La tentation des idéologies

 

Lorsque rien ne va plus, chacun est tenté de proposer une solution, reposant sur le bon sens, qualité la mieux partagée du monde puisque chacun a le sien, qui est naturellement le seul bon. Le temps présent ne fait pas exception. Par exemple ceci que j’ai reçu d’un commentateur de mon blog.

« A mon avis, la seule solution valable au problème, est d’arrêter le calendrier financier au 31.03.20 et d’annuler ou repousser toutes les échéances pendant 3 mois, voire plus si nécessaire, en annulant tout versement de salaires, primes d’assurances maladie et autres assurances, paiements d’intérêts hypothécaires, loyers, coupons & dividendes aux résidents, abonnements, leasings, factures des services industriels, et d’étendre les délais pour le paiement des factures sur des prestations fournies avant le 31.03.20. L’Etat fournira dans ce cas gratuitement les soins médicaux, les services basiques et l’argent nécessaire pour la nutrition de la population et les dédommagements des accidents. »

Je ne commenterai pas cette proposition laissant chacun libre de le faire. Elle ressort d’une ligne de pensée qui fut mise en pratique dans plusieurs régimes étatiques avec des fortunes variables mais pas toujours heureuses.

D’une certaine façon, l’économie capitaliste, libérale, mondialisée qui nous gouverne est, elle aussi, fondée sur une idéologie, radicalement opposée à l’intervention de l’Etat. Elle suppose que l’intérêt égoïste de chacun concourt à la fortune globale par la croissance impérieuse. L’inégalité sociale est le moteur qui pousse ceux du bas à s’exténuer à rejoindre ceux du haut.

La racine de cette idéologie s’enfonce dans les profondeurs de la biologie. L’évolution des espèces n’est pas un jeu civilisé. Les génomes changent selon le hasard des mutations. La plupart sont inutiles ou nuisibles. Seules survivent celles des meilleurs. Grâce au lion, les gazelles courent vite et sont élégantes.

Face à la crise, certains, dont l’homme le plus puissant du monde, se font les chantres de cette idéologie en la poussant jusqu’en ses dernières conséquences. Par exemple en se barricadant sur le territoire national, en construisant des murs de barbelés, en suspendant les transports, en réquisitionnant. La réussite des partis populistes montre qu’une partie des citoyens y adhèrent. C’est une logique de guerre à la fois contre le virus, contre les réfugiés et contre le reste de la Terre.

On verra à l’autopsie quelle est la meilleure tactique. D’une part le confinement reposant sur la responsabilité de chacun pour ralentir la propagation du virus et permettre aux hôpitaux de sauver le plus de patients fragiles. D’autre part le laisser faire choisi par certains pays du Nord de l’Europe qui mise sur l’infection généralisée et l’immunité acquise du plus grand nombre au prix de 2% de morts. Ici aussi deux idéologies se confrontent.

La Suisse n’est pas dans ces extrêmes. La concordance au sein des exécutifs tient les décisions dans une moyenne. L’Etat intervient mais pas trop tôt, pas trop fort, juste ce que la population est près d’accepter. Les partisans des deux idéologies extrêmes exposées ci-dessus, critiquent cette retenue, mais en sourdine car les clameurs, les exagérations, les attaques sont mal vues de tous. En somme le pouvoir en Suisse a son idéologie aussi qui consiste à ne pas en avoir. Le pouvoir vise le non-pouvoir. Et si c’était cela l’application du vrai bon sens ?

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

6 réponses à “La tentation des idéologies

  1. La Suisse a choisi le même modèle que les anglais.

    Exposer 80% de ses travailleurs au virus, en comptant sur leur (bonne) santé et le système de soins pour y faire face, et confiner les personnes vulnérables (aînés, enfants,…). Il suffit de voir les courbes pour comprendre que nous avons le modèle le plus agressif.

    La seule différence est que nous avons (géographie oblige) une semaine d’avance sur la GB… ce qui permet à nos intellectuels de se gausser maladroitement.

    D’ailleurs, on voit certains cantons s’en offusquer et souhaiter le modèle français. Mais le modèle Macron est hypocrite: il compte sur la désobéissance pour créer une immunité de groupe…

    Moi, personnellement, je pouvais vivre avec 20’000 morts sur ma conscience (+50% du nombre normal) et la promesse d’investissements massifs dans nos services régaliens pour nous les faire oublier…

    1. Encore aujourd’hui très peu de personnes ont compris ce qui se passe. Des scientifiques prétendent que notre système l’assimile et on aura des autodéfenses, alors que d’autres disent que nous pourrions être infectées plusieurs fois d’une année après l’autre. Déjà en Suisse il y a une souche du virus chinoise et une autre italienne.
      La masse des humains survivra sans doute et peu en mourront, mais le système va changer profondément. Toute l’épidémie a démarré avec l’infection d’une seule personne en Chine, donc les déplacements sur la planète seront réduits de 90% et peut-être plus, jusqu’à la disparition du virus, ce que personne ne peut deviner quand.
      Je pense que la Suisse a choisi le modèle américain qui consiste à confiner quand cela est nécessaire dans les zones trop touchées, mais la réponse économique est désastreuse. Aider le commerçant qui loue une arcade à Zurich ou à Vevey a du sens, mais aider Swiss (le transporteur allemand) tout en sachant que son modèle d’affaires ne tient plus, n’a aucun sens. Le métier des croisiéristes en gros bateaux, c’est aussi fini. Les 70 millions de touristes en France et les 8 millions de touristes en Suisse c’est terminé pour longtemps.
      Personne n’avait un plan. Quand je voyais nos jeunes faire des cours « de répète » à l’armée je me disais mais la Suisse est prête à tout.

  2. Un mécanisme exceptionnel de 3 mois ne convertit pas un régime capitaliste en un régime communiste. Si le capitalisme arrive tout seul à résoudre le problème, pourquoi pas, mais dans ce cas il faut arrêter de solliciter la Confédération pour apporter son aide. Ni 100 milliards ni 300 milliards ne vont suffire quand on ouvre le bal des milliards à gogo !

    1. Si j’ai bien compris le méchanisme que le CF propose aux entreprises, celles-ci doivent d’abord trouver un arrangement avec un banquier… Et ensuite la confédération s’arrange avec lui. Donc, nous sommes bien dans un système où la finance exerce un pouvoir total puis, l’Etat passe l’éponge ou soutien le système financier. Il va de soi que les micro entreprises sont laissées pour compte. Tout cela correspond bien à une certaine idéologie.

  3. P.S. La Suisse, donneuse de leçons au monde entier, est en train de sombrer.
    Je n’en suis pas si étonné!

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