Tout produire chez soi?

 

 

Si la guerre cause la mort et la destruction, elle enseigne aussi cruellement quelques vérités élémentaires. La première et la plus gênante est l’origine du budget militaire russe qui dépend des achats de gaz et de pétrole de l’Occident. Dans certains pays, on ne peut même pas s’en passer, on en est totalement dépendant. Ceci enseigne que l’approvisionnement en énergie d’un pays doit être assuré pour l’essentiel sur son territoire, sans importation massive de combustibles que ce soient du pétrole, du gaz ou de l’uranium, qui sont du reste des ressources non renouvelables, qui s’épuisent et qui deviennent plus rares et plus chères. A ce titre la pitoyable déclaration de l’UE proclamant que le gaz et l’uranium étaient des énergies vertes s’effondre dans le ridicule suite à la guerre d’Ukraine. Ce sont d’abord des leviers de chantage.

Pour la Suisse l’équation est simple : les barrages, le recours à la géothermie et pour le reste l’énergie solaire captée sur le sol suisse, par des cellules photovoltaïques ou des éoliennes. Tout le reste est précaire. Même si nous possédions en droit une forêt d’éoliennes en mer du Nord, produisant une énergie pour la Suisse, qu’est-ce qui nous prouve qu’en cas de grave pénurie elle sera bien acheminée vers le territoire ? L’approvisionnement en énergie est vital non seulement pour assurer la mobilité, le chauffage des logements mais aussi l’activité agricole et industrielle : c’est la ressource vitale d’un pays développé. Ala marge on peut profiter des occasions fournies par le marché en temps de paix mais nous venons d’apprendre qu’on ne peut plus s’y fier.

Ce qui est vrai pour l’énergie, l’est aussi pour l’alimentation. La guerre diminuera ou supprimera les importations de blé ou d’huile de la part des deux belligérants. La Suisse dans l’expérience de la seconde Guerre mondiale soutient son agriculture qui disparaitrait si elle était soumise à la seule loi du marché international. On dispose donc encore d’un outil de production national qui assure environ la moitié de nos besoins : Il mérite d’être développé et surtout orienté vers les productions essentielles. Produire plus de céréales peut signifier mettre en culture des pâturages ou diminuer l’élevage de bétail qui en consomme. Il faut donc élaborer un nouveau plan Wahlen pour une population qui a plus que doublé en un siècle. C’est la condition d’une véritable autonomie pour une indépendance réelle.

On peut et on doit étendre cette réflexion à d’autres domaines. L’épidémie a enseigné qu’il est dangereux de laisser la fabrication des molécules de base en pharmacie à l’Asie. Nous dépendons sans doute sans trop le savoir de l’importation d’autres produits vitaux. Certes un pays de la taille de la Suisse ne peut pas tout produire mais il doit s’ingénier à ne dépendre que de son voisinage géographique et politique. L’UE vient de prendre la décision de grouper ses achats de gaz après avoir entamé une politique d’emprunt au niveau communautaire.  Au terme d’une réflexion approfondie sur l’assurance de nos besoins vitaux, nous serons peut-être amenés à conclure qu’il vaut mieux faire partie d’un grand ensemble que d’être isolé en temps de malheur. De façon tout à fait objective et pragmatique, il est temps que le continent s’unisse non seulement pour peser dans les conflits mais tout simplement pour survivre.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

13 réponses à “Tout produire chez soi?

  1. Il faut distinguer deux choses: la dépendance aux énergies fossiles, qui doit être réduite autant que possible; et l’acquisition de produits étrangers qui reste le plus souvent bénéfique. La Suisse a moins de vent que la mer du Nord et moins de soleil que le Sahara. Pourquoi ne pas établir des réseaux d’échanges entre ce que la Suisse est capable produire et ce que d’autres ont en abondance? Alors certes, en cas de crise, les réseaux d’échange peuvent être mis à mal. Eh bien, employons-nous à éviter les crises (plutôt que de les alimenter, comme on est en train de le faire en fournissant des armes à l’Ukraine). L’autarcie est un mythe qui n’a jamais fonctionné. Même au Moyen Âge, les villages ne vivaient pas du tout en autarcie, comme l’a bien montré la Pr. Anne Radeff dans sa thèse, Du café dans le chaudron. Ce sont les réseaux d’échange qui contribuent au développement en permettant de compenser les manques d’une région par les excès d’une autre.

    1. Mieux vaut vivre dans un monde d’échanges de toutes espèces. Sauf si ce monde cesse de fonctionner comme il l’a fait déjà et comme il risque de le faire. Dans cette situation il faut assurer les besoins vitaux. Tel est l’objet du blog. C’est définir une économie d’urgence, loin d’âtre idéale.
      Evidemment mieux vaudrait éviter les crises. Mais ce n’est pas toujours évident, immédiat ou possible. C’est l’exercice que l’Occident s’exténue à poursuivre avec un Poutine incontrôlable. On verra ce qui va advenir!

  2. Cher Monsieur Neyrynck,

    Vos analyses sont pertinentes, votre lucidité et votre expérience font que votre sagesse sont appréciées.

    Elles vous ont fait glisser un « peut-être » dans votre conclusion : « nous serons peut-être amenés à conclure qu’il vaut mieux faire partie d’un grand ensemble que d’être isolé en cas de malheur. »

    Cette modération s’oppose idoinement aux propos passionnés que développait J.C.Delamuraz. Il fallut tant d’autres débats enflammés dans les chambres fédérales pour finalement ne pas nous intégrer.

    Tant mieux parce qu’intégration entraîne toujours ingérences.

    Que le continent s’unisse pour peser dans les conflits et pour survivre est « peut-être » souhaitable. L’idéal serait que le continent et le monde s’unissent pour résoudre les innombrables problèmes générés par orgueil, haine, ressentiment, jalousie, voracité de l’Homme.

    En comprenant l’origine des perturbations mentales qui nous affligent tous, nous pourrions vivre longtemps, dans la paix et le contentement.

    Ah si 7 continents étaient chacun représentés par 7 sages et la terre elle-même par 7 sages …

  3. Certes, nous allons de plus en plus électrifier notre consommation énergétique pour nous déplacer et pour nous chauffer, avec des véhicules électriques (VEL) et des pompes à chaleur (PAC). Rappelons que 4 millions de VEL représenteront 12 TWh/an (milliards de kWh par an) et 1 million de PAC peut-être encore 15 TWh/an. Notre consommation actuelle d’électricité qui est de 60 TWh (y compris 4 TWh de pertes dues au réseau électrique !) passera facilement à au moins 85 à 95 TWh/an quand on se passera des agents fossiles avec une population qui sera passée de 8,5 à plus de 10 millions d’habitants. La « Stratégie énergétique 2050 » et les « Perspectives énergétiques 2050+ » prévoient de se passer du nucléaire et de recourir aux éoliennes (évidemment toutes importées !) et aux installations photovoltaïques (PV), au moins 200 km2 de modules (également tous importés, la plupart de Chine !). Vous parlez de renoncer aux importations massives de pétrole et de gaz, mais cela sera à remplacer par des importations massives d’autres machines, modules PV, ou de matériaux et de métaux rares. Et si l’on fait l’addition de ces éoliennes, du PV et de la géothermie, tels que prévus pour 2050, ou 2050+, on voit assez rapidement que le compte n‘y est pas, même en dépensant les plusieurs dizaines de milliards nécessaires.

    1. Le problème n’est pas de savoir si nous risquons de ne plus pouvoir importer de gaz, de pétrole et d’uranium, parce que ce risque est maintenant matérialisé. Le problème est de se préparer à cette occurrence. En étant conscient qu’on est parti pour gérer une pénurie, qu’il faudra économiser de gré ou de force.

      1. N’est-ce pas curieux? Toute une génération, celle qui a vécu les deux guerres mondiales et donc parente de celle qu’on appelle aujourd’hui, par dérision, les “baby boomers”, n’a connu dans sa très grande majorité ni voiture, ni voyages par Easy Jet, ni congélateur, ni machines à laver linge et/ou vaisselle, ni télé, ni ordinateurs, ni smartphones, ni tablettes, ni gadgets aussi inutiles qu’interconnectés, ni hausse du pouvoir d’achat, ni climatisation, ni… ni…

        Pourtant, ils ont survécu et même avec la joie de vivre, sans devoir courir chez leur psy à la moindre contrariété. Comment diable ont-ils fait, nos “vieux”?

        A l’heure où les conseillers ès sobriété toutes catégories prolifèrent comme des cancrelats, deux ans de pandémie et d’austérité plus ou moins bien acceptée ne devraient-elles pas nous avoir inspiré un peu de sagesse? Ou faudra-t-il une troisième guerre mondiale pour nous ramener enfin au bon sens? Sauf qu’après la troisième, comme disait Einstein, il restera bien peu de gens pour connaître la quatrième.

    2. Meyerburger et d’autres produisent des modules PV d’excellente qualité. Entreprise Suisse, production en Allemagne.
      Par ailleurs ce sont des dépendances bien différentes, entre l’outil de production et ses consommables. (Par ailleurs, à vous lire, on pourrais croire que nous pourrions fabriquer ces centrales nucléaires qui vous plaisent tant sans rien importer)

  4. L’auteur ne va pas jusqu’au bout de sa réflexion, d’ailleurs il ne peut pas se le permettre, because politiquement incorrecte; La Suisse avec bientôt 10 millions d’habitants n’arrive même pas à nourrir de son sol la moitié de sa population et de produire de l’énergie propre que pour la moitié aussi. Halte à l’immigration de masse! très bon article qui ne tient pas compte du fait que l’économie dirige la politique et jamais l’inverse ne fut le cas !

  5. La fin du dieu dollar ?
    Ce 24 mars 2022, André Bercoff sur SUD Radio interviewait Philippe Herlin dans une émission intitulée «Poutine, gaz et rouble, Zelensky – que la France défende ses intérêts !»
    (https://nam12.safelinks.protection.outlook.com/?url=https%3A%2F%2Fm.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3Dlc5iPbwV91c&data=04%7C01%7C%7C3775584447fc409ab9f808da0ef3c351%7C84df9e7fe9f640afb435aaaaaaaaaaaa%7C1%7C0%7C637838737375070992%7CUnknown%7CTWFpbGZsb3d8eyJWIjoiMC4wLjAwMDAiLCJQIjoiV2luMzIiLCJBTiI6Ik1haWwiLCJXVCI6Mn0%3D%7C3000&sdata=xtAVYH0MjJ7kSX0FFCOJ1bFrVbQfqeX22Kuth4Yn3WE%3D&reserved=0)

    André Bercoff, journaliste franco-libanais, 81 ans, est un journaliste à l’ancienne, honnête et qui fait de l’information plutôt que d’exposer ses sentiments personnels. Ces qualitatifs peuvent également s’appliquer à SUD Radio, un des rares media d’information libre et indépendant.

    Philippe Herlin, jeune économiste, chercheur en finance, écrivain et entrepreneur français, Docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers en 2012, a publié six ouvrages sur la crise financière, la dette publique, l’or, le bitcoin et l’ubérisation des banques (La Fin des banques ? 2015).

    Il révèle que, pendant que les occidentaux accablent la Russie de sanctions économiques et financières, les Européens et en premier lieu l’Allemagne très largement dépendants du gaz russe ne pourront pas s’en passer et continueront d’en importer malgré les mesures de soi-disant d’embargo des occidentaux.

    En réponse, Vladimir Poutine (le fou !?!) impose l’obligation pour les produits russes exportés d’être payés en Roubles ! Depuis l’offensive russe en Ukraine et les sanctions de l’Occident, le Rouble s’est effondré sur le marché international. Pour payer leurs importations de Russie, les Occidentaux vont devoir acheter du Rouble sur ce marché et le payer avec leurs Dollars, leurs Euros et leurs réserves d’or. La valeur du Rouble, face à la demande, va monter en flèche et celle du Dollars et de l’Euro va perdre considérablement, voire s’effondrer.

    Si l’on veut féliciter les Occidentaux pour leurs gesticulations et leur communication, il y a lieu de constater que leurs économistes réagissant émotionnellement dans l’immédiat ont été incapables d’anticiper les conséquences de leurs actions alors que Vladimir Poutine, lui, avait tout prévu !

    Et la France dans tout cela ? Emmanuel Macron, ministre des Finances puis Président de la République, éminent économiste, copain des Américains de des Allemands, qu’a-t-il prévu d’autre que de ruiner son pays en jouant le Roitelet mondial ? La France bénéficie d’une position économique ancienne et stratégique en Russie: 6ème fournisseur (part de marché de 3,5 %), 2ème pourvoyeur de flux d’IDE (environnement de développement intégré) hors zones à fiscalité attractive, 2ème stock d’IDE dans le pays et 1er employeur étranger. Des partenariats stratégiques ont été établis de longue date (énergie, aéronautique, nucléaire, spatial) et de nouveaux secteurs de coopération porteurs d’opportunités pour les entreprises françaises émergent (transition énergétique, villes intelligentes et nouvelles mobilités, innovation, santé).
    (Relations économiques France – Russie – RUSSIE | Direction générale du Trésor (economie.gouv.fr)

    Après avoir permis la vente d’Alstom aux Américains, Emmanuel Macron brade Renaud, Auchan, Leroy Merlin et autres fleurons de l’économie française aux Russes ! En effet, devant 160’000 de ses ressortissants abandonnés au chômage par leur employeur français, l’Etat russe se verra contraint de nationaliser ces entreprises, sans contrepartie, et d’acquérir ainsi leurs technologies, savoir-faire et potentiel commercial sans frais. Les Américain et les Allemands se moquent publiquement de lui. Bravo Monsieur Macron !

  6. Je prends aux mots la gauche.
    Consommer = financer la guerre.

    Je demande donc la fin des exportations d’Arabie Saoudite, pays en guerre contre le peuple du Yemen.

    Plutôt marcher que financer les bombes des dictatures soutenues par la gauche.

  7. Donc pour définancer la Russie, on va financer davantage l’Arabie Saoudite? : la Russie a tué 1200 civils Ukrainiens, l’Arabie saoudite 377 000 yéménites. Et découpé notamment un journaliste sur le territoire de l’OTAN.

    Je comprends plus rien…
    L’opinion de nos dirigeants est à acheter ? En pétrodollars ? Nous pourrions punir les deux, avec du gaz de schiste européen. Les écolos avaient tort pour le nucléaire, pourquoi les écouterions-nous pour le gaz ? Gage de notre indépendance ! Creusons, développons et protégeons-nous !

  8. Et c’est même plus grave que ça: notre industrie du biscuit ne peut plus se passer d’huile de palme Indonésienne ! (nous venons de signer un accord après l’aval du peuple dans sa grande sagesse). Qu’allons-faire en cas de coup d’Etat Islamiste là-bas ?

    Trève de sarcasmes, pour atteindre votre objectif, il faudrait tout reprendre à zéro et pour un petit pays (champion dans l’hébergement des multi-nationales), ça va être difficile: 8.6 mio d’habitants, ça fait peu de clients pour les montres de luxe …

    Protéger certains secteurs ? eau, énergie, éducation, nourriture, santé, logement, défense, etc.

    Mais vous n’y songez pas ! Et la main invisible du Marché ! D’ailleurs, nous avons déjà voté contre la libéralisation du marché de l’énergie, non ? Mais c’était aller contre la nature et la volonté divine ! Donc on libéralise quand même !

    Reprenez-vous, voyons, on frise le communisme avec ces propos !

  9. Bonjour,

    “Produire plus de céréales peut signifier mettre en culture des pâturages ou diminuer l’élevage de bétail qui en consomme. Il faut donc élaborer un nouveau plan Wahlen pour une population qui a plus que doublé en un siècle. C’est la condition d’une véritable autonomie pour une indépendance réelle.”

    Ah il aura fallu une guerre pour que l’idée commence à être formulée…

    Vers une alimentation moins carnée ? Et plus ayurvédique ?

    Le changement c’est difficile au début, jusqu’à ce que lui aussi devienne une habitude.

    Vos enfants vous diront : merci.

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