La RTS met les religions au placard numérique.

« La direction de la RTS l’a annoncé fin juin aux producteurs de l’émission Faut pas croire: le magazine de décryptage du fait religieux proposé par la télévision de service public ne reviendra pas à l’automne 2022. En cause : les mesures d’économies auxquelles doit faire face l’entreprise audiovisuelle, qui doit économiser 15 millions de francs d’ici à 2024 et plus ou moins 5 millions de plus en 2025. D’autres formats sont également touchés par ces coupes budgétaires : le magazine T.T.C. va disparaître et Infrarouge se voir raboter, la suppression de l’unique format destiné à empoigner les questions de sens et de croyances interroge, à un moment où précisément celles-ci se révèlent toujours plus sensibles. En 2016, la RTS avait déjà projeté des mesures d’économies drastiques à l’endroit des émissions, alors radio et télévision, de RTSreligion. Une pétition de contestation avait alors recueilli en quelques semaines plus de 27 000 signatures, forçant la RTS à revoir sa décision. »

Suite à cette décision, le communiqué de presse des directeurs de Médias-pro et Cath.ch, producteurs de l’émission et partenaires historiques de la RTS au sein de RTSreligion, proteste en arguant que cette suppression annonce la fin d’une offre éditoriale religieuse, spirituelle et éthique en télévision. Dans le contexte de repli identitaire, de défis éthiques majeurs et d’interrogations sur les questions de sens, cette suppression leur parait incompréhensible.

Nous n’entrerons pas dans la controverse budgétaire, selon laquelle RTSreligion subit une coupe plus substantielle que les autres magazines. Nous essaierons plutôt de comprendre ce que signifie cet abandon. Certes la TRTS annonce que le magazine télévisé sera remplacé par une offre numérique, propre à séduire les jeunes. Mais cela ne répond pas à l’attente de ceux qui ne maîtrisent pas l’outil informatique, soit parce qu’ils n’ont pas d’ordinateur, soit parce qu’ils sont maladroits dans son utilisation. On peut être croyant sans avoir besoin d’un ordinateur.

Un service public de la télévision romande, au milieu du déferlement de plus d’une centaine de chaînes francophones remplit un rôle essentiel dans l’identité nationale et régionale, spécifiquement par ses magazines. Ceux-ci sont évidemment plus couteux à produire que la simple retransmission de séries télévisées achetées à l’étranger, usagées par l’emploi, porteuses de « valeurs » qui ne sont pas nécessairement celle de notre peuple et qui inévitablement les modifient.

En l’occurrence, il s’agit ici de religion, sujet sensible entre tous. En perte de vitesse si l’on se fixe sur la pratique. Selon l’Office fédéral de la statistique, ses résultats  confirment  la forte progression des sans-confession de 10 points entre 2000 et 2012-2014. Celle des catholiques romains et des membres des Églises nationales protestantes a diminué respectivement de 4,3 et de 7,7 points. Les musulmans ont augmenté leur proportion d’1,4 point, comptant actuellement pour 5% de la population. Les communautés juives sont restées stables, environ 18 000 personnes.

Face à cette réalité une fraction des décideurs peut être tentée de croire que le phénomène religieux fait partie d’un passé qui se dissout progressivement dans une indifférence et une ignorance, qui croissent irrésistiblement. Est-ce une raison pour accompagner ce mouvement de désaffection, voire pour l’accélérer ? En d’autres mots, la Suisse romande peut-elle non seulement se passer de religion ou minimiser son importance, mais se débarrasser le plus vite possible de cet encombrant héritage du passé ?

Il faut dire que les Eglises ont récemment fourni des arguments pour adhérer à cette solution radicale : scandales sexuels et spirituels, utilisation d’un langage peu adapté à l’époque, querelles internes, insensibilité à la participation croissante des femmes dans la vie publique. Les pouvoirs publics soutiennent les confessions non pas pour en affirmer l’authenticité mais en fonction de leur rôle social. Or quel est-il ? Comment les religions ont-elles accompagné les mouvements de fond de notre époque : pandémie, transition climatique, mondialisation, inégalités sociales, montée du féminisme ? Elles ne sont pas restées indifférentes, mais elles n’ont plus joué le rôle premier des siècles antérieurs. Lorsque les vaccins et  les antibiotiques, n’existaient pas, les sociétés confrontées à la peste n’avait d’autre recours que les prières et l’espérance d’une vie éternelle après une mort misérable. Le temps n’est plus où la seule ressource en temps d’épidémie était la neuvaine et la procession. Cela n’arrêtait pas le virus mais cela donnait du courage, y compris à ceux qui risquaient leurs vies dans des opérations de samaritains. Les Eglises n’ont rien dit en temps de Covid  et leur discours fut assourdissant de silence et d’impuissance. Comme les religions n’apparaissent plus utilitaires, d’aucuns en déduisent qu’elles ne sont plus utiles.

Or, la foi religieuse n’a pas pour critère d’être utile à quoi que ce soit, son action ne se calcule pas . Elle fait partie de la culture d’un peuple au sens le plus élargi, elle se nourrit et nourrit toutes les autres composantes de celle-ci : littérature, théâtre, architecture, musique, peinture, langage, calendrier. Sans connaissance de la religion, des pans entiers de notre vie sociale deviennent incompréhensible alors que leur connaissance est en revanche porteuse de sens. La fête de Noël, si populaire, attendue comme un répit au seuil de l’hiver, célèbre le solstice, hérite des Saturnales romaines mais aussi rappelle la naissance de Jésus de Nazareth, qui a marqué le début de l’ère dans laquelle nous comptons les années.

Philippe Gonzalez, de l’Université de Lausanne estime qu’en tant que visions du monde, les religions engagent non seulement des individus particuliers, mais aussi des communautés, des citoyens. Il est essentiel d’en parler. Sans réelle émission de décryptage du fait religieux, il est à craindre que son traitement médiatique ne se réduise aux actualités problématiques : les scandales sexuels dans les Eglises, la radicalisation de l’islam ou encore les dérapages de certains évangéliques, comme lors de l’attaque du Capitole. En d’autres mots que les religions ne soient plus que des objets de scandale, suscitant la répulsion et donc l’incompréhension de ce qu’elles ont représenté et de ce qu’elles peuvent devenir.

Face à la mutation sociale et économique due à la variation climatique, il est temps de réaliser que le cultuel et le culturel ont maintenant intérêt à refonder leur alliance traditionnelle. Il en était ainsi à l’origine :  lorsqu’en -430 Sophocle écrivit Œdipe-Roi , le théâtre jouait à Athènes un quadruple rôle, politique, civique, moral et religieux. Ce n’est pas un divertissement mais une célébration, carrément une liturgie, mot d’origine grecque qui signifie « service du peuple ». Les Eglises catholiques, anglicanes, évangéliques et orthodoxes ont plus ou moins gardé cette inspiration théâtrale, qui fait quelque peu défaut dans certaines églises réformées. Réciproquement, il est impossible d’assister au ballet de Béjart sur la neuvième symphonie sans en ressentir la dimension liturgique, hors toute référence religieuse.  Dans l’épreuve que nous subissons et qui risque de perdurer, les théâtres et les églises doivent et peuvent jouer un rôle pourvu qu’elles puissent fonctionner, les unes et les autres.

Or, la télévision représente pour une fraction de la population, moins favorisée, le seul accès à ce monde de la transcendance. Celui-ci doit d’abord être décrypté ce qui est la fonction de Faut pas croire. Si cette émission disparait dans les brouillards du numérique, une fonction importante du service public n’est plus remplie.

Le peuple l’a décidé en réduisant la redevance et la Conseil fédéral en le suivant : la redevance radio/TV baisse de trente francs. Les ménages paieront 335 francs par an dès 2021, au lieu de 365 francs auparavant. Moins d’argent public signifie plus de recours à la publicité. Celle-ci n’est évidemment pas gratuite et ses résultats sont soigneusement scrutés par les annonceurs. Or, pour qu’elle agisse il faut qu’elle s’adresse à l partie la plus influençable de la population et donc la moins éduquée et la moins équilibrée. Pour recruter cet auditoire, il faut lui proposer des émissions à sa portée. Manifestement Faut pas croire ne remplissait pas cette fonction. La direction de la RTS en a tiré une conclusion qui ressort strictement de la gestion financière et qui ignore la culture.

 

 

 

 

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

19 réponses à “La RTS met les religions au placard numérique.

  1. Merci pour cette très juste analyse, teintée de protestation un peu désespérée. Seulement à toute analyse désespérée manque quelque chose. L’absence d’espérance est précisément le symptôme d’une religion qui s’en va à vau l’eau. Il faut voir dans la désaffection de nos contemporains pour la religion, en Occident, un signe des temps, annoncé par les prophètes, le christianisme étant, pas moins que l’islam, premièrement une religion prophétique. Si les évêques, les prêtres et les catéchistes n’ont rien à dire sur la pandémie actuelle, il y a encore des spirituels, des mystiques et des visionnaires, pour y reconnaitre le premier cavalier de l’apocalypse, avant une guerre, des catastrophes naturelles et enfin un temps de paix. Au vu de l’actualité, cette perspective est de moins en moins une divagation, tout cela est lié même si notre raison humaine ne peut pas embrasser ces événements d’un seul coup d’œil et fonder une prédiction certaine – l’annonce de malheurs est nécessairement incertaine puisque les événements annoncés peuvent changer en fonction de la réaction des gens. Bref l’abandon de la religion par beaucoup de nos contemporains est plus le signe d’une urgence spirituelle (d’une soif ?) que celui d’un accomplissement du positivisme issu du XIXe siècle. L’émission Faut pas croire apportait des clés de cette lecture, la disparition de ces clés doit nous ramener vers cette partie de nous-même qui nous fait sans doute un peu peur, la parole prophétique. Relire Charles Péguy ?

  2. « les religions ne soient plus que des objets de scandale, suscitant la répulsion et donc l’incompréhension »

    Mais n’est-ce pas là exactement le but recherché ?

    La vague purificatrice du progressisme autoritaire qui déferle actuellement sur l’Occident n’a pas fini de nous surprendre. La machine à surveiller et exclure monte lentement en puissance : hier les fumeurs, aujourd’hui les mal pensants, les non-vaccinés ou les religieux. Demain qui ? Les gros ? Les personnes désignées sexistes, racistes ou pollueuses par tous les Savonarole aux petits pieds ? Vous peut-être ?

    Nous n’en sommes qu’au début et la liste des indésirables va continuer à s’allonger au gré des crises diverses qui nous attendent.
    Je pense que les thuriféraires enthousiastes d’aujourd’hui devraient faire preuve de prudence car il pourraient à leur tour faire partie des proscrits de demain.
    Ce ne serait pas le première fois dans l’Histoire qu’une révolution finirait par dévorer ses propres enfants.

  3. Kto tv, plus nécessaire que jamais.

    De toute manière, le peuple prochainement majoritaire n’a que faire de nos rites et traditions. Et s’adresser à la jeunesse, signifie amplifier le pourcentage de la diffusion d’émissions à leur destination. Ils sont notre avenir, notre chance.

    https://m.youtube.com/watch?v=aZruOuntalc

  4. Je partage l’opinion relatée ce jour dans votre blog. Le spirituel a été sauvagement sacrifié en faveur d’une puérile comptabilité financière à échéances trimestrielles, évidemment sans avenir. C’est bien dommage.

  5. L’émission “Faut pas croire” n’a rien de transcendant ! Ce n’est qu’une manière de perpétuer les superstitions absurdes qui nuisent à l’humanité ! Elle n’a jamais inclus les personnes qui ne se reconnaissent plus dans les religions millénaires enfermées dans leurs dogmes …
    Il faudrait qu’elle élève un peu le débat , en particulier de l’existence ou non de Dieu … des divergences et conflits inter religieux qui renvoient à tous les faits absurdes que drainent les différentes croyances !
    Les gens croient-ils parce qu’on leur a dit que Dieu existe ? ou par conviction personnelle ?
    Historiquement parlant, ce sont d’abord les pouvoirs politico-religieux qui ont imposé les religions , parce qu’ils leur donnaient la légitimité pour gouverner (des pharaons, dieux vivants, jusqu’à l’empereur du Japon ).
    Mais depuis la révolution, la légitimité du pouvoir est acquise par la majorité du peuple, la religion restant une affaire strictement personnelle , du moins en Europe …
    Position de Laplace au XIX e siècle
    ” Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ”
    Einstein, à propos de la physique quantique ” Dieu ne joue pas aux dés ! ”
    Sauf que les expériences ont donné tort au physicien … ( même les prix Nobel peuvent se tromper !) .
    Mahomet est-il le dernier prophète, comme le prétendent les musulmans , ou bien les Galilée, Darwin, Hubble ,,, ont-ils pris la succession ?
    Dieu n’est-il que le symbole de l’éternité , interprété autant de fois que les étoiles dans le ciel ?
    (…)
    Des questions qui ne sont jamais débattues par le service public se contentant de témoignages basiques …

    1. On ne va pas regretter l’émission “Faut pas croire” dont la finalité était, comme son nom l’indiquait, de tuer la foi religieuse ou ce qu’il en reste (en la remplaçant par l’étude du “fait religieux”). Si on voulait la remplacer par une émission où des prêtres et des pasteurs exposeraient la foi chrétienne, en débattant éventuellement de leurs divergences théologiques, et si l’on insistait sur le fait que la Suisse est, et doit rester, un pays chrétien, tout en se montrant bienveillante envers les croyants d’autres religions, on devrait s’en réjouir car ce serait un progrès. Mais en attendant, la disparition de cette mauvaise émission est un bon débarras.

    1. D’après les responsables, le taux d’écoute que l’on peut attendre au moment où elle est diffusée, ni plus, ni moins. Ce n’est pas l’argument utilisé par la TSR..

  6. L’article suppose à tort que les programmateurs sont doués de sentiments nobles; éducatifs, etc. et animés par le devoir du service publique; offre diversifiée, etc. mais pas du tout. Le sort d’une émission est dictée par son taux d’audience, et les gauchos majoritaires hélas dans ce secteur, sont conceptuellement anticléricaux. Je me suis toujours demandé comment de telles émissions survivent encore pourtant elles sont bonnes, à chaque fois j’ai appris des choses et corrigé des convictions fausses. Très bon article !

  7. Je ne sais pas si M. Neirynck ou ses partisans suivaient régulièrement “Faut pas croire”. Moi si. La réalité est que cela fait déjà un moment que ce n’est plus une émission sur la religion (comme à l’époque de C. Bachofner, bien que sous son règne le changement a déjà commencé) au point qu’on a du mal – de par les sujets abordés et leur traitement – à la différencier de “Temps présent” ou de “Mise au point” par exemple.

    1. Le problème majeur des religions est de s’ouvrir aux véritables problèmes de notre temps dans le langage du siècle et de prendre de la distance avec les références mythologiques que plus personne ne comprend dans l’opinion publique.

      1. Sauf que là on parle d’une émission du “décryptage du fait religieux” spécifiquement, pas ” des religions”. “Faut pas croire” ne fait plus cela depuis un moment, le “décryptage” donc – la regardiez vous régulièrement?
        Pour le reste, on a déjà “Temps présent” et ” Mise au point”, voire “Géopolitis” qui touchent les “véritables problèmes de notre temps” y compris en rapport avec les religions.

  8. “Pour que la publicité agisse il faut qu’elle s’adresse à la partie la plus influençable de la population et donc la moins éduquée et la moins équilibrée. Pour recruter cet auditoire, il faut lui proposer des émissions à sa portée.”
    Eh oui! Faut-il rappeler ces mots du “regretté” Patrick Le Lay, alors PDG de TF1: «Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.»
    “Regretté”, parce que lui au moins osait le dire!

  9. L’Eglise catholique romaine a sonné l’envoi de la désacralisation avec Vatican II. Le monde actuel, adorareur du matériel, a rejeté le spirituel parce qu’il ne lui est plus enseigné et qu’il ne le comprend plus.
    A quoi peut donc servir un émission religieuse aujourd’hui ? Et comme la Nature a horreur du vide, toutes sortes de doctrines s’y engoufrent sans avoir besoin d’user de la force !

  10. Monsieur Neirynck ancre les émissions religieuses dans une longue histoire du sens. Merci. Curieusement, on peut se rappeler que les premières émissions religieuses à la TV romande y ont été diffusées avant même l’apparition du Téléjournal à Genève ! Et même avant la création officielle de la TV le 1er novembre 1954. Déjà dans la période d’essai, l’abbé Bouvier recueille le témoignage de l’abbé Pierre le 31 mai 1954. L’émission « Méditation » s’installe le 12 septembre 1954. S’ajoutera bientôt « C’est demain dimanche », puis on trouve successivement « Présence » (protestante, catholique, ou catholique-chrétienne), « Vespérales » qui a donné expression à tant d’artistes de la musique et des arts plastiques, « Regards », le reportage au long cours, « Empreintes », « Racines » qui recueillait des audiences entre 60 et 90’000 téléspectateurs dans sa programmation du dimanche avant le Téléjournal (et même une fois 140’000), « Dieu sait quoi » dans une option parfaitement interreligieuse, « Sur le parvis » avec des personnalités des mondes religieux, puis « Faut pas croire » sous diverses formes. La spécificité des émissions religieuses, c’est d’avoir duré ! d’avoir traversé toutes les révolutions culturelles et techniques pour dire que « la petite lucarne » trouve son sens quand elle ouvre vers les grands espaces.

  11. Pour se consoler et nourrir sa spiritualité, signalons, en plus de l’excellent KTO (www.ktotv.com) cité plus haut, la très riche émission du dimanche matin sur France2, dès 08h30, qui donne la parole aussi bien au Bouddhisme qu’à l’Islam, au Judaïsme ou au Protestantisme, pour se terminer par la Messe. Nous suivons assidument depuis des années, sans nous lasser.

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