Le marché est un sacré de pacotille

 

Jamais le marché ne pourra remplacer le sacré authentique, même s’il essaie de se sacraliser lui-aussi. En effet, par définition «  Le sacré fait signe vers ce qui est mis en dehors des choses ordinaires, banales, communes ; il s’oppose essentiellement au profane, mais aussi à l’utilitaire. » Or, le marché est centré sur l’utilitaire, il est le contraire du sacré, il n’offre aujourd’hui plus aucune perspective de sens au citoyen réduit au double rôle de producteur et de consommateur. La toute-puissance du marché appartient à un détournement du sacré, particulièrement subtil : il semble impossible de concevoir une économie saine qui ne serait pas en croissance perpétuelle, ce qui est impossible dans un monde fini. Hors la soumission au marché, il n’y a pas de sortie de la pandémie. La vie y est moins sacrée que la préservation de l’économie.

Le sacré n’est pas toujours confiné au religieux au sens étroit. Il se dévoie et s’instrumentalise en politique et maintenant en économie. Le marxisme considérait la dictature du prolétariat comme la finalité de l’Histoire. Le nazisme organisait le culte de la nation allemande dans de grandes mises en scène à caractère liturgique. Aujourd’hui encore, Israël est une construction politique fondée sur l’appartenance au judaïsme, tout comme l’Arabie saoudite l’est sur l’appartenance à l’Islam.

Le nœud du drame perpétuel au Moyen-Orient se situe justement en Palestine. Deux peuples se disputent le même territoire dans un corps à corps qui vise à l’élimination de l’un des deux. Les tentatives de pacification se heurtent à une fin de non-recevoir, tellement catégorique qu’elle ne peut trouver sa source que très profondément, bien au-delà du simple nationalisme. Il s’agit d’une guerre de religion triangulaire opposant les trois monothéismes, réduits à des sacrés dévoyés. Chaque partie combat les autres au nom de Dieu, alors que ces trois religions confessent le même Dieu unique.

On exagère actuellement la responsabilité du Coran dans cet imbroglio. Certes, des islamistes suicidaires se réclament d’une sacralisation abusive de certaines sourates. Et l’idée se répand dans l’Occident que, par son adhésion à un texte sacré émanant selon la tradition de Dieu lui-même, l’Islam serait intégralement une religion agressive. Or, dans le Coran le djihad signifie l’effort par excellence, la philosophie d’une lutte permanente, physique mais aussi intellectuelle et non une guerre à outrance. Et ce n’est pas tellement de cette insupportable dérive islamiste que l’Occident a peur, mais subrepticement du rapport sérieux de l’Islam au  sacré, qui est radicalement opposé à la religion du marché.

Le vrai reproche formulé en Occident à l’égard de l’Islam est son influence sur ses fidèles. Prier cinq fois par jour, jeuner un mois, pratiquer largement l’aumône, effectuer le pèlerinage autant de démonstrations d’adhésion à un sacré authentique et autant de reproches à un Occident largement déchristianisé. Mis à part un frange d’identitaires qui se cramponnent abstraitement au concept de racines chrétiennes . Durant des siècles, la dérive politique du sacré chrétien constitua une persistance du paganisme romain, où la religion impériale n’avait rien à voir avec la spiritualité, mais avec l’ordre public dont elle était la caution sacrée. A rebours, le message de Jésus de Nazareth est moins de l’ordre du sacré que de celui de la sainteté. La collusion avec le pouvoir y est condamnée (« Mon Royaume n’est pas de ce monde »). L’alliance s’exerce à l’égard des plus faibles et non des plus forts.

En parallèle à l’abandon du sacré en politique, le désenchantement du sacré en science fut l’œuvre du christianisme. La Nature n’est plus le jouet de divinités fantasques, tantôt hostiles, tantôt bienveillantes. On ne lui commande qu’en obéissant à ses lois et non en suppliant qu’elles soient violées par un Créateur omnipotent, à l’image des autocrates de jadis. Dès lors la fonction du christianisme n’est plus de fournir de fausses explications à la Nature, ni de garantir le trône des puissant. C’est en Occident que la science s’est développée, avec ses outrances du rationalisme et du matérialisme. La disparition du sacré en politique créa un vide qui ne pouvait demeurer. L’adhésion réfléchie et enthousiaste à la science est trop abstraite pour y suffire ; l’attrait de ses retombées économiques l’emporte.

Dès lors le seul sacré de l’Occident est devenu maintenant l’idolâtrie du marché. Sa « main invisible » assure prétendument à la fois le progrès des techniques, la répartition optimale des richesses et la promotion des meilleurs. On peut l’amadouer en consentant une politique sociale, mais sans trop empiéter sur l’indispensable croissance fondée sur les bénéfices des entreprises. A titre d’exemple, on ne sortira de la pandémie qu’en reprenant la croissance. C’est là-dessus que compte la Bourse pour s’envoler. La vaccination est le privilège des nations riches. La production des vaccins est une source de profit extraordinaire. La pandémie a exacerbé les inégalités entre nations et au sein des nations.

Le marché contemporain a développé un outil de propagande extraordinaire : la publicité commence par faire croire que l’on a envie de ce dont on n’avait jamais eu besoin, puis que l’on a impérativement besoin de ce dont on a maintenant envie. Ce tour de passe-passe créateur d’une croissance indéfinie est l’équivalent de la radicalisation des religions du Livre dont chaque phrase est prétendument d’origine divine. Il est devenu impossible d’imaginer un monde sans publicité, car celle-ci finance une foule d’activités culturelles, sportives, politiques. Nous sommes littéralement englués dans un sacré de pacotille comme le furent au siècle passé nazis et communistes, comme le sont encore aujourd’hui les islamistes ou les identitaires chrétiens.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

34 réponses à “Le marché est un sacré de pacotille

  1. Si on parle de vaccins et de brevet, la seule question ne se résume pas à de la philosophie, ou à de la politique théorique…

    On vit dans un système capitaliste qui est, non pas le meilleur de tous, mais certainement le moins problématique de tous… La pire à l’exclusion de tous les autres selon une maxime célèbre… car on a vu ce que donnait tous les autres … des catastrophes absolues…

    Et le problème n’est pas de penser ou se comporter “en théorie”… “comme si” .. ou en considérant l’humain tel qu’il devrait être ou que l’on voudrait qu’il soit, mais en le considérant en vérité et en réalité, tel qu’il est, a toujours été et sera toujours….

    Et donc la seule question valable dans ce domaine c’est : ” si, dans cette situation d’extrême urgence sanitaire, les vaccins peuvent être fabriqués librement, qui pourra en assurer la production? “… Et au delà ” qui, dorénavant, sachant cela, assurera la recherche, la mise au point et ensuite toute la distribution de nouveaux vaccins ” ? …

    On a vu par le passé à quel point un Etat voulant se substituer au secteur privé, pouvait être (in)efficace à tous les échelons…

    1. La citation est de Churchill ; la démocratie est le pire des systèmes si l’on oublie tous les autres. Le marché peut se voir appliquer cette maxime, mais il faut éviter de le sacraliser en le considérant comme le seul et le meilleur. Il a ses défauts qui éclatent si on le pousse à la limite. C’est le marché qui a détraqué le climat de la planète. Il n’est pas le fruit d’une révélation divine. Il s’est imposé par la force des choses et représente une manifestation de l’évolution biologique. Il invente au hasard et élimine les échecs.

    2. Cette citation concerne la démocratie et non le capitalisme. Or, il n’est pas certain que le dogme ultra-libéral soit pérenne. C’est un culte avec ses dogmes qui nous amène de crise en crise. Il existe d’ailleurs plusieurs religions selon quel économiste vous vénérez. Mais tout cela reste une invention de l’homme contrairement à la nature. Le concept d’externalité est d’ailleurs un des bugs qui nous a amené à détruire notre planète.

      A deux reprises durant ces dernières décennies, le système aurait explosé sans une intervention massive de l’Etat. Les banques Suisses auraient disparu.

      D’autre part, que penser des géants technologiques qui ont pris une telle importante qu’ils imposent, de fait, une dictature. Car le libertarien est un dictateur: il ne veut pas d’Etat car il crée le sien et règne sans partage dessus. Que je sache, on n’organise pas d’élection populaires pour décider qui sera le patron d’Amazon ?

      D’ailleurs le privé ne fonctionne pas comme une démocratie mais rappelle plutôt une monarchie ou le roi (le CEO) est désigné par le Marché qui se substitue à Dieu, ce qui revient un peu au même.

      Je pense que tout est affaire d’équilibre: l’Etat doit garder suffisamment de pouvoir pour jouer son rôle d’arbitre (régulation, fiscalité, etc) car l’économie doit être au service de l’homme et non le contraire.

  2. Très bonne critique de la sacralisation du marché.

    On pourrait se moquer aussi du nouveau culte covidique, avec ses rituels de distanciation sociale, d’ablutions (au gel hydro alcoolique béni par Sa Sainteté le pape Didier Pittet), son masque liturgique sans aucune utilité médicale, mais signe de soumission inconditionnelle au dogme, comme l’est la prosternation des musulmans sur leur tapis de prière, une mortification que les dévots s’imposent même en pleine rue sans aucun sens du ridicule. Comme dans les sectes les plus fanatiques et inhumaines (temple solaire, etc.) il y aussi des immolations de masse: celles des commerçants et cafetiers restaurateurs condamnés à mort et exécutés par force de loi. Et toutes les libertés sont mortes et enterrées depuis que cette nouvelle religion a été imposée avec la même brutalité qui fût celle des capitaines bernois imposant la Réforme au Pays de Vaud.

    Personnellement je préférais le trône et l’autel, la pourpre et l’encens, et le chant grégorien, même si cela rappelle le culte impérial et le paganisme antique. Au moins c’est beau.

    1. Le choix entre la sacralisation du pouvoir et du marché est le même qu’entre la peste et le choléra. Il existe un sacré authentique par exemple chez les mystiques, religieux ou laïcs.

      1. Le sacré authentique, c’est la sainteté – peu importe la voie spirituelle.
        Pour le reste, la sacralisation du pouvoir (Etat religieux, religion d’état, culte impérial, etc.), de l’argent (mythe de la croissance ou de l’Eldorado) ou de la science (Temples du savoir) sont autant d’impostures, qui s’épanouissent sous nos yeux.
        Le problème n’est pas le sacré, mais l’absence de spiritualité de notre époque. Bcp lisent des mystiques, mais combien suivent leur pas de nos jours? Si peu. Jamais il n’y a eu aussi peu de spiritualité sur terre. Nous sommes englués dans une vie complètement balisée par l’utilitarisme et le juridique.
        Or la spiritualité nait de la gratuité – ne rien attendre en retour. Vivre.

  3. La question est, si l’on a une foi religieuse collectivement partagée: est-ce que le pouvoir doit rendre hommage au divin ou pas? Logiquement il doit y rendre hommage. Pas à un sacré de paccotille, au vrai sacré. Pas à une idole, au vrai Dieu. Ca a très bien fonctionné comme ça au moyen âge, qui était plus rationnel et plus respectueux de l’environnement que la modernité. La sacralisation du pouvoir légitime n’est pas un mal. La sacralisation d’un pouvoir de paccotille, illégitime, comme le pouvoir covidique abusif que nous subissons, en revanche, en est un. La sacralisation du marché probablement aussi, je vous le concède. Le marché et l’économie sont importants, mais utilitaires. Ils n’ont pas à être sacralisés.

    1. Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime? Il le sera pour les uns et pas pour les autres. Si on le sacralise comme sous l’empire romain, le citoyen est contraint de le considérer comme légitime. La parole libératrice est : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

  4. On pourrait comparer le marché à une loi de la jungle où le plus fort gagne , pas toujours, mais où le sacré est absent ! Les animaux ne connaissant que la loi leur instinct inscrit dans leur leur gènes !
    Les hommes ont amené le sacré en se trompant sur leurs explications alambiquées de dieux guidant les forces de la nature , puis en imaginant un dieu unique . La science a depuis longtemps évacué ces divagations , mais certaines croyances ont la vie dure , et comme disait Einstein : “un préjugé est plus difficile à désagréger qu’un atome ” , d’où les multiples incompréhensions et confusions actuelles sur ce sujet … Le sacré n’est qu’un mirage, une définition variable d’un individu à un autre … un flou artistique …
    On a aujourd’hui heureusement un peu plus de considération pour la vie humaine qu’autrefois et cela peut remplacer le concept du sacré un peu oublié …

  5. Un Dieu unique ? Dieu le Créateur donc Dieu le Père… L’inventeur du patriarcat, mais oui !

    1er mai récent donc fête du travail qui nous dit “Tous unis contre le patriarcat et le capitalisme”
    Nous y voici, un mantra de la gauche américaine de plus qui contamine le vieux continent.
    Le récent déculottage du rédacteur en chef de La Liberté – dans ce cas, la mal nommée – face aux accusations de propagation de la Culture du Viol et de manifestations essentiellement par des jeunes illustrent un autre de ces mantras qui commencent à s’imposer en Suisse.
    Je trouve fascinant mais surtout inquiétant qu’on gobe ce concept de patriarcat, cause univoque de tous les maux, à une présente époque où le pouvoir du patriarcat n’a jamais été aussi affaibli.
    La déliquescence de l’autorité des enseignants actuels l’illustre magistralement.
    La mise au rancart de deux figures “patriarcales” du PDC vaudois par une gamine de 27 ans ne plaide pas pour un patriarcat bien solide…
    J’ai observé la miss Dittli à la TV et ai trouvé cela léger. Un président de parti ou de n’importe quoi d’autre d’ailleurs, ne doit-il pas avoir, en plus du savoir et de l’intelligence, de la maturité ?!?
    Mais non, la clef actuelle du succès politique est d’être jeune et femme ! Ah! si la vie était si simple…

    Concernant la croissance pernicieuse, je crois qu’elle n’est pas confinée que dans le système capitaliste. Elle est le propre de l’homme et l’a toujours accompagné dans sa marche en avant.
    Je crois que nous allons dans le mur inévitablement, le prix à payer pour ne pas être demeuré Lucy peut-être ?

    Et pour finir, votre fascination respectueuse pour l’islam m’épate. “…adhésion à un sacré authentique…”. Se plier à des rituels inventés à des époques bien lointaines est pour vous la spiritualité authentique ?
    Pas pour moi car il faudrait encore que le fameux Dieu unique ait jamais existé et ça, ce n’est pas démontré. À propos… dites-moi, qui a créé Dieu ?

    Mais quand donc l’Homme deviendra-t-il enfin adulte et, bien sûr, orphelin – mais tout a un prix…!

  6. Un pouvoir légitime est un pouvoir qui recherche le bien commun, assure La défense du territoire, garantit la sécurité des personnes et des biens, protège le peuple contre l’immigration, défend la famille, maintient les traditions, encourage l’économie sans la sacraliser, etc.

    C’est très facile de donner les critères d’un pouvoir légitime.

    Un pouvoir illégitime est un pouvoir comme celui d’aujourd’hui qui cherche à détruire les souverainetés, tolère l’insécurité et la criminalité des étrangers et refuse de les expulser même quand le peuple lui demande de le faire, désorganise l’armée, anéantit les entreprises indépendantes par des mesures aberrantes comme celles actuellement en vigueur de quasi confinement, réprime brutalement les justes protestations comme celles des gilets jaunes, favorise les black blocks et les casseurs, refuse de soigner les malades avec de l’ivermectine ou de l’hydroxychloroquine, parce qu’il est à la la solde du lobby Pharma et entend faire du chantage pour contraindre les gens à se vacciner avec des expérimentations biotechnologiques dangereuses (ARN messager) sans qu’on connaisse les effets secondaires, change la définition du mariage et détruit la famille.

    C’est très facile de définir les critères d’un pouvoir illégitime.

    Le pouvoir légitime travaille pour le bien de son peuple. Actuellement le pouvoir est mondial et travaille à la destruction des peuples. Il est donc illégitime comme le sont les gouvernants qui à l’échelon national appliquent les directives du pouvoir mondial illégitime (Agenda 2030 de l’ONU, passeport vaccinal, great reset, pacte de Marrakech sur les migrations, etc., etc.)

  7. Il est bon de réduire au strict nécessaire le poids du sacré pour augmenter celui de la religion, c’est-à-dire la communion des fidèles. Car effectivement, le sacré tente le pouvoir qui finit par l’alimenter par des reliques, donc des objets morts. Il est heureux que personne ne puisse vénérer les os de Moïse, du Christ ou de Mahomet.
    La communion des fidèles autour du marché est comme autant de pailles soufflées par le vent. Peuvent elles devenir assez dense pour masquer le soleil?

    1. Très constructif. Comme si ces questions n’étaient justement pas centrales pour le futur de la jeunesse. Notre société vit une crise de valeurs.

    2. Merci pour votre apport magistral à cet échange d’idées.
      Alors mon petit, on donne dans le mépris arrogant ? Un exemple du syndrome du “chien qui lève la patte” probablement ?
      Mais dites-moi, si visiblement vous, vous avez tout compris, que ne nous faites vous pas bénéficier de vos lumières ? Un peu d’édification serait charitable et, à vous croire, des plus indispensables…
      Mais c’est vrai qu’avec le Q.I. qui baisse et votre libido qui se barre, c’est peut-être trop vous demander.
      À propos, “euthanasié”… vous parlez de vos neurones ? Je plaisante…

    3. On plaint l’EMS qui devra pomponner un petit vieux de la génération Pampers, prématuré avant même d’avoir atteint l’âge mûr. Mais peut-être l’euthanasie sera-t-elle alors légalisée, comme le prédisait Jacques Attali, et vos voeux ainsi exaucés?

  8. Les Américains n’ont-ils pas résolu depuis longtemps la dichotomie marché-sacré par la formule “In Go(l)d We Trust”?

    Plus sérieusement, quand quelqu’un dit qu’il ne croit pas en Dieu (ou en Buddha, Allah, Vishnou ou qui on voudra), n’est-on pas tenté de lui répondre que le fait même de nier son existence implique son contraire, puisqu’il est impossible de nier quelque chose qui n’existe pas? Mais n’est-on alors pas traité d’ingénu?

    L’avantage avec le marché, c’est que quand on dit qu’on ne croit pas en lui (à Nestlé, à Google ou à Facebook, par exemple), il n’est pas même besoin de démontrer qu’il existe. Ce n’est que trop indéniable.

    Ceci dit, où est le problème? Personne n’est obligé de s’asservir au marché. Quant au royaume qui n’est pas de ce monde, j’en ai fait une expérience édifiante quand, en mission de secours au Biafra alors en pleine déconfiture sur le front militaire, en septembre 1968, avec d’autres j’ai vu dans un camp d’enfants affamés et mourants l’envoyé spécial du Vatican, en réalité employé suisse des services secrets sous le nom de Bachmann-Peel, jeter des poignées de dollars devant les cameras des télévisions étrangères et crier bien fort à l’intention des micros – pour ceux qui s’en souviennent, le Biafra a été la première famine filmée en direct, la presse faisant alors la surenchère sur l’horreur et la souffrance – devant des malheureux trop affaiblis pour réagir:

    – The Pope gives you this! Shout with me: “Hip hip hip hurrah for the Pope!”

    Cette scène m’a non seulement guéri de la foi pour toujours, mais m’a aussi ôté mes dernières illusions sur la nature humaine.

  9. Ce qui encourage la croissance, c’est la peur du chômage, ou la volonté de l’abaisser.
    C’est le noeud du problème. Les gouvernements encouragent la consommations intérieurs, parce qu’un pays en difficulté économique se révolte.
    Une nouveauté, c’est la consommation du virtuel qui à l’avantage de consommer moins de ressources tout en participant à la croissance. Donc, c’est là qu’il faut agir, favoriser la croissance dans la consommation virtuel, et l’abaisser dans celle de la croissance “physique”. Mais pour cela, il faut une révolution sur les taxes des entreprises au niveau mondial.

    Si je prends la Suisse, la croissance est un poison qui créé une surpopulation. Il y a plus de travailleurs étrangers que de travailleurs suisses, il y a donc suffisamment d’entreprises et les cantons en veulent encore plus. C’est une aberration.
    Quant aux consommateurs, la conscience semble dépendre du niveau d’éducation, en dehors du trait de caractère. La consommation est lié à la frustration, elle devient d’autant plus nécessaire aux yeux des consommateurs, que la qualité de vie est mauvaise.
    C’est l’autre axe important, la qualité de vie pour dépendre moins de sa consommation. Les immeubles genre cage à poules bétonnée, encouragent les habitants à se trouver des substituts. Un environnement de travail stressant aussi, etc. D’où l’importance à stabiliser la population suisse, voir la diminuer pour retrouver un habitat humain, loin des concentrations qui fabriquent de la délinquance.

    L’expression “Vivre d’amour et d’eau fraîche” ne sort pas de nul part. Un homme heureux a besoin de peu.
    Moins de croissance “terrestre”, plus de croissance virtuelle, avec un objectif de qualité de vie, depuis le logement jusqu’au travail, et peut-être ajouter de la philosophie à l’école pour renforcer notre esprit/notre spiritualité ( si la religion y est absente ) pour être armé face à la frustration.

    J’en oublie certainement, mais si on commençait déjà avec ça.

  10. On voudrait bien vous croire, mais il y a trop d’approximations et de généralisations abusives dans ce que vous dites.
    1. Non le christianisme au Moyen Orient n’a pas les mêmes prétentions théocratiques que les deux autres religions du Livre, les chrétiens voudraient juste pouvoir y vivre et y pratiquer leur foi comme ils y l’ont fait depuis 2000 ans.
    2. Non le marché n’est pas une religion, pas seulement parce qu’il est la négation du sacré mais parce qu’il est mis en place par une civilisation dite des Lumières qui prétend pouvoir se passer de Dieu et de la religion pour donner sens à la vie.
    3. Non le djihad dans le coran et la tradition islamique ne veut pas dire d’abord une guerre spirituelle, c’est un sens possible mais ce sens est constamment méconnu et critiqué dans la tradition et la prédication actuelle. Je crains que vos discussions avec Tariq Ramadan ne vous aient égaré à ce sujet. (Votre loyauté dans l’amitié est louable, mais une mise au point serait bienvenue.)
    4. Non le sacré dans le christianisme n’est pas un dévoiement pagano-romain du message de Jésus, il y a dans le judaïsme dont il hérite un sacré authentique, que Jésus n’a jamais renié, au contraire (cf. les vendeurs du Temple !).
    5. Non les « identitaires chrétiens » ne sont pas comparables aux islamistes, et encore moins aux communistes et aux nazis; les « racines chrétiennes » ne sont pas un idéal abstrait, c’est le socle sans lequel les Lumières n’auraient pas pu diffuser et même imposer l’athéisme; et si elles ont pu le faire ce n’est pas seulement à cause de l’essor de la science rendue possible par la désacralisation de la nature (qui, au demeurant, a commencé avec Aristote, redécouvert au moyen âge, d’ailleurs, grâce aux philosophes musulmans), mais à cause d’une morale de la liberté (dont il reste quelque chose dans le mariage: le christianisme est la seule religion où le consentement de la femme est une condition sine qua non) et d’une métaphysique de recherche du sens y compris là où, comme dans le marché que vous décrivez, il semble ne plus y en avoir (l’art baroque est la dernière application de ce principe en Occident).
    6. Non le sacré n’a pas disparu en politique. Tout pouvoir est sacré. Car le pouvoir, c’est le monopole de la violence. Et la violence, comme l’a montré René Girard, c’est le sacré (contre les autres s’il n’est pas dirigé contre soi-même). Donc le pouvoir est « divin » par définition, il n’a pas disparu par le coup de baguette magique de l’athéisme. Le défi, pour les religions monothéistes, les trois et pas seulement l’Islam, c’est de le contenir, car elles sont en fait, essentiellement et ultimement (c’est-à-dire quand tous les autres contre-pouvoirs se sont aplatis), intrinsèquement subversives à l’égard du pouvoir politique, si elles sont bien guidées évidemment.

    Mais il est certain que nous sommes tellement enfoncés dans le matérialisme, que votre analyse, malgré ses approximations, fait du bien, ce pour quoi je vous remercie.

    1. La théorie du désir mimétique de Girard m’a longtemps paru séduisante, trop sans doute, mais aujourd’hui je la trouve creuse sinon absurde et ne suis pas le seul, si j’en crois René Pommier, agrégé de lettres et professeur émérite à la Sorbonne, qui en démonte les mécanismes avec sa verve habituelle d’iconoclaste dans son ouvrage “René Girard : un allumé qui se prend pour un phare” (Kimé, 2010).

      On connaît sa recette: Commencer par choisir un “père fondateur”, “un gourou international” ou un “maître à penser” sur lequel plus de vingt thèses ont été soutenues, couvert de récompenses et de doctorats honoris causa, bardé d’une œuvre traduite en plus de cinq langues. Ses cibles préférées, il les choisit dans la galerie des super-stars des “gay sixties and seventies” (Lacan, Barthes, dont il dit que Girard ne parvient toutefois pas à “battre les records d’imbécilité”, Foucault, Bourdieu, Deleuze, Derrida and Co, autant de figures de premier plan dont le culte et les idées trop neuves ont éveillé en lui des pulsions tauromachiques). Autopsier l’oeuvre de ces locomotives des études de lettres de la seconde moitié du siècle passé jusqu’à l’écœurement, puis en livrer les morceaux les plus obscurs et les plus navrants nappés de sauce piquante :

      Pommier analyse les différentes théories de Girard, à commencer par celle du désir mimétique qui, selon lui, « est un postulat séduisant mais absurde », ou encore celle qui fait naître la violence de la contagion du désir. Fiction selon Pommier, qui voit dans les sentiments de peur ou de haine « des facteurs autrement plus probables ». Pour le rite du sacrifice, Pommier avance que Girard n’a pas compris les anthropologues. La lecture à laquelle il s’est livré de la mythologie grecque et de l’Ancien Testament n’est pas épargnée non plus; il ne s’agirait que d’un « délire interprétatif ». Enfin Pommier dénonce l’« autocélébration » qui caractériserait l’académicien (Nicolas Journet, “René Girard et les joies du bashing” ,Sciences humaines, 15 juin 2011).

      Que faut-il retenir de ce cet athlète du “bashing” – sport qui a fait tant d’émules, de François Georges à Michel Onfray en passant par Marcel Gauchet, Gladys Swain, Luc Ferry avec son essai accusateur sur “La pensée 68”, James Miller, Alan Sokal, Louis Gruel et autres dévisseurs de têtes célèbres, sinon que les études littéraires servent d’abord à faire semblant qu’on sait parler de livres qu’on a à peine lus?

      1. Là, c’est le comble des approximations. Vous n’essayez même plus de raisonner, votre argumentation est uniquement ad hominem. Pauvre France !

        1. Le fait que je cite Pommier n’implique pas que je souscrive à ses propos. Ses jeux de manchettes m’indiffèrent au moins autant que le show bizz du gratin intellectuel parisien, dont Chomsky dit:

          “En France, si vous faites partie de l’élite intellectuelle et que vous toussez, on publie un article en première page du Monde. C’est une des raisons pour lesquelles la culture intellectuelle française est tellement burlesque : c’est comme Hollywood.”

          En revanche, on ne peut ignorer la critique. Le désir d’imitation ne débouche pas nécessairement sur le désir inconscient d’anéantir l’autre, comme le soutient Girard dans sa théorie du bouc émissaire. De plus, le rapport n’est pas direct entre le sujet et l’objet : il y a toujours un triangle. À travers l’objet, c’est le modèle, que Girard appelle médiateur, qui attire ; c’est l’être du modèle qui est recherché.

          Or, ce triangle peut aussi bien être le fameux triangle de vaudeville : le mari, la femme et l’amant (l’une objet, les deux autres l’un modèle et l’autre imitateur-désirant), le spectacle de la rivalité créant le malaise qui arme la réponse sous forme de rire.

          Ce qui remet dans une certaine mesure l’oeuvre de Girard, dont je serais bien le dernier à minimiser la portée, au goût du jour, ce ne sont pas tant les critiques des universitaires, mais, aussi paradoxale soit-elle, l’importance qui lui donnent les “tycoons” de Silicon Valley, et en particulier un de ses anciens étudiants à Stanford, Peter Thiel, fondateur de PayPal, qui puise dans la théorie du désir mimétique du philosophe français un modèle interprétatif pour penser l’économie numérique – objet d’une récente émission de France-Culture: “René Girard, maître à penser des tycoons de la Silicon Valley” (8 janvier 2021).

          “Si la pensée de René Girard séduit certains patrons de la Silicon Valley”, dit le philosophe américain installé en France, Justin E. H. Smith (cité dans l’émission de France-Culture), “c’est parce qu’elle est sourdement imprégnée d’une vision catholique sous-jacente de la hiérarchie comme naturelle : toute une chaîne mène du Créateur à la moindre de ses créatures, en passant par les archanges et les hommes. Cette pensée, darwinienne et hiérarchique, correspond hélas assez bien à “l’ordre techno-féodal” dans lequel cette économie est en train de nous faire basculer…”

          De là à considérer l’intelligence artificielle et les neurosciences comme d’essence divine, il n’y a qu’un pas. Par chance, l’intelligence artificielle n’a d’égale que la stupidité naturelle.

  11. Le sacré du marché est une imposture, c’est sûr. Entièrement d’accord avec vous pour. Mais dans ce cas, comment pouvez-vous dire dans un autre billet, que l’UE a besoin de valeurs symboliques, etc. – l’UE est construite sur cette imposture du marché sacré commun. Elle ne pourra jamais produire autre chose sur le plan symbolique. Car sans le marché commun, l’UE n’existerait pas dans sa forme actuelle. Et le reste découle de cela.
    L’Europe aurait pu être autre chose, si elle n’avait pas placé le marché commun et l’Euro au centre de toutes ses décisions. Maintenant, c’est devenu très, très compliqué à réformer sur le plan institutionnel. l’UE durera donc autant longtemps que le marché commun sera fonctionnel.
    D’autre part, l’UE s’est volontairement soumise à l’OTAN (sur pression américaine), ce qui lui a enlevé la possibilité d’un sacré propre – européenen ou méditerranéen. Car dans l’OTAN, c’est l’Amérique qui assume les valeurs sacrées, la politique étrangère, la souveraineté occidentale. Pour le meilleur et pour le pire…
    Cela dit, votre constat du jour est tout à fait vrai. Mais est-ce possible d’y remédier?

    1. L’Europe de Schumann s’est construite sur la réconciliation improbable de la France et de l’Allemagne, impossible sur le plan politique, imaginable sur le plan économique. Les pères de l’Europe ont fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils avaient à disposition et ils ont réussi à arrêter les guerres franco-allemandes. Mais en déficit de politique et donc de symbolique

  12. Votre photo de profile remonte à quelle année? Je ne vous ai pas reconnu dans le journal hier.

    1. Comme tout le monde je vieillis et je ne compte plus les années, ni les dates des photos.

    2. D’abord, on écrit profil sans e, ensuite la dite photo est prise de face et finalement quel est l’intérêt de votre question ? Et vous, vous n’avez jamais péché par coquetterie ? Z. comme zombie peut-être ?

      1. D’abord, on écrit zombi, sans le -e.

        Ensuite, je trouve regrettable que les politiciens ne se présentent pas tels qu’ils sont. Ils sont un exemple et ne devraient pas encourager le body shaming.

        1. Body shaming? qu’est-ce que cela veut dire? Si vous êtes anglophone, je puis vous répondre dans cette langue. Le mélange des deux crée l’imprécision.

        2. Body-shaming? Kesako?

          Si c’est aux obsédés des “likes” sur Facebook, Twitter ou Instagram que vous faites allusion, alors vous vous trompez de cible. On n’a pas encore entendu dire que les scientifiques étudient LA physique – et non LEUR physique – pour se présenter au concours de Mister Suisse. Pas même les politiciens. On ne saurait en dire autant de toutes celles et ceux qui passent plus de temps devant leur miroir à étudier leurs vergetures et leurs bourrelets plutôt que les bouquins.

          Définition de “body-shaming”:

          “Qu’est-ce que le body shaming ?

          Dans le paysage des réseaux sociaux où les corps posent et s’exposent pour récolter toujours plus de likes, les images photoshopées, les lèvres repulpées et les filtres activés seraient-il devenus la norme ? Quelle place laissent ces millions de selfies de stars, d’influenceuses et autres personnalités qui font de leur physique leur fond de commerce, au commun des mortels ? Sur les réseaux sociaux, le sort réservé aux personnes qui ne correspondent pas à ces canons de beauté truqués a fait naître une inquiétante mise au pilori. Le body shaming – honte du corps, en français – est une pratique odieuse qui consiste à se moquer ou à humilier quelqu’un en raison de son physique via les réseaux sociaux.” – Journal des femmes 10/12/20

    3. On papote… ? D’abord, profil s’écrit sans “e”, ensuite, la photo est prise de face et finalement, quel est l’intérêt de votre question ? Aucun.
      Seriez-vous de la génération “selfies”, celle de l’apparence triomphante ? Un autre exemple de pacotille…

  13. Mais qu’est-ce que le marché? Voilà un terme bien abusé. Le marché originel, lieu d’échange de biens d’origine agricole ou artisanal reste un endroit bien terre à terre où la monnaie garde une relation avec le coût et l’effort. Il n’y a rien qui rappelle une quelconque foi là-dedans.
    La foi qui fait des miracles et déplace les montagnes est à chercher plutôt dans la finance et le banquier du coin. C’est même précisément là que se trouve le fondement de notre économie (de marché). Ainsi, lorsque vous empruntez pour construire, le banquier inscrit un chiffre sur votre compte immeuble. Le voilà le miracle de la foi! Chacun va croire dans cet argent qui n’est jamais entré dans aucun coffre, et les travaux vont pouvoir commencer. Quelle foi magnifique et communément partagée! Le problème commence lorsque le banquier se met à douter… comme en 2008. Là, le château de billets virtuels s’effondre. Le problème est que par le biais de l’Etat et de la loi, il est possible pour votre banquier de détruire dans le même temps de vraies valeurs matérielles issues d’un vrai travail en expulsant des gens de maisons qui ne seront jamais plus habitées.

Les commentaires sont clos.