Le conseil fédéral introuvable

 

 

L’élection de deux nouveaux Conseillers fédéraux, obtenue sans peine par une Assemblée fédérale convaincue de leurs mérites, a cependant suscité des commentaires acides, témoins d’une conception singulière de ce que doit être un gouvernement fédéral. Par exemple :

«Maillard et Nordmann, c’est fini pour le Conseil fédéral! C’est certain. Je pense d’ailleurs que le spectre de Pierre-Yves Maillard est l’une des raisons qui expliquent l’élection d’Elisabeth Baume-Schneider. A droite, beaucoup ont voté pour elle afin de barrer la route au Vaudois l’année prochaine.»

En somme Baume-Schneider a donc été élue non pas pour ses mérites, mais uniquement pour barrer la route à Maillard qui a trop de mérites pour être élu. De plus, cela crée une majorité de ministres latins au détriment de la Suisse alémanique qui n’est plus représentée à proportion de sa population. Pire et invraisemblable même : le canton de Zurich n’est plus  au Conseil fédéral.

Certes c’est bien moins un gouvernement au sens habituel qu’une délégation parlementaire, en vue de représenter au mieux le pays dans sa diversité linguistique, partisane et même de la répartition de la population entre ville et campagne. Mais la coexistence de tous ces critères pour sept sièges définit une tâche impossible : on pourra toujours regretter qu’une des exigences de la représentativité ne soit pas satisfaite. On définit l’objectif  d’un Conseil fédéral introuvable.

Le plus important est ailleurs. L’attribution des dicastères par décision interne des sept sages ne se fait pas en fonction des compétences mais des préférences individuelles annoncées par ordre d’ancienneté, les derniers venus se contentant de strapontins : ainsi le médecin ne s’occupe pas de la santé mais des affaires étrangères, la responsable de l’armée n’a pas fait de service militaire, l’économiste ne s’occupe pas d’économie mais de santé. C’est le contre-emploi délibéré. Il ne faut surtout pas que le Conseiller fédéral sache de quoi il retourne. Il ne faut pas qu’il interfère de trop dans l’administration.

Car un autre reproche porte sur Rösti. Il va gérer la transition climatique alors qu’il fut trop engagé dans le secteur. Il est président du lobby du mazout et autres combustibles fossiles (SwissOil) de 2015 à 2022. Depuis 2022, il est président du lobby des importateurs de voitures (Auto-Suisse) et siège au comité directeur de l’association faîtière des usagers de la route (Routesuisse). Il est aussi conseiller de l’Association suisse des transports routiers. Il connait la matière, mais il fut engagé du mauvais côté (pour certains !).On en tire, sans autre réflexion, la conclusion qu’il ne changera pas d’opinion et mènera une politique rétrograde.

C’est oublier l’important facteur psychologique que l’on nomme grâce d’Etat. Un homme élu dans une certaine fonction n’agira plus comme auparavant. Un Conseiller fédéral atteint le point culminant de sa carrière politique. Il peut faire un examen de conscience politique en remettant en question ses options antérieures. Il peut défendre le bien commun sans plus se soucier de son intérêt personnel. Il n’est plus le représentant inconditionnel de son parti d’origine. D’ailleurs personne n’est toujours d’accord avec les positions de son parti sauf à n’avoir pas de convictions propres.

En fin de compte, le meilleur Conseil fédéral serait celui composé de personnalités compétentes dans un domaine qu’elle gèrerait en connaissance d cause. En plus et même surtout ce seraient des personnes aptes au consensus. Car les décisions sont collégiales. Chaque Conseiller peut être amené à défendre une décision où il fut lui-même mis en minorité. Telle est la singularité du gouvernement dont la Suisse à fait l’élaboration à travers les siècles. Il ne sied pas de la déconsidérer selon  un esprit politicien de bas étage. C’est un système qui fonctionne bien, sinon de façon parfaite, ce qui n’est pas de ce monde.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

27 réponses à “Le conseil fédéral introuvable

  1. Bonjour Monsieur,

    “C’est oublier l’important facteur psychologique que l’on nomme grâce d’Etat. Un homme élu dans une certaine fonction n’agira plus comme auparavant.” dites-vous.

    Combien sont-ils touchés par cette grâce ?
    Et combien deviennent les serviteurs zélés de ceux qui leur ont facilité le parcours politique, l’accession au pouvoir et la conservation de celui-ci ?
    Remercier les alliés, être l’obligé des alliés et être le prisonnier de ses anciennes accointances , c’est ce qui ne permet pas à certaines personnalités de donner leur pleine mesure et de faire pour le bien de tous en dépassant l’intérêt de certains.
    Sans parler de leurs appétits personnels.

    Ceux qui échappent ou ne ressemblent pas à la banalité sont finalement rares.

    Je vous remercie pour ce blog et vois souhaite le meilleur,

  2. J’ai honte des partis qui ne sont pas en mesure de proposer de meilleures candidatures, et d’attirer des talents.

    Je l’ai déjà écrit, mais comparez le cv des candidats astronautes versus celui de ces “élites” politiques…. EBS et GP ne savent même pas l’anglais…

    C’est parce que la Suisse va bien que nous avons des hommes et des femmes politiques médiocres.

    Or, moi, j’attends des hommes et des femmes politiques d’exception pour garantir la survie de la Suisse pour les prochaines générations ! Ce CF nous conduit dans le mur, nous monte les uns contre les autres et détruit les legs de nos ancêtres…

    Heureusement que l’administration fédérale, elle, attire encore des talents et d’excellents chefs de service.

    Je rêve d’un nouveau parti politique qui renverra ses vieux éléphants à la retraite.

    Mais ouvrez les yeux; la Suisse n’attire plus de nouvelles grandes entreprises et nous subissons les mesures injustes et discriminatoires de l’UE très durement… La manipulation de notre monnaie nous sauve pour l’instant, mais c’est un écran de fumée. La Suisse va mal…

    1. Le principe suisse est justement de ne pas compter sur les autorités pour se préparer à l’avenir. Si des industries se sont implantées en Suisse, ce n’est pas parce que les autorités ont fait du marketing économique, mais parce qu’elles y ont trouvé ce dont elles avaient besoin.
      Un exemple typique: plusieurs entreprises énergivores ont investi elles-mêmes dans des unités de production électrique notamment en Valais, elles n’ont pas attendu que les autorités créent un réseau électrique et négocient des contrats avec les pays voisins.

          1. “Les commentaires sont clos.”

            Après un certain temps, il n’est plus possible de poster de commentaires sous vos billets.

          2. Il y a une option quelque part dabs votre tableau de bord que vous maîtrisez.

            La plupart des autres blogueurs ne l’ont pas activée.

  3. Moi j’aime bien Rösti, et je trouve la pétulante petite gauchiste Baume-Schneider très sympa.

    Je suis très content de cette élection.

    Et puis s’appeler Rösti, quand-même, c’est tout un poème. Il parle très bien le français avec son bon accent de l’Oberland. Le rideau du même nom va en prendte un coup, ainsi que les bisbilles entre aile blochèrienne “zurichoise” et aile modérée “bernoise”.

    Excellente election…

      1. Non, je sais bien. Je suis d’accord avec vous là-dessus et je pense que beaucoup de gens se sont réjouis de cette élection en douceur, qui montre que le temps des bisebilles anti UDC est terminé, et qui entérine la ligne eurosceptique de ce parti comme une chose normale qui rèflète l’opinion majoritaire. J’aime bien Rösti qui est un dur de l’UDC, mais avec une bonhommie bien bernoise.

        Bons voeux pour votre santé et joyeux Noël !

  4. Loin d’être un défaut, l’incompétence des élu(e)s n’est-elle pas la marque même de la sagesse? Car confier l’Etat aux seuls savants, Platon qui en rêvait avec sa Cité Radieuse aux mains des seuls philosophes (les savants de son époque), n’a-t-il pourtant pas averti qu’en pratique mieux valait se garder de le leur confier? Car alors bonjour les dégâts.

    N’en a-t-il pas fait la douloureuse expérience quand, après avoir tenté en vain de convaincre Denys le Tyran de Syracuse, à la recherche d’un modèle de constitution, d’appliquer sa théorie il en a été remercié par celui-ci d’un coup de pied au derrière et renvoyé à ses chères études après avoir été vendu comme esclave sur la place publique?

    L’incompétence n’a-t-elle pas ceci de bien commode qu’elle dégage de toute responsabilité les décideurs? Ainsi, Hitler n’est pas responsable des chambres à gaz, pas plus que Staline des purges et du Goulag, ni Mao et Pol Pot de la révolution culturelle – pas plus que Poutine n’est responsable de la guerre en Ukraine. Le tsar Ubu ne vient-il d’ailleurs pas de convoquer ses chefs d’Etat-major au Kremlin pour qu’ils lui disent ce qu’il y a lieu de faire pour mener la suite de l'”opération militaire spéciale” et dont il se gardera bien de suivre les conseils pour mieux s’en laver les mains après en avoir reporté sur eux toute la responsabilité en cas d’échec?

    A Kiev, où le boycott des oeuvres littéraires et de la culture russes, la “Kultur Kampf” bat son plein depuis plusieurs mois déjà, ne dit-on pas déjà – non pas que c’est la faute à Voltaire et à Rousseau – mais à Pouchkine et à Dostoïevsky?

    Napoléon ne l’avait-il pas bien compris quand il affirmait que les crimes collectifs n’engagent personne?

  5. doit-on obligatoirement parler anglais pour être éligible ???
    avez-vous entendu PYM parler allemand ???
    la critique est aisée… et la confiance aveugle qu’en faites-vous ???
    on en reparle dans une année ???

    1. @MARKEFREM: Vous accepteriez de voler à bord d’un avion conçu en s’appuyant sur le “gros bon-sens” paysan ?! 🙂

      1. “Vous accepteriez de voler à bord d’un avion conçu en s’appuyant sur le “gros bon-sens” paysan ?!”

        N’est-ce pas toujours mieux que de ne s’appuyer sur rien, comme les “plus lourds que l’air”?

        “Si les gens savaient quelle m… il y a dans l’informatique des avions, ils n’y mettraient plus jamais les pieds!”.

        Non, ce n’est pas un paysan allergique aux voyages aériens qui fait ce constat à partir de son “gros bon sens” – la chose du monde la mieux partagée, comme on sait – mais un ingénieur informaticien français, spécialiste de l’informatique aérienne, devant un groupe d’étudiants postgrades en informatique à l’EPFL, dont votre serviteur, au milieu des années 1990.

        Depuis, jusque là adepte incurable de l’avion, je n’y ai plus jamais remis le pieds.

        1. “N’est-ce pas toujours mieux que de ne s’appuyer sur RIEN, comme les “plus lourds que l’air”?” Ah bon? Les “plus lourds que l’air” volent donc dans le vide spatial (essayez de faire voler un avion dans “rien”)?! Sur quoi “s’appuient” leurs ailes à votre avis; même si en fait elles bénéficient plus d’une aspiration, par la dépression crée sur leur extrados (env. 2/3 de la portance), que d’une “poussée par en dessous (intrados)” (env. 1/3 de la portance)?

          1. C’est bien cette dépression créée par la différence 2/3-1/3 que j’entendais par “rien”. Je n’ai pas précisé si elle se situait sur l’aile (extrados) ou au-dessous (intrados). Merci donc d’avoir rappelé ce “petit rien”, ce vide bien réel que je ne me hasarderais pas à comparer au vide spatial et qui ne permet pas moins de maintenir un avion en vol.

          2. @VAV: A vouloir absolument avoir le dernier mot vous ne faites que vous enfoncer. C’est bien parce que les avions volent dans l’air, et non dans “rien”, que leurs ailes peuvent créer une portance. Il n’y a aucun vide de créé, ni “différence” à faire intervenir (au contraire, les deux force s’ajoutent), mais, du fait. de la forme des ailes, une dépression au-dessus de l’aile et une surpression au-dessous, ce qui génère la portance. Votre “explication/rectification” ne vaut rien (là, le terme est correct :-))!

          3. Navré, je ne suis pas physicien. J’assume dont ma totale nullité dans ce domaine. En revanche vos explications, qu’on peut d’ailleurs trouver partout y compris sur des sites en ligne qui expliquent aux enfants comment un avion tient en l’air, ne m’aident en rien à comprendre pourquoi, si la portance dépend de la différence entre l’intrados et l’extrados, un avion peut aussi voler à l’envers – par exemple, un avion d’acrobatie, ni pourquoi certains avions ont les ailes plates. Elles ne me disent pas non plus pourquoi un avion en papier, avec ses ailes plates, peut tout simplement voler.

            Pour combler les lacunes de ma stupidité naturelle, j’ai donc consulté une intelligence (très) artificielle qui m’a proposé une représentation numérique de la manière dont l’air s’écoule autour d’un profil d’aile selon l’aérodynamique de Kármán – Trefftz, Vous en trouverez l’animation ici: https://en.wikipedia.org/wiki/File:Karman_trefftz.gif.

            Sur ce, je vous quitte et vous laisse le dernier mot, car mon marsupilami a de nouveau fait sur le canapé.

            bav
            vav

      2. @Jacques Neirynck et @Pierre-André Haldi. Merci d’expliquer quel objet ou système un conseiller fédéral doit construire ? Aucun.
        Vous oubliez qu’un politicien, et dans le cas d’un conseiller fédéral, on est bien plus proche d’un gestionnaire, n’a pas besoin de compétences techniques pointues. Par contre il doit s’entourer de personnes qui l’éclairent et lui donnent une vision des conséquences de chaque décision ou non décision.

        D’ailleurs, combien de chimistes à la tête des entreprises de chimie ? Pareil pour les entreprises de construction avec des maçons, les entreprises de métallurgie et de machines avec des ingénieurs ? Combien d’électriciens à la tête des entreprises électriques suisses ?

        Il faut comprendre qu’à partir d’un certain niveau d’organisation, le besoin des spécialistes disparaît: on entre dans la gestion, le fameux management.

        Je pense que markefrem touche un point proche de la vérité en parlant de “gros bon-sens” paysan: un agriculteur n’a pas besoin de connaître le cycle de Krebs pour élever du bétail ni celui de la photosynthèse pour faire pousser des céréales. Par contre chaque matin, il doit décider ce qui doit être fait dans la journée sur la base d’informations parcellaires, et il ne peut pas perdre du temps à chercher l’information manquante, car sinon il perd son temps et rien ne sera fait. Pire, en ne faisant rien, le résultat peut être plus désastreux que de faire quelque chose de faux.

        1. @CRERAT: Ne faites pas semblant de ne pas comprendre! Les remarques de M. Neirynck et moi-même ne faisaient que répondre, avec un brin d’ironie, au commentaire de MARKEFREM qui introduisait LUI les ingénieurs dans ce contexte. Ce n’est pas pour dire que des ingénieurs devraient nécessairement intégrer le C.F. (encore que, ce ne serait pas forcément plus mal) mais pour souligner que “à chacun son métier et les vaches seront bien gardées”, pour revenir au monde paysan (!). D’ailleurs, à ce propos, même les paysans pour la plupart font de nos jours des études pour bien s’occuper dune exploitation agricole et ne se fient plus uniquement à leur “gros bon sens”. Un Conseiller fédéral, même s’il dispose dune bonne équipe de spécialistes, doit en fin de compte être capable de procéder à des arbitrages, et pour cela mieux vaudrait qu’il ait une minimum de connaissances solides dans le domaine concerné. C’est parce que cela n’a pas toujours été le cas que nous faisons face maintenant à une crise énergétique potentielle, du fait que des décisions ont été prises en se basant trop sur des présupposés/préjugés plutôt que des réalités scientifiques objectives, malgré les avertissement de nombre d’ingénieurs et scientifiques concernés (j’ai moi-même participé à l’époque à des études qui tiraient la sonnette d’alarme en prévoyant l’arrivée à terme de sérieuses pénuries d’électricité hivernales avec la politique suivie et, malheureusement, aujourd’hui nous y sommes).

  6. Monsieur Neyrinck,
    Excellente analyse. Le vent de la modernité a soufflé. . . on se croirait en France !

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