La méthode de l’ilote ivre en politique internationale

Les citoyens de Sparte, pour dégoûter leurs enfants de la boisson, enivraient un ilote, c’est-à-dire un membre de la classe la plus basse. Dès lors poussés à la vertu et entraînés sans répit, les guerriers  spartiates étaient les meilleurs de toute la Grèce antique. Le spectacle du vice le plus répugnant peut ainsi induire la vertu la plus haute. On commence à s’inspirer de cette méthode en politique internationale.

L’embargo des États-Unis contre Cuba est un blocus économique, commercial et financier, qui fut mis en place le 3 février 1962 . En 2019, l’embargo subsiste, ce qui en fait le plus long de l’époque contemporaine. Le but avoué de cette décision était d’appauvrir les Cubains de façon à dégoûter les autres Latinos de se convertir au communisme. Il fallait faire un exemple.

En mars 1995, les États-Unis mettent en place un embargo sur le pétrole contre l’Iran, puis en mai 1995, ils mettent en place un embargo économique interdisant tout commerce avec l’Iran. En 1996, la loi d’Amato-Kennedy interdit à toute entreprise étrangère d’effectuer un investissement supérieur de 20 millions de dollars en Iran dans le secteur des hydrocarbures. La multinationale Total est contrainte de payer 300 millions de dollars aux États-Unis après un accord « à l’amiable ». Au cours des années 2010, les entreprises européennes ont dû payer aux États-Unis plus de 40 milliards de dollars d’amendes pour avoir maintenu des transactions avec l’Iran. Est-ce encore le signe de pays indépendants? En garantissant la sécurité militaire de l’Europe, les Etats-Unis ont fini par se complaire dans une forme de colonialisme économique.

La vie des 83 millions d’Iraniens et Iraniennes est devenue beaucoup plus difficile depuis que les Etats-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire, et réinstauré des sanctions sur la République Islamique d’Iran. C’est la même manœuvre que celle utilisée contre Cuba. La ruine de l’Iran servira de leçon aux pays qui tenteraient d’acquérir un armement nucléaire.

Depuis, le prix des marchandises dans le pays a doublé, triplé voire quadruplé. C’est le cas par exemple de denrées comme les pistaches et les amandes, aliments de base en Iran. Le mouvement de colère se propage dans une cinquantaine de villes. À Téhéran, les manifestants ont eux aussi bloqué d’importants axes routiers. Fustigeant tout d’abord la hausse du prix de l’essence, les manifestants ont ensuite étendu leurs slogans à la politique régionale de la République islamique, aux cris de « L’argent du pétrole a été perdu, il a été dépensé pour la Palestine ! » Il y a 143 personnes tuées par les forces de l’ordre dans la contestation qui secoue l’Iran. La hausse du nombre de morts est un signe alarmant de la panique du pouvoir en place.

Après avoir déstabilisé le Moyen Orient par l’agression sans justification de l’Irak, les Etats-Unis sont en train d’allumer un autre foyer sans avoir éteint les précédents. Jadis on a pu les considérer comme le gendarme du monde, promouvant la démocratie parmi les nations qui l’ignoraient. Aujourd’hui ils n’ont plus d’autre ambition que de créer des spectacles d’ilotes ivres, en ruinant les pays qui ne se conforment pas à leurs intérêts. De gendarme, ils sont devenus l’équivalent d’un parrain dans une maffia contrôlant toutes les nations.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

11 réponses à “La méthode de l’ilote ivre en politique internationale

  1. Vous n’avez jamais fait autant sens depuis que vous n’êtes plus élu, cher Jacques.

    Comme quoi le Parlement le plus jeune, vert et féministe qui vote l’annulation de tout vote électronique n’a pas beaucoup d’avenir, à part chinois 🙂

  2. Obnubilés par la course au chiffre d’affaires, nous avons perdu toute dignité.
    A quand un leader qui organise un contre-feu et ose tenir tête à un “partenaire” dirigé par un imbécile congénital. Et pourquoi pas nous rapprocher ostensiblement de la Russie et de la Chine (c’est guère mieux direz-vous)

    1. La bonne solution est d’être soi-même. Il existe des pays civilisés qui partagent les mêmes valeurs, dont la Suisse. A eux de faire front commun contre les trois grandes puissances dirigées par des gens sans scrupules et sans visions. Ne nous demandons plus ce que l’UE peut faire pour la Suisse, mais ce que la Suisse peut faire pour renforcer l’UE.

      1. Excellent, et ô combien juste, commentaire. Ceux qui chez nous ne cessent de dénigrer l’UE, allant même jusqu’à la qualifier de “dictature” (ce qui est une véritable insulte pour ceux qui, eux, vivent réellement sous un tel régime), sont en fait les fossoyeurs de l’indépendance, liberté et dignité de notre continent. Une vraie 5ème colonne au bénéfice des autres grandes puissances mondiales qui ne demandent pas mieux que d’avoir un continent européen divisé et affaibli pour mieux nous garder, ou nous mettre, sous leur coupe!

  3. A voir la baisse d’espérance de vie chez les Américains pour raison de consommation de drogue, on peut se demander qui sont les ilotes ?
    La méthode américaine de néocolonialisme datant de la fin de la deuxième guerre mondiale n’a finalement pas atteint ses objectifs.
    Trump n’a pas non plus su amadouer Kim Jong Un qui peut-être reste le seul à oser résister …
    L’UE fait malheureusement la douloureuse expérience de son impuissance !

  4. Vision aussi lucide que sans concession, eu égard au contexte géo-politique actuel. Par leur interventionnisme et leurs objectifs déstabilisateurs, en marge de toute base légale, les Américains ont en effet créé les Talibans, puis Al Quaida et enfin l’Etat Islamique et s’en relèvent avec peine quand ils reprennent le produit de leur politique néo-colonialiste en pleine figure.

    Et avec un président Mickey Mouse à la Maison-Blanche, un tsar de carnaval au Kremlin et un jaune d’oeuf, Grand Timonier cybernétique, à Pékin, semi-illettrés incapables de voir plus loin que les rapports de force brutaux par rouleaux compresseurs économiques interposés, l’avenir ne laisse pas vraiment de quoi rêver.

    Dans un tel contexte de collusions maffieuses montantes, aussi nauséabondes qu’un débordement d’égoût, même en s’inspirant de l’injonction de John F. Kennedy à ses concitoyens (“don’t ask what your country can do for you, but what you can do for your country”), que peuvent faire les nations dites “civilisées” – surtout quand leurs propres élites agissent à tous égards comme ce qui ressemble fort à une nouvelle trahison des clercs? En particulier, combien de nos hautes écoles ne se sont-elles pas mises à plat devant le modèle américain? La presse ne nous apprenait-elle pas il y a peu que les deux EPFL avaient signé un contrat, certes pas mirobolant en termes financiers, avec le département américain de la Défense?

    Avec un tel exemple, comment croire encore à la mission civilisatrice de nos prestigieuses hautes écoles?

    Joyeux Noêl à toutes et à tous quand même…

      1. Voici un extrait de l’article intitulé “Défendre et attaquer – Parler ouvertement des armes reste difficile. Une mise en perspective académique, économique, futuriste et historique”, p. 13, de la revue académique “Horizons” de juin 2016, page 13 (https://www.revue-horizons.ch/wp-content/uploads/sites/2/2017/11/Horizons_109_F.pdf) :

        “Il y a trois ans, la Sonntagszeitung révélait qu’entre 2011 et 2013, le Pentagone avait soutenu une douzaine de projets de recherche suisses pour un total de plus d’un million de dollars. Les fonds américains destinés à l’armement avaient été alloués entre autres à l’ETH Zurich et aux universités de Zurich, Berne et Neuchâtel. Ces projets financés par Darpa, l’agence de la recherche du département de la Défense, relevaient avant tout de la recherche fondamentale (informatique quantique ou micro-électronique).”

        Une telle collaboration entre les hautes écoles et le département américain de la Défense ne daterait donc pas d’hier. En revanche, les compte-rendus de presse plus récents ont, comme par magie, disparu des radars entre-temps. Sans doute s’agissait-il de “fake news”…

        1. Je note qu’il n’est pas question de l’EPFL et ensuite que des recherches sur l’informatique ou la microélectronique n’ont aucun lien directe avec l’armement et enfin que si nous comptons sur les Etats-Unis pour protéger l’Europe on ne doit pas considérer la Darpa comme une institution répréhensible. En quoi cela obère-t-il la mission civilisatrice de l’EPFL?

          1. Si l’EPFL n’est pas mentionnée dans l’article de la revue “Horizons”, en revanche, elle l’est dans l’édition du 6 décembre 2018 de “Swissinfo.ch” dans le cadre d’un projet DARPA, dans un article intitulé “A special relationship: The US military and Swiss universities” (https://www.swissinfo.ch/eng/sensitive-research_a-special-relationship–the-us-military-and-swiss-universities/44591246):

            “At around the same time (2011-12) the Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne (EPFL) was working on a DARPA-funded project called Knowledge enhanced exapixel imaging (KEEP). The objective was to come up with new techniques for super-resolution image compression. Back then, compressing huge pictures required tremendous computing power. The KEEP project worked on using mathematics and machine learning to find new ways of compressing images that required less computing power.

            En effet, ni la recherche en informatique, ni en microélectronique n’ont de lien direct avec l’armement. Il n’est pas question non plus de considérer DARPA comme une institution répréhensible, bien au contraire, puisqu’elle est à la base de la recherche dans un domaine tel que celui du traitement automatique du langage, et donc de l’intelligence artificielle. Toujours selon “Swissinfo.ch”, “The research led at EPFL had no direct application in scope, since it was very fundamental work. The team aimed at demonstrating theoretically if a 100x compression ratio could be achieved in such gigapixels images,” a spokesperson for EPFL told swissinfo.ch.”

  5. L’analogie avec les spartiates est intéressante… car Sparte a décliné d’avoir voulu tordre le bras à ses alliés tout en s’accrochant, dans une foi par trop conservatrice au modèle qui avait fait son succès. Les US se sont ruinés tant moralement que financièrement dans les défaites successives d’Irak et d’Afghanistan. Leur atout maître est le controle de l’occident par internet. Ils entendent l’utiliser contre leurs anciens alliés le temps de redéfinir les règles du commerce mondial à leur avantage au risque de s’attirer des haines tenaces. Peut-on ainsi renverser impunément l’ordre mondial? Après l’isolement d’Assange, l’interception de l’avion du président Bolivien et toute cette sorte de choses, combien de temps cela peut-il tenir? Les paris sont ouverts.
    Le sort des prisonniers détenus sans procès équitable, des torturés et des civils victimes de leurs cartons finira par peser lourd dans ce désamour… car on ne saurait mettre tout cela sur le compte d’un seul président.

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