Les religions malades du pouvoir

 

Le titre fait référence à la fable de La Fontaine. L’exercice du pouvoir s’apparente à une peste lorsqu’il s’exerce dans des structures ecclésiales, qui non seulement n’en ont pas besoin, mais qui ont été érigées à distance du pouvoir politique, comme un recours contre lui, comme la présence d’une dimension transcendante. Rien n’est pire qu’une religion d’Etat, sinon un Etat religieux.
L’actualité en donne une confirmation éclatante. Un livre, signé d’un cardinal et du pape émérite Benoit XVIII, contredit une des conclusions du Synode sur l’Amazonie, la possibilité d’ordonner des hommes mariés en cas de nécessité. On porte ainsi dans le domaine public un conflit latent entre deux tendances politiques au sein de l’Eglise catholique : les traditionnalistes et les partisans du mouvement.
L’Eglise catholique est la plus gravement atteinte, parce qu’elle présente la singularité d’être aussi un Etat de plein droit, le Vatican. Pour exercer pleinement sa vocation religieuse, elle a voulu être une institution exerçant des pouvoirs régaliens. Or, ceux-ci ne se limitent pas à quelques hectares de l’Italie, mais s’étendent au monde entier. Dès lors cette Eglise, avec plusieurs millions de religieux et de religieuses, fonctionne comme une multinationale, susceptible des déviations propres à ce genre d’entreprise humaine : centralisme, carriérisme, corruption.
On a découvert par médias interposés l’épidémie de pédophilie, la direction spirituelle couvrant des viols de religieuses, la réprobation de l’homosexualité par des adeptes de celle-ci. Lorsque le nonce apostolique de Paris se livre à des harcèlements sexuels en pleine réception officielle à la Mairie, on dépasse l’odieux pour tomber dans le ridicule. Davantage que d’autres grandes entreprises, l’institution souffre d’un pouvoir exercé sans limite, parce qu’il est non seulement absolu, mais bien plus, consacré comme d’origine divine. Il s’agit d’une stagnation ou d’une régression dans le paganisme, qui ne concevait le pouvoir politique que fondé sur le sacré.
A côté des abuseurs criminels continuent à œuvrer des millions de religieux et de laïcs qui s’efforcent, jour après jour, de remplir leurs missions pastorales dans la dignité, le désintéressement et la modestie. Eux n’exercent pas le pouvoir, mais ils sont déconsidérés par la carence ou la duplicité de ceux qui le détiennent.
Bien entendu, cette pathologie a donné lieu à des propositions qui visent toutes à corriger l’exercice d’un pouvoir absolu et sacralisé, réservé à un petit groupe d’hommes, majoritairement des célibataires âgés, à l’exclusion des femmes. Ces propositions ne portent pas sur la doctrine mais uniquement sur l’organisation de cette Eglise romaine, en tant qu’institution humaine.
Que l’égalité parfaite soit réalisée entre hommes et femmes. Que les femmes accèdent aux ministères ordonnés, comme à toutes les fonctions de la société civile. Qu’elles participent pleinement aux décisions. Que l’obligation du célibat ecclésiastique soit abrogée, pour ouvrir la possibilité d’ordonner des hommes ou des femmes, marié(e)s ou non. Que tous les mandats soient attribués par une procédure démocratique. Qu’ils soient limités dans le temps et soumis à évaluation.
Ces réformes élémentaires, qui attendront encore longtemps, voire à tout jamais, avant d’être réalisées dans l’Eglise catholique, le sont déjà dans les Eglises réformées. Or, les désordres actuels de l’Eglise Evangélique Réformée de Vaud montrent que ces réformes sont ou bien insuffisantes, ou bien mal appliquées. Dans l’exercice du pouvoir, même synodal, la structure cantonale reproduit en petit celui d’une Eglise multinationale. Les ministres du culte sont traités comme des employés qu’on licencie s’ils cessent d’être conforme au modèle imposé. Un directeur des ressources humaines se mue en autorité dogmatique et pastorale.
De même les patriarcats de l’Eglise orthodoxe s’abandonnent à des excommunications réciproques. Ou encore l’Islam, exemple de diversité et d’autonomie, est devenu violent lorsqu’un Califat a été rétabli.
C’est donc le pouvoir, en tant que tel, qui est abusif dans toute confession religieuse. La Suisse politique fonctionne très bien selon le principe d’acratie, c’est-à-dire d’absence de pouvoir, de sa dilution au point où chaque citoyen en détient une parcelle. C’est un modèle pour toutes les Eglises. Elles devraient se dispenser d’une administration centrale et d’une instance de régulation dogmatique.
Si des croyants se réunissent pour prier, pour célébrer, pour partager leurs intuitions, la norme idéale semble une communauté autonome, se recrutant par attirance mutuelle, élisant ses responsables, multipliant ceux-ci en fonction de leurs charismes. Aux uns la présidence des offices, à d’autres la prédication ou les chants, à d’autres encore l’accueil et le soutien des indigents de toute sorte pauvres, malades, réfugiés.
L’Etat helvétique ne se mêle point de spiritualité, sinon pour mettre, via les cantons, des locaux à disposition ou pour subventionner les activités de type social, comme il le fait pour tant d’entités culturelles, sportives, caritatives. Il rend ainsi à Dieu ce qui lui appartient, en abandonnant forcément le pouvoir spirituel, malheureusement parfois à des Césars au petit pied. C’est maintenant aux Eglises à ne plus se prendre pour des entreprises de droit divin, mais au contraire pour des lieux de non pouvoir, d’acratie. Elles seront d’autant plus efficaces qu’elles seront moins organisées.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

20 réponses à “Les religions malades du pouvoir

  1. Ce ne sont pas les “religions malades du pouvoir”.
    Mais bien plutôt de l’homme qui se sert de la religion pour avoir du pouvoir.
    L’actuel schisme papal en est d’ailleurs bien la preuve!

  2. Que pensez-vous de la prochaine votation ?

    Typiquement, un humoriste chante “Jesus est pédé”.
    Pour avoir critiqué les catholiques, sa chronique est défendue (c’est bien, même si la chanson était nulle).
    Puis, après une plainte d’une association lgbt, la radio et l’humoriste s’excusent.
    http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/jesus-est-pede-sur-france-inter-une-plainte-et-des-excuses-pour-une-chronique-ratee-15-01-2020-8236992.php

    Et dire que c’était la semaine Charlie où, précisément, il fallait rappeler l’importance de la liberté d’expression !

    Comment en sommes-nous arrivés au point d’opposer les minorités entre elles et de donner des gages aux uns (ici, les lgbt+) contre les autres (les croyants) ?

    Souhaitons-nous vraiment communautariser notre pays ?

    Qui est encore là pour défendre la liberté d’expression ?

    1. La liberté d’expression est garantie par la Constitution, pas l’appel à la haine envers quelque minorité que ce soit. Aucune minorité n’a plus de droit qu’une autre. L’appel à la haine à l’égard des juifs ou des musulmans serait sanctionné autant qu’à l’égard des LGBT.

      1. L’appel à la haine est déjà puni indépendamment de la prochaine votation, tout comme des injures, menaces, lésions corporelles, etc.

        La votation ne parle pas de ça, mais de la criminalisation de propos homophobes (donc sans être un appel à la haine, qui est déjà puni), par exemple ce qu’on peut entendre lors d’une manif pour tous en France…

        “Aucune minorité n’a plus de droit qu’une autre. ”
        Donc, vous souhaitez que l’article 261bis soit étendu aux RRoms, aux handicapés, aux alcooliques, aux blondes,… aux Valaisans, etc. ? afin que toutes les minorités disposent d’une protection similaire ??

        Que restera-t-il à la blague du “C’est toto qui rentre dans un bar…” ?

        1. @LIBERTÉ CHÉRIE

          Je partage votre avis sur l’extension à “l’homophobie” de la norme antiraciste. Ce qui est sidérant c’est de voir à quel point il existe une sorte de consensus gnangnan pour cette mesure liberticide. Les gens semblent avoir intériorisé l’idéologie LGBT punitive, qui apparaît comme un ersatz de charité chrétienne. Et en plus cette loi est inutile, car l’appel à la haine est déjà punissable.

          Si cette loi est bêtement adoptée par niaiserie collective, il y aura un effet inévitable, mais auquel personne ne pense, même pas les organisations juives qui restent coites sur la question. (Difficile de comprendre pourquoi). Selon les opinions personnelles, chacun pourra se réjouir ou être horrifié quand cet effet, immanquablement, se produira:

          La norme antiraciste, qui avait pour but essentiel d’interdire le révisionnisme historique, perdra son autorité morale en état mise sur le même plan que la cause LGBT, laquelle sera toujours controversée et suscitera toujours un vif rejet dans des secteurs très larges de l’opinion. Cet effet sera puissant car l’opposition à l’idéologie LGBT agressive ne s’atténuera pas avec le temps, au contraire elle ira croissante. La conséquence sera la déconsidération du tabou de la Shoah, qui sera abandonné en même temps que l’opinion cessera de respecter l’article 261bis du CPS.

          Ce sera dramatique. Je ne m’en réjouirai pas, à titre personnel, mais cette conséquence paraît inévitable. Il est incompréhensible que personne ne semble en avoir conscience.

  3. Qu’est-ce que vous attendez pour devenir protestant?

    Même s’il y a des dérives hiérarchiques dans les instititutions ecclésiales protestantes, – et vous les dénoncez-, seule une communauté réformée libérale peut adhérer au programme que vous appelez de vos voeux. C’est impossible à l’Eglise catholique romaine. Rigoureusement impossible et vous le savez très bien. Vous savez très bien que tout ce que vous demandez sera toujours refusé par l’Eglise catholique, même moderniste, même la plus progressiste incarnée par le pape François. Alors pourquoi vous acharnez-vous à rester dans une instititution dont vous savez par A par B qu’elle ne suivra jamais vos propositions, même des centaines d’années après votre mort.

    En restant catholique romain vous ne faites que vous user les nerfs en vain et vous ne pouvez être qu’un ferment de discorde pour cette institution qui aurait plutôt beson de retrouver la paix en son sein. Soyez donc logique et tirez les conclusions des faits que vous connaissez.

    1. Malheureusement l’Eglise réformée vaudois s’est comporté récemment de façon autoritaire. Bref je suis réduit à être chrétien avec tous ceux qui le sont, sans en privilégier aucune.

      1. Vous avez aussi la possibilité de rejoindre l’église catholique chrétienne qui elle ne reconnaît pas le pape et au sein de laquelle les prêtres peuvent aussi se marier. Mon grand père, paysan jurassien a l’époque, l’avait fait comme d’autres paroissiens de son village.

        1. Bonne idée, c’est vrai que l’Eglise vieille-catholique serait l’idéal pour Mr Neirynck, qui reste malgré tout culturellement un catholique et ne s’acclimaterait pas facilement chez les parpaillots.

    2. En quoi l’église dite réformée est supérieure ou moins bien ? On ne change de tradition comme si on changeait de parti politique. C’est dans les temps difficiles que l’église catholique peut compter davantage sur ses adhérents. L’essence même d’une religion est de vivre en harmonie avec sa famille et son environnement. Les conversions restent rares car elle se font en général dans la rupture et le fracas. L’église évolue, il faut juste que les l’aile conservatrice du Vatican laisse au pape François une totale liberté pour la réformer, sans provoquer un shiisme comme celui que Luther avait mené, et qui continue encore aujourd’hui à brouiller le message du Christ et à affaiblir la chrétienté et l’Occident. Je ne pense pas que le bilan de la séparation était positif en tenant compte des 3 guerres des deux derniers siècles entre la France et l’Allemagne.

      1. L’Allemagne n’est pas un pays uniformément protestant. Hitler était catholique. Les guerres franco-allemandes des deux derniers siècles n’ont été en rien des guerres de religion mais l’affrontement de deux puissances dominantes sur le continent.

        1. Merci pour votre commentaire. Je vous recommande la lecture de cette revue des deux mondes dans le lien ci-dessous sur la guerre de 1870. De ma perspective Il faut toujours chercher la religion ou les différences raciales dans toutes les guerres depuis le XVI jusqu’à ce jour, en supposant que l’Athéisme est une religion ou sa négation. 1914 est la fille de 1870 et 1939 sa petite-fille, dont le 1917 russe est un proche parent.

          https://fr.wikisource.org/wiki/La_Politique_religieuse_de_la_Prusse

  4. point de vue louable à ceci près que les religions prétendent détenir le pouvoir au nom d’un dieu inexistant ou tout au moins dont on n’a jamais pu en démontrer l’existence , puisque par définition , il s’agit d’une croyance qu’on a transformé en dogme !
    Supprimer cette idée de dieu et tout le reste s’écroule de lui-même , les religions aujourd’hui n’ayant plus de raisons d’être . On peut très bien se contenter d’ONG qui se consacrent à diverses oeuvres humanitaires autant sur le plan pratique que sur un plan plus spirituel où hommes et femmes jouent des rôles semblables .

  5. Oui mais une Eglise sans prince, c’est une Eglise sans rêve. Vous oubliez un peu vite que, pour les chrétiens attachés à l’enseignement des saints, du moins, la religion et plus encore l’Eglise n’est pas de ce monde, elle y travaille pour le transformer. Vous aimeriez refonder la religion sur le modèle de la Suisse: et si on essayait le contraire ? Cela donnerait une structure sociale qui saurait pourquoi elle existe, parce qu’elle aurait un but. Et qui assume devant l’éternité, pas moins, le risque d’employer de mauvais moyens, mais pas de renoncer à son but.
    Est-ce que pour vous, sérieusement, le seul but de la vie sociale est d’avoir la paix ? Mais la paix pour quoi faire ? Pour accumuler des biens de consommation ? Pour voir grandir vos petits-enfants ? Pour vous consacrer à la science ? Tout cela est très bien mais ne nourrit pas un cœur humain qui a besoin d’infini.
    Je ne suis pas pour une théocratie, mais une société ouverte sur l’infini, ce qui passe par des valeurs que vous passez peut-être sous silence: la modestie, la reconnaissance de ses faiblesses, l’attachement à un héritage spirituel, une certaine responsabilité (“missionnaire” ?) à l’égard des autres sociétés, l’esprit de sacrifice aussi, puisqu’il faut être prêt à mourir pour cette finalité.
    C’est le rejet de l’ “infini” qui provoque les retours de manivelle que vous énumérez et qui vous choquent. Ce n’est pas en privatisant la religion qu’on va lutter contre ces abus de pouvoir, qui vont au contraire échapper au contrôle social et aggraver les abus d’autorité au nom de la religion, comme dans les sectes. C’est parce qu’il y a un concordat entre l’Eglise (une Eglise qui a la prétention d’organiser la vie en société)* et l’Etat que l’on peut dénoncer ces abus.

    * Les dix commandements ne sont pas des vœux pieux, des bons sentiments, c’est un projet social. Le respect du repos hebdomadaire, par exemple, disparaîtrait rapidement s’il n’avait pas un appui dans une religion capable de l’affirmer devant la bien pensance libérale. Idem l’esprit de sobriété sans lequel on ne sortira pas de la crise climatique. Il faut pour affirmer ces vérités au nom de Dieu, comme dans l’encyclique Laudato Si, un pouvoir centralisé.

    1. Soutenez-vous dès lors le concept de l’Eglise catholique qui serait la seule authentique confession chrétienne, parce qu’elle est organisée autour d’un pouvoir centralisé à Rome? Luthériens, anglicans, orthodoxes sont ils des chrétiens de seconde zone?

        1. Dieu a promis le royaume des cieux aux simples en esprit, pas aux simples d’esprit. Etes-vous sûr d’être admissible?

  6. Bien sûr que non, il n’y a qu’une seule Eglise, avec des manifestations visibles plus ou moins fidèles. Aux Anglicans et aux Orthodoxes, par exemple, le sens du sacré, que les Catholiques en Occident ont moins bien conservé; aux Luthériens le souci de la lecture de la Parole de Dieu; et aux Catholiques, le pape, pour le meilleur et pour le pire.
    Pour un bon discernement, il faut garder à l’esprit les passages de l’évangile auxquels se réfère l’autorité du pape, comme Luc 22, 31-32 (“… Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères” > il surveille la foi) et Jean 21, 15-17 (… Jésus lui dit : “Pais mes brebis” > il surveille la morale).

  7. Sur l’Islam “exemple de diversité et d’autonomie, devenu violent lorsqu’un Califat a été rétabli”, il y aurait beaucoup à nuancer. Le christianisme peut s’accommoder d’une monarchie, d’une démocratie, ou, hélas, d’une tyrannie; l’islam pas: il ne peut pas y avoir un chef spirituel auquel se soumettrait, pour les questions spirituelles, plusieurs gouvernements éventuellement ennemis sur les questions économiques et sociales. Le chef musulman, le calife, est responsable autant pour les questions spirituelles que temporelles, et cela dès l’origine. Ce qui a permis à l’Islam de nourrir la diversité et une certaine tolérance, c’est le courant mystique, le soufisme. Mais il a été constamment persécuté. Il ne doit pas y avoir d’intermédiaire, dans l’Islam orthodoxe, entre Dieu et le croyant.

  8. l’homme est grégaire famille clan tribut vivre ensemble mourir pleurer ensemble invoquer ensemble : prier croire sans savoir a forgé les communautés et leurs concepts d’existence, non? Les prédisposés de la communication qui ont saisi leur pouvoir d’attraction ont fait le reste question religion : la communauté a toujours eu besoin d’un mystère spirituel et d’un prédicateur, au moins dans les temps historiques. Adhérer à une communauté dispensant de la spiritualité est dans les gênes. Peu importe le dispensateur : devin chaman prêtre imam pasteur rabbin il a l’aura du mystère spirituel : il est là. Il soude. Comme le font les cloches de l’église au milieu du village. Alors peu importe finalement si les dispensateurs trébuchent, le besoin les remplacera, faim jamais assouvie. Et les non pratiquants ne sont pas mécontents d’être intégrés malgré eux dans la communauté…Alors pas de changement en vue depuis des millénaires, il y aura toujours un dispensateur respecté.

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