Rien appris, rien oublié

 

C’est par cette formule que l’on a désigné les émigrés revenant en France en 1815 après la chute de l’Empire. Cette Monarchie restaurés ne dura que quinze ans, tant les hommes au pouvoir n’avaient pas compris à quel point le pays avait changé après la Révolution, tant ils n’avaient pas oublié les impasses de l’ancienne Monarchie de droit divin.

Il y a quelque chose du même ordre qui se joue actuellement en Suisse. Après plus d’un an de crise sanitaire entrainant une crise économique, des faillites et du chômage, de l’endettement public et la déconsidération du pouvoir politique, la Confédération vient nous demander, la bouche en cœur, de revenir aux mauvaises habitudes du passé. Nous voterons en mars sur l’arrêté fédéral du 20 décembre 2019 portant approbation de l’Accord de partenariat économique entre l’Indonésie et les États de l’AELE (pour mémoire   l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse). Un referendum a été lancé par les milieux écologistes et quelques ONG. Une fois le débat lancé, le citoyen ordinaire se retrouve une fois de plus assailli de conseils, d’arguments, de certitudes opposées.

Pour les milieux économiques, cet accord va de soi puisqu’il ouvre à l’industrie d’exportation un marché considérable. En sortant de la crise économique engendrée par la crise sanitaire, selon eux tout est bon à prendre afin de revenir au statu quo ante : ils n’ont rien oublié, ils n’ont rien appris, ils se croient de nouveau en 2019. En revanche, pour les auteurs du referendum, ce genre d’accord est contradictoire avec le prochain défi, la transition climatique : la culture de l’huile de palme cause une déforestation massive et met en danger certaines espèces animales.

Le titre du référendum «Stop huile de palme!» lancé contre l’accord de libre-échange avec l’Indonésie dit tout. L’huile de palme, cette mal-aimée, est au cœur de cet accord. On trouve de l’huile de palme dans un grand nombre de produits de l’industrie agro-alimentaire , hypocritement désignée par « huile végétale » dans la liste des ingrédients, comme si toute graisse végétale était meilleure qu’une graisse animale.  « Chips, croûtons, soupes en sachet pâtes à tartiner, biscuits, lait pour bébé, sardines en boîte, bouillon de poulet instantané, mayonnaise, sauce tomate, céréales, chocolat, glaces, fromage râpé, sauces, crèmes fraiches, pâtes à tartes, plats préparés, sauces pré-faites, biscottes, brioches, biscuits salés et sucrés » Selon la Fédération romande des consommateurs : «L’huile de palme est de plus en plus présente dans les produits transformés et semi-transformés des supermarchés.» Pourquoi ?

Elle a pour l’industrie trois avantages : elle a la même consistance que le beurre et peut y être substituée ; elle coûte jusque cinq fois moins cher ; elle n’a pas de goût propre. C’est donc l’idéal pour produire massivement à bon marché des produits insipides vers lesquels attirer le consommateur. Une fois qu’il cessera de manger pour le plaisir, il apprendra à remplir son estomac, comme un Etats-Unien standard, comme un déversoir à malbouffe, conditionné pour optimiser le bénéfice de la grande distribution sans égard pour sa santé.

Car l’huile de palme est particulièrement riche en acides gras saturés qui favorisent l’apparition de maladies cardio-vasculaires. D’autres graisses végétales comme les huiles de colza et de tournesol, produites dans notre pays, n’ont pas cet inconvénient. Mais elles coûtent plus cher et l’industrie agroalimentaire regarde le prix et c’est ce prix seul qui dicte le choix. Les crèmes et les beurres indigènes sont également éliminés au bénéfice de ce produit importé. :« Nous avons une dépendance à tout ce qui n’est pas cher. Le résultat est navrant : les productions locales sont partout à la peine et perdent des parts de marché. C’est la base du problème »,  selon les initiants.

 

Pour contrer les arguments de ceux-ci selon lequel toute importation est contraire à la défense de l’environnement, l’accord prévoit que l’Indonésie s’engage à protéger les plantations et forêts indonésiennes, ainsi que ceux qui y travaillent. Ce sera de l’huile de palme, toujours aussi insipide et encrassant les artères, mais elle sera « durable ». Personne ne peut prendre au sérieux ce genre de garantie car qui sait ce qui se passe et se passera réellement en Indonésie. On ne va tout de même pas payer des contrôleurs suisses pour aller vérifier sur le terrain. On ne va tout de même pas supposer que l’administration locale est indemne de corruption.

En dehors de la protection de l’environnement et des espèces menacées, des artères des consommateurs suisses et du bon goût, il existe un autre argument, inutilisé dans le débat, tant on n’a rien appris de la pandémie. Celle-ci a révélé que la Suisse devait produire une série d’article médicaux sur son territoire plutôt que de les importer d’Asie sous prétexte que c’est meilleur marché. Il en sera de même lors de la transition climatique qui bouleversera la production des aliments. La Suisse se doit de produire sur son territoire son approvisionnement, en particulier de matières grasses pour lesquelles les produits laitiers, le colza et le tournesol constituent des ressources suffisantes. C’est défendre la sécurité alimentaire, le monde paysan. C’est avoir le beurre, l’argent du beurre, la casquette du crémier et l’amour de la crémière.

C’est surtout comprendre que la mondialisation à outrance n’est plus la solution de l’avenir dans un monde de plus en plus dangereux qui suscite le chacun pour soi. Le libre-échange n’est pas une panacée mais un élément parmi d’autres à prendre en considération dans certains cas. Celui de l’huile de palme est particulièrement mal choisi.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

15 réponses à “Rien appris, rien oublié

  1. Pour une fois, je suis entièrement d’accord avec vous!
    Oui, cet accord est un non-sens. Mais je ne crois pas qu’il passera la rampe devant le peuple.
    Ce qui est bcp plus inquiétant à mes yeux, c’est ce qui se passe en Europe pour lutter contre la pandémie. Partout on suspend le droit, la constitution, on prolonge l’état d’urgence, on instaure des couvre-feu.
    Cela aussi, c’est pour prolonger un monde qui ne tient plus. La société tient sur la solidarité et la cohésion de ses membres. Une fois que la folie sécuritaire sera passée, on se rendra compte de combien tout cela était arbitraire et injustifié.
    Que veut-on restaurer? Cela est insensé.

  2. Merci, Monsieur Neirynck, vous m’avez convaincu (j’hésitais encore)
    votre exposé est clair, je vous fais confiance !
    Et tant pis pour les exportateurs suisses…

  3. Merci Monsieur pour cette opinion. J’aimerai relever 2 points important huile de palme, nous le savons tous que manger trop gras amène des maladies cardiaques, cholestérol pourtant les gens continuent à manger n’importe comment. Maintenant tous les restaurants sont fermés mais le genre Mac-Do sont ouverts hors entre nous c’est de la malbouffe. A croire que nos dirigeants veulent que nous tombions malades et augmenter les primes assurances que beaucoup n’arrivent plus à assumer.
    Maintenant point 2 les votations, je ne rate jamais de faire mon devoir mais j’en ai marre de voir des fascicules ou la confédération fait du chantage (si vous ne voter pas comme nous vous le demandons va y avoir des problèmes, ça ne rate pas ) alors je n’écoute plus, je ne lis plus je me fais mon opinion et franchement je fais comme mon père me disait car lui aussi en avait assez de voir cette phrase. Alors quand ils demandaient OUI hop votait NON et quand c’était NON eh bien il mettait oui. Même les débats ne nous renseignent pas bien et les partis pensent à leurs popularités au lieu de s’entendre pour le bien du peuple.

    1. Juste pour être factuellement correct, les MacDo ne sont pas plus ouverts que les autres restaurants, ils ont juste le droit de vendre à l’emporter là où c’est permis, comme les autres.

  4. Merci encore une fois ! Décidément, il aurait été difficile de mieux vulgariser la portée d’un tel accord avec l’Indonésie, puisse le peuple vous entendre !
    je rajouterai (encore) un complément à votre “Nous avons une dépendance à tout ce qui n’est pas cher.”
    mais surtout “La grande distribution a une dépendance à tout ce qui peut se vendre avec une plus grosse marge ”
    Le cas de l’huile de palme est tellement probant.
    Si nous acceptons cet accord, nos paysans seront encore plus au fond du trou car ils ne trouverons plus aucun marché pour écouler leur production.
    Et comme nous ne pouvons pas trop compter sur les Verts ou semblant de Verts pour défendre notre agriculture en favorisant par des incitations la production indigène car trop occupé à nous pondre des TAXES, nous devons stopper cet accord!
    Au passage, c’est encore une riche idée défendue par notre CF Parmelin ! qui est décidément dans tous les bons coups!

  5. L’équation est:

    Accordera-t-on des aides à nos agriculteurs pour fournir une agriculture de proximité et bio (pas IP, comme le prétend l’USP, bourrée de fertilisants, de pesticides et polluant l’eau)?

    Tout celà est-il compatible avec les règles de l’OMC, accessoirement à quoi sert l’OMC?

    Peut-être, faut-il renoncer à l’agriculture qui coûte des milliards et n’est de toutes façons pas rentable, exporter nos machines et autre techs, bétonner tout ce qu’il y a à bétonner et importer la nourriture?

    On entend déjà les patriotes anti-burqa monter au créneau, invoquant la défense nationale, leurs toupins et l’autonomie, hahah

  6. Sans doute, l’huile de palme est une belle saloperie, mais chacun est libre de ne pas consommer de produits où cette huile est présente. Les consommateurs sont adultes. Et surtout je ne vois pas pourquoi cette question devrait nous empêcher d’avoir un traité de commerce avec ce grand pays qu’est l’Indonésie. Vous n’allez quand même pas nous dire que la Suisse et l’Indonésie n’échangent aucun autre produit que de l’huile de palme!

    Doit-on boycotter l’économie entière d’un pays, sous prétexte que ce pays a une production particulière que nous jugeons dommageable ? Alors, si on est opposé à la prostitution pour des raisons morales, on devrait n’avoir aucune relation commerciale avec la Thaïlande, parce que la prostitution y fleurit, et si l’on est abstinent on ne devrait avoir aucun commerce avec la France, pays producteur de vin.

    Cette tendace à mêler morale et commerce commence à devenir complètement ridicule.

    1. Préférer un biscuit au beurre plutôt qu’à l’huile de palme n’est pas une question de morale mais de plaisir. Ce n’est pas parce que ce traité ne serait pas approuvé que l’on boycotterait pour autant l’Indonésie. En l’approuvant, ce sont nos paysans qui sont boycottés.

      1. Bon, vu comme ça je suis d’accord avec vous. Moi aussi, je préfère les biscuits au beurre. Je suis aussi partisan qu’on protège nos agriculteurs. Mais alors cela pose un autre problème qui est celui du libre échange en général. Pour un petit pays très industriel comme la Suisse, le libre échange est une nécessité. Comment réussir à avoir des bons traités de libre échange sans que cela risque de nuire aux agriculteurs suisses ? C’est cela la difficulté. Franchement c’est très difficile de résoudre cette quadrature du cercle. Je ne vois pas bien comment on pourrait avoir un traité de libre échange avec l’Indonésie, sans accepter qu’il porte aussi sur l’huile de palme.

        J’aurais tendance à penser qu’il incombe aux associations de consommateurs, et aux défenseurs de l’agriculture suisse, d’alerter les consommateurs sur les dangers de l’huile de palme pour la santé, et de les inciter à acheter des produits utilisant du beurre suisse ou de l’huile de colza suisse.

        Il vaut mieux responsabiliser les gens plutôt que de mettre en danger les traités de commerce dont notre économie a besoin.

        1. La Suisse n’a pas de problème d’exportation puisque le solde de notre balance commerciale s’établit à 35 milliards. Nos partenaires importants sont l’UE, les Etats-Unis et la Chine. Notre économie n’a pas besoin de l’Indonésie. Nous y exportons des porduits de haute technologie peu sensibles aux taxes.

  7. 100 % d’accord avec vous. Il est temps de joindre les actes à la parole. Durant la crise, on n’a pas cessé d’entendre le contraire de ce que propose cet accord. On pourrait même affirmer que la globalisation n’est pas étrangère à l’ampleur de la pandémie (transports, destruction de l’habitats des espèces sauvages, etc).

    Il y a d’autres voies pour notre industrie agro-alimentaire qui a fait de la santé un argument marketing. Tant qu’à consommer des biscuits, peu recommandés dans la pyramide alimentaire, autant se fait plaisir occasionnellement avec un produit de haute qualité (frais et produit localement) et à en payer le prix réel.

    Quand à nos exportations, la Suisse, vu le coût de la main d’oeuvre et du franc, produit sur des niches sur lesquelles les taxes ne sont pas les vrais différentateurs. Si un riche Indonésien veut se payer une montre de luxe Suisse alors ce n’est pas les taxes douanières qui vont l’arrêter (au contraire, plus c’est cher, plus ça en jette). D’autre par, la plupart ont déjà des entités légales dans des pays asiatiques, ce qui permet d’éviter les taxes d’exportations en exportant depuis un pays qui fait partie d’un accord local (ASEAN).

  8. Bien d’accord avec vous, cette production et utilisation industrielles d’huile de palme est une absurdité. Notre « monde » est resté figé dans le moule d’une théorie de la primauté économique et a donc oublié le reste, que notre biosphère est variée, obéit à des équilibres, a des limites, et que ses ressources sont limitées.
    Je constate que les avertissements scientifiques ont été nombreux mais pas entendus et surtout méprisés. Les déséquilibres provoqués par les hommes depuis des décennies (déchets, pollutions), semblent avoir précipité cette crise sanitaire prévisible. Les conséquences immédiates, tant humanitaires, sociales et économiques sont évidentes et graves.
    Le simple observateur retraité que je suis, a probablement contribué malgré lui à ces dérives, se demande si Homo sapiens sapiens sera capable de réagir et de réorienter fondamentalement son économie afin d’éviter cette possible catastrophe terrestre qui s’annonce à l’horizon.

  9. Merci Monsieur
    de vos courriers je suis française et j adore vous lire et j aime beaucoup
    Les réponses de vos lecteurs.
    Si vous avez le temps écouté en replay de ce mercredi soir sur la Grande librairie la 5
    Bruno latour Sociologue anthropologue philosophe et Boris cyrulnik Neuropsychiatre une étude sur ce qui se passe en ce moment .
    Vraiment très intéressant (.la planète le rapport humains sur le psychisme)

Les commentaires sont clos.