (Id., pp. 68-69).

            Pour Volkoff il en découle qu’en France au moins c’est chose faite: “l’école et les media participent ensemble à la création d’un prolétariat de la pensée aisément manipulable par une oligarchie se reproduisant par hérédité et cooptation. L’influence des media n’est plus à dénoncer, quand à l’école…”

            “En effet, ce n’est plus l’Etat qui donne un cap à l’instruction du peuple, comme cela fut encore le cas sous la Troisième République, avec pour objectif de créer un “Homo republicanus” dont on peut penser ce qu’on voudra […]. Au XXIe siècle, nous n’en sommes plus là. Seule l’économie impose ses besoins. Pour elle, l’école doit créer non pas un être capable de réflexion ni même un serviteur de la patrie, mais “un citoyen, un travailleur et un consommateur correct” et le plus satisfaisant sera “un homme content de soi, se tenant pour cultivé, mais formé seulement pour servir d’écrou: un spécialiste.” (Id., p. 70).

            Si l’économie n’est pas “une activité perverse en soi”, en revanche, que penser d’une école et d’une université qui n’ont plus d’autre modèle que celui de l’économie? Du diktat de l’efficacité, du rendement, de l’absurde course au prestige et aux “rankings” – bref, d’une école réduite à une Ecole de commerce et d’une université transformée en ce que les étudiants révoltés des années soixante dénonçaient déjà: une fabrique du savoir (“Knowledge factory”)?

            “Au fond, l’école n’enseigne qu’un vilain jeu de commerce; jeu de banque, jeu de bourse…”

            – Edmond Gilliard, “L’école contre la vie”, Bibliothèque romande, Lausanne, 1973

          4. L’université forme des médecins, des ingénieurs, des juristes, des agronomes, des physiciens qui sont indispensables. Il y a aussi des facultés de sciences humaines.

          5. “L’université forme des médecins, des ingénieurs, des juristes, des agronomes, des physiciens qui sont indispensables. Il y a aussi des facultés de sciences humaines.”

            Donc, philosophie, histoire, littérature, musique, arts dramatiques, danse et arts appliqués ne servent à rien… Entreprendre de longues études universitaires, jeu d’échecs par excellence, dans ces disciplines en se sachant perdant d’avance, n’est-ce dès lors pas devoir jouer gambit?

            A ceux qui lui demandaient à quoi servait sa discipline, le philosophe français d’origine russe, Vladimir Yankelevitch, répondait:

            – La philosophie, c’est comme l’air; ça ne sert à rien mais on ne peut pas s’en passer.

            Oui, savoir traduire Sophocle ou Virglle, disserter pendant huit heures sur un passage de Berkeley ou de Kant est inutile. Ni plus, ni moins d’ailleurs que résoudre une équation du second degré, le problème (encore pas résolu) de “P versus P” en informatique théorique – vous n’avez pas mentionné l’informatique dans votre liste à la Prévert des disciplines indispensables; s’agit-il d’un oubli ou d’un choix délibéré de votre part? – ou disserter pendant huit heures sur des trivialités telles que la subsomption des concepts mathématiques à priori dans l’unité subjective transcendantale d’aperception chez Kant. Mais les facultés de sciences dites “humaines”, qui engorgent les universités et produisent le taux de chômeurs le plus élevé – constat intéressant: on les retrouve majoritaires dans les services sociaux, et en particulier à celui de l’emploi, comme conseillères et conseillers en placement…- le sont elles-plus?

            Oui, un médecin, un ingénieur, un juriste, un agronome, un physicien sont indispensables. Pourtant la médecine a-t-elle empêché de produire des docteurs Mengele et la physique un Oppenheimer et un Sakharov, qui ont eu beau jeu de retourner leur veste en dénonçant l’arme atomique et, pour le second, de se faire nobéliser après en avoir été les premiers promoteurs?

            A quoi l’Université de Berkeley doit-elle son prestige? A ses humanistes, à ses musiciens ou à ses poètes? Non, mais au fait d’avoir produit dans le cadre du projet Manhattan de sinistre mémoire les deux premières bombes atomiques qui ont éradiqué Hiroshima et Nagasaki, faisant des Etats-Unis les premiers criminels contre l’humanité.

            Ah, le juteuse et très utile filière de l’industrie de l’armement, jamais en panne de demande… Que deviendraient physiciens, mathématiciens, chimistes et biologistes sans elle? Combien d’entre eux ne doivent-ils pas leur confortable retraite à la production d’engins mortifères?

            A quoi les Etats-Unis, qui n’ont connu de leurs 246 ans d’existence que deux ans de paix, doivent-ils leur prospérité sinon à l’industrie guerrière, que le conflit en cours en Ukraine a relancé plus que jamais en moins de trois mois?

            Et que promet un monde dominé par la seule économie, sinon celui de George Orwell et d’Aldous Huxley? Dès lors, qu’attend-on pour raser les cathédrales et les transformer en places de parc ou en supermarchés, ces temples de la surconsommation?

            Comme l’économie et la politique, la science n’est-elle pas trop importante pour n’être laissée qu’aux seuls scientifiques?

            Question hors sujet, sans doute. Question naïve.

            “Définition du naïf dans le monde moderne: individu qui soutient des idées qui ne rapportent rien.” – Denis de Rougemont

  7. « On dit souvent que la prostitution est le plus vieux métier du monde. C’est vrai dans la mesure où jadis, la plupart du temps, toutes les femmes étaient opprimées au sens où elles le sont aujourd’hui dans l’Afghanistan «  ?
    Je reconnais la mauvaise analyse typique de l’auteur … les femmes n’ayant pas été majoritairement opprimées dans l’histoire de l’humanité !
    Si la prostitution existe encore , c’est que les femmes elles-mêmes l’acceptent …
    Sinon, cette ‘activité’ n’existerait pas . On a retrouvé dans les ruines de Pompéi, une demeure réservée à ces relations …
    L’interdit n’est pas la bonne solution , mais il faut protéger les femmes contraintes de le faire !

    1. Nombre de femmes n’acceptent pas d’être prostituée mais y sont contraintes par la misère ainsi que le rapportent les travailleurs sociaux interviewé par Le Temps.

  8. il y a une dimension peu abordée dans tous ces posts : la relation client-prostituée amicale et meme chaleureuse ! interogez des prostituées et vous verrez que beaucoup de clients cherchent du réconfort et de la chaleur humaine !!! parce qu’ils traversent une periode difficile de leur vie, ou parce qu’ils n’ont pas une sexualité épanouie chez eux , ou parce qu’ils sont veufs , ou timides , ou etrangers etc etc .
    la prostitution , ce n’est pas que ( et meme de moins en moins) de l’abattage et du trottoir. je fréquente des escorts cultivées , qui ont de la conversation, et on a du plaisir à se revoir de temps en temps . ce n’est pas de penaliser les clients qu’il faut.

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