Le curé de la cathédrale St. Nicolas de Fribourg

 

Le mercredi 15 juillet, le Téléjournal de la RSR ouvre sur un sujet qui semble la plus importante nouvelle de la journée : les embarras de l’évêque de Fribourg, Charles Morerod, contraint de licencier le curé de la cathédrale pour affaires de mœurs, puis d’annuler la nomination de son successeur, révélé comme homosexuel actif, bien connu, et enfin d’annoncer  qu’une autre candidature a été refusée pour les mêmes raisons. Les yeux dans la caméra, l’évêque lucide déclare que ce n’est pas terminé. La journaliste ne lui fait pas de cadeau et le relance par des questions précises. Au terme de ce sujet de quelques minutes, la cause est entendue : il se confirme pour l’opinion publique que le clergé de l’Eglise catholique prêche une morale qu’il ne pratique pas. A première vue ne serait-ce qu’un pur exercice de Schadenfreude? A y réfléchir c’est autre chose.

Car tel est bien le paradoxe soulevé. De toutes les confessions religieuses, le catholicisme est le plus strict : il considère comme fautes graves, exactement sur le même plan, l’usage du contraceptif par un couple marié, la cohabitation de jeunes non mariés, la masturbation infantile, le remariage de divorcés, et des crimes authentiques au sens pénal comme le viol, la violence conjugale, la pédophilie. Toute relation qui ne mène pas à la procréation au sein d’un couple marié est considérée comme un péché mortel, la plus grave des entorses à la morale. Sur ce point, la rigueur est absolue ; d’autres sujets sont discutables, celui.ci ne l’est pas

Dans le même temps, cette même Eglise est affectée par une épidémie d’abus, que ce soit de la pédophilie ou du dévoiement dans la direction spirituelle. Certes toute institution humaine est le lieu de tels crimes que ce soient des professions tenues à l’exemplarité, comme les médecins, les avocats, les notaires, les magistrats, les élus, ou encore dans le milieu sportif, scolaire et même dans les familles. Il est inévitable que des brebis noires existent dans tous les troupeaux.

Or le clergé catholique semble particulièrement frappé.  La commission CIASE, instituée en France pour enquêter sur les abus, a recensé au moins 3 000 victimes et 1500 agresseurs à mettre en comparaison avec le nombre de 14786 prêtes et religieux, soit un impact de l’ordre de 10 %. Cela mérite une réflexion qui va au-delà de la révélation des faits, brut de décoffrage, de la RSR.

L’Eglise catholique est aussi la seule confession qui n’ordonne que des ministres masculins s’engageant au célibat. Les Eglises réformées ordonnent des hommes ou des femmes, marié(e)s ou non. On entend beaucoup moins parler d’abus sexuels au sein de son ministère. Cela induit une première explication : recruter de jeunes hommes qui renoncent aux relations féminines risque de se retrouver avec une proportion plus élevée de candidats à tendance homosexuelles. Cela semble être le cas comme le suggère l’étude de Frédéric Martel publiée sous le titre de Sodoma (Robert Lafont, 2019). Mais cela n’explique pas les cas de pédophilie qui n’ont rien à voir avec l’homosexualité. Renonçons à supposer que des hommes à tendances perverses, reconnues et assumées, s’inscrivent dans les séminaires seulement pour avoir accès par après à des enfants sans être suspectés. Reste alors le jeune prêtre interdit de relations affectives avec une femme qui trouve cette expression avec des enfants et qui finit par dériver.

Au regard de cette conformation pathologique, les Etats civilisés adoptent une attitude claire : les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir dans les relations entre adultes consentants. Elles doivent même les protéger en réprimant les propos homophobes. En revanche la justice pénale poursuit ce qui s’écarte de cette norme, les violences entre adultes, le harcèlement et la pédophilie. Cette norme n’a pas été atteinte tout de suite, elle ne l’est pas partout, mais elle constitue une marque de civilisation qui protège l’intimité des personnes et, de plus en plus, réprime les abus.

Tôt ou tard, l’Eglise catholique romaine sera obligée de réformer ses règles sous la pression d’une société civile à la fois plus tolérante, plus réaliste et cependant plus exigeante face aux abus. Personne n’aurait voulu être à la place de Charles Morerod ce 15 juilllet, obligé d’assumer les séquelles de crimes commis avant qu’il soit en fonction, empêché de proposer des mesures radicales dans le recrutement du clergé, par une soumission avérée aux instructions de Rome, que les évêques suisse ont déjà essayé d’infléchir. Qu’en est-il de la souveraineté nationale dans la gestion des religions ?

C’est ici que parait le commentaire de politique suisse. Les pouvoirs publics subventionnent une entreprise à buts religieux, non pas en reconnaissant cette religion elle-même, mais sa fonction sociale. C’est tout à fait normal, sauf que dans le recrutement de son personnel pastoral, cette organisation refuse les femmes, contraire à l’article 8 de la Constitution fédérale et impose aux candidats masculins un renoncement au droit de se marier, directement contraire à l’article 14 . Dans le même registre, ne pas nommer un curé à la cathédrale parce qu’il est homosexuel semble contraire à l’article 13.

Les Eglises chrétiennes méritent d’être sauvées face à la montée de l’incroyance, aggravée ici par le soupçon d’être une secte à dérives perverses. Elles sont dépositaires de ce qu’il y a de plus précieux dans notre culture, l’ouverture à une transcendance, qui donne un sens à l’existence ordinaire. Elles ont suscité des merveilles d’architecture, de peinture, de musique, de littérature. Tout cela ne peut finir dans une décharge de l’Histoire  parce qu’une d’entre elles prône des règles sexuelles irréalistes, qui engendrent inévitablement des abus. Le désir est une tendance normale des humains d’abord parce qu’il garantit las survie de l’espèce et ensuite parce qu’il a produit des chefs-d’œuvres culturels. Le réprimer signifie le dévier. Telle est la leçon du Téléjournal du 15 mai de la RSR. Cela valait la peine d’ouvrir sur ce sujet, malgré le chagrin et l’effroi suscité parmi les fidèles catholiques. Cela vaudrait la peine d’en mesurer les implications pour suggérer d’en sortir par en haut.

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

9 réponses à “Le curé de la cathédrale St. Nicolas de Fribourg

  1. Comme les Ecritures nous enseignent de respecter le pouvoir civil (“Rendez à César ce qui est à César” (Mc 12, 13-17; Mt 22, 15-22, Lc 20, 20-26), “J’encourage donc, en tout premier lieu, à faire des requêtes, des prières… pour les rois et pour tous ceux qui occupent une position d’autorité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et en toute dignité.” (Jr 29.7), “Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car votre paix dépendra de la sienne .” (1 Tm 2.1-2) ), reste-t-il aux catholiques suisses un autre choix que celui de renoncer à pratiquer leur foi au sein d’une Eglise dont le comportement enfreint la constitution suisse?

  2. N’étant pas catholique (aux yeux de certains papimoines bigôts et calotins, je serais plutòt du genre hérétique et schismatique), il ne m’appartient pas de porter un jugement sur une affaire purement interne de cette église. Toutefois, pour avoir été élève et aussi interne au collège de Saint-Maurice pendant quatre ans, de la fin des années cinquante au début de la décennie suivante, à une époque où cet établissement parmi les plus renommés de Suisse n’était encore ouvert qu’aux garçons, je n’ai jamais connu aucun cas de pédophilie, ni d’actes similaires (il est vrai que nous n’étions déjà plus des enfants de choeur).

    Quand de telles dérives ont été révélées pour la première fois par la presse, jamais en retard d’un scandale à se mettre sous la dent, j’en ai été choqué et peiné pour une institution ä laquelle on doit tant sur le plan intellectuel, artistique, culturel et même scientifique (par exemple, avec un Teilhard de Chardin, longtemps mis à l’index par le Vatican), comme vous le relevez à juste titre. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un coup monté de la presse ou de quelque entité visant à saper l’autorité de l’Eglise, déjà bien mise à mal par ailleurs. Cette génération à mon avis par trop spontanée de pratiques discutables au sein d’une institution qui prêche le célibat et fait de la chasteté l’un des trois voeux fondamentaux des candidats à la prêtrise m’a toujours paru des plus suspectes. Après tout, comme toute communauté humaine, et comme vous le soulignez aussi, l’Eglise n’a jamais été à l’abri d’écarts de la part de ses membres. Inutile de remonter aux Borgia pour s’en convaincre.

    Ce qui me peine surtout dans ce genre d’affaires, c’est le discrédit qu’elle porte sur l’ensemble de l’institution et de toutes celles et ceux qui la servent, parmi lesquels je compte de nombreux amis et dont je puis témoigner du dévouement. A Saint-Maurice, s’ils avaient fait voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, nos professeurs n’avaient à coup sûr pas fait voeu d’ignorance. Je leur dois peut-être le meilleur de ma formation.

    On pourrait en dire autant de l’école laïque, où un Tariq Ramadan fait saliver sans fin une presse en pleine crise et aux soins intensifs, reléguant dans l’ombre le travail quotidien de l’ensemble du corps enseignant. Ce n’est pas parce que quelques cas isolés de tripotage de fesses ou d’autres attributs, de quelque genre soient-ils, font jaser dans les chaumières qu’il faut jeter le discrédit sur l’ensemble d’institutions qui remplissent sans relâche, tant dans le domaine éducatif que social, une mission quasi impossible.

    Si le célibat était une telle tare contre nature, on se demande comment, du Pape au plus humble curé de campagne, l’Eglise a survécu pendant deux mille ans – ne serait-ce que du point de vue biologique. Ou alors, la parole des Evangélistes aurait-elle été modifiée au point de ne plus y entendre que: “Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des pieux leur appartient”?

    1. J’ai également passé 4 ans à St Maurice à l’internat et je n’ai jamais fait l’objet d’une attention particulière d’un chanoine. Il faut dire que je mesurais plus de 180 cm et plutôt sportif… Il n’en reste pas moins que je suis scandalisé de voir l’incapacité de l’Eglise catholique à prendre des mesures radicales pour mettre de l’ordre dans ses affaires et ajuster ses pratiques. Je pense sérieusement à sortir de l’Eglise catholique et à ne plus m’acquitter de l’impôt ecclésiastique.

  3. L’Eglise , catholique en particulier, a cru pendant longtemps rester au-dessus des lois, les ayant dictées parfois, mais cette partie de l’Histoire est bien terminée .
    Cette institution n’est plus qu’une association soumise aux règles communautaires comme toutes les autres et ses membres de simples justiciables comme tout le monde …
    Morerod, comme responsable , est resté indigne de sa fonction , ne prenant pas au sérieux les mises en garde , prenant à la légère les informations publiques , préférant passer pour l’idiot du village davantage que pour un chef du clergé ! C’est lui finalement qui devrait démissionner pour son incompétence !

  4. Un etat laic, sans doute la plus grande supercherie de tous les temps.
    Le pouvoir a besoin de religion depuis la nuit des temps, n’est-ce pas PDC?

    D’ou les ultra orthodoxes d’ou qu’ils soient, juifs ou du Dombass, les djihadistes du Moyen-Orient ou des
    Appalaches et bla.

    Pauvre Papa Francesco…. sniff!

  5. Je trouve assez cocasse que les mêmes qui encensent le mariage homosexuel, conspuent le célibat des prêtres. Dans les deux cas, pourtant, il y a une remise en cause du mariage. Car il n’y a pas de doute que le célibat des prêtres est une aberration théologique dans l’histoire de l’Eglise, il a d’ailleurs des motivations pratiques (éviter la transmission du patrimoine ecclésiastique de père en fils). Jésus a sans doute encouragé la chasteté, mais sans remettre en cause l’institution du mariage, or c’est cela que fait l’Eglise catholique romaine en infériorisant la vocation au mariage par rapport à la vocation au sacerdoce; et c’est cela que font aujourd’hui les Etats héritiers de cette morale dévoyée en ouvrant le mariage aux homosexuels.

  6. Bonjour, il me semble que le travail d’enquête a été d’emblée accompli par le reporter Arnaud Bédat de l’Illustré et non de la RTS.

  7. Le constat est accablant et votre analyse décapante. L’église catholique, c’est le pouvoir absolu basé sur des textes écrits par l’église en ses nombreux conciles et qui relèvent de fabulations mais aussi de stratégies de pouvoir, que les peuples d’antan étaient bien incapables, par ignorance, d’appréhender. L’église pouvait imposer ses volontés, comme une dictature. Comme vous le relevez cet état de fait a donné l’occasion de chefs d’œuvres… mais aussi de guerres et de génocides monstrueux.
    Et la connaissance, accessible à tous, est passée par là !
    La transcendance, la recherche de la perfection, de l’excellence ne disparaîtront pas alors que le catholicisme sous sa forme théâtrale et burlesque et son absolutisme n’intéressent plus. La désertion des églises, dans lesquelles les conteurs d’histoires, qui aident à vieillir, ne s’adressent plus qu’à des sièges vides.
    Un pouvoir sans contre pouvoir est sources d’abus de pouvoir.
    Le bilan des membres du clergé, leur absolutisme et par-dessus tout leur mise à ban de 50% des êtres humains, est intolérable. Ils ont choisi de les ignorer sans conscience de leur autodestruction car enfin sans Elles, ils ne seraient pas. Sans Elles il ne leur reste que……… pour absoudre leurs pulsions, plus fortes que le saint esprit.
    La lecture de : » Traité d’athéologie » de Michel Onfray est révélatrice de ce constat.
    Bonne lecture

  8. Encore une fois, vous mettez le doigt sur une question fondamentale: tant que la norme morale de l’Eglise sera perçue comme en-deça de la norme morale actuelle, elle donnera prise à une forte critique voire à un rejet. Cet attachement au conservatisme apparait d’autant moins légitime que nous ne trouvons aucune base, aucune excuse, aucune base crédible dans les évangiles pour justifier un pareil décalage. Le pape François a bien essayé d’argumenter pour une ouverture de l’Eglise en s’appuyant sur les évangiles. Las! Le berger est bien obligé d’avancer à la vitesse du troupeau.
    Bien sûr, en écrivant ces lignes, je pense au clivage et aux actes de vandalisme contre des églises si fréquents en France.

Les commentaires sont clos.