Dédié à ce pays où roulent les trains

 

Aujourd’hui les cheminots français maintiennent leur préavis de grève pour la onzième journée. On ne parviendra jamais à calculer ce que cela a déjà signifié comme perte pour le revenu national de la France. Non seulement le manque à gagner de la SNCF, mais aussi des commerçants, des travailleurs empêchés de se rendre à leur travail, des entreprises en partie paralysées. Il y aura moins de pouvoir d’achat à distribuer pour tout le monde, sauf pour ceux qui ont la décision en main, à la fois les syndicalistes et les ministres. Avec leurs voitures et leurs logements de fonction, ces derniers sont au-dessus de la sordide mêlée des usagers pour s’engouffrer dans une des rares rames qui circulent. Ils ont le temps d’attendre.

On assiste consternés à un combat pour le maintien des privilèges, concept ignoré ou décrié en Suisse et dans d’autres pays démocratiques. Effectivement les retraites des grévistes sont plus élevées que celles de ceux qui ne font pas grève. En moyenne pour 2017, elles étaient de 2 013 euros à la SNCF, 2 357 euros à la RATP et 2 611 chez EDF, contre 1 298 euros pour la fonction publique hospitalière et territoriale et 1 381 euros brut tous régimes nationaux confondus. Grâce à leur situation de service public indispensable, ces privilégiés peuvent prendre en otage les non privilégiés, c’est-à-dire la masse des citoyens qui sont, en théorie les propriétaires de ces entreprises publiques. Si les transports en commun sont devenus des entreprises publiques c’est précisément parce qu’elles furent considérées comme tellement indispensables qu’on ne puisse les confier au privé. Et c’est pour cela qu’elles deviennent paradoxalement inutilisables.

Une grève n’a de sens et d’efficacité que dans le secteur privé. Il s’agit d’une épreuve de force classique : le gréviste n’est pas rémunéré alors que l’entreprise ne produit plus et perd de l’argent. A un certain moment le patron perd tellement qu’il a avantage à se rendre aux revendications de ses employés. Tandis qu’une grève des services publics, en particulier des transports, n’a pas de sens car les usagers n’ont pas le pouvoir de décision sur les revendications proclamées.

Le statut juridique de la grève est variable selon les pays, de l’interdiction pure et simple (en particulier dans les dictatures dites populaires), à l’encadrement réglementaire ou législatif. En Suisse, la paix du travail les évite.

Et donc pour aller de Lausanne à Berne, on ne se pose même pas la question. Il y a deux liaisons par heure et on connait par cœur l’horaire. En revanche pour aller de Lausanne à Bruxelles, on doit maintenant considérer que la France est infranchissable et faire le détour par l’Allemagne, si l’on refuse de prendre l’avion pour de justes raisons.

Résultat final : le même peuple, parlant le français, de part et d’autre du Jura, a un pouvoir d’achat variant du simple au double. En Suisse, le PIB par habitant est de 81 276 $ et le salaire mensuel moyen de 7 765 $, le plus élevé du monde. En France respectivement de 44 099$ et de 3 976 $. La France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse.

Afin que roulent les trains et que chacun puisse gagner sa vie, il semble nécessaire que les réseaux de transports français soient privatisés.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

16 réponses à “Dédié à ce pays où roulent les trains

  1. Moi, j’aurais aimé que Greta se confronte aux conséquences de grèves. Malheureusement, elle a préféré voyager par le Sud, puis l’Italie, la Suisse et l’Allemagne en première classe… plutôt que via Paris.

    Elle peut certes appeler à la grève chaque vendredi… mais s’y confronter aux conséquences ?

  2. Votre analyse est intéressante et nous rappelle les vérités syndicales françaises (syndicats riches soit dit en passant). Ces syndicat ont tous un esprit révolutionnaire à l’exception de la CFDT qui privilégie la négociation. Toutefois il y a eu un problème: tous les économistes consultés par le gouvernement étaient unanimes pour dire ok à une retraite universelle par points, CFDT incluse, mais sans l’âge pivot fixé à 64 ans avec malus/bonus et voulu par le premier ministre.
    La suite on la connaît, les trains ne circulent plus et le peuple français est tenu en otage, une fois de plus par ceux qui travaillent 35H/sem avec retraite à 62 ans (fonctionnaires, SNCF, RATP, etc.) et qui ont aussi parmi les meilleures retraites en France. Je ne parlerai pas ici des salaires pratiqués, qui sont un autre problème de cette France que j’aime bien.

    1. “La forme même des pyramides suggère que, de tout temps, l’ouvrier a cherché à en faire de moins en moins.” (Clémenceau)

        1. Merci de le signaler (je n’ai pas lu Bernard Weber). Il existe d’ailleurs des variantes, dont celle-ci, attribuée à Alphonse Allais: “La forme même des pyramides nous apprend que, dès la plus haute antiquité, les ouvriers avaient déjà tendance à en faire de moins en moins.”

          Ou encore celle-ci, due à l’lhumoriste américain Will Cuppy: “La forme même des pyramides d’Égypte montre que déjà les ouvriers avaient tendance à en faire de moins en moins.”

  3. C’est la que le bon vieux référendum suisse prend tout son sens, au lieu de bloquer l’économie, on invite la population à donner son avis !
    Les grévistes ne sont pas représentatifs de la nation française !
    Solution plus correcte que de privatiser ce secteur qui ne serait plus maintenu pour augmenter les bénéfices !
    Les Français parlent beaucoup mais ne s’écoutent pas. Les débats interminables, surtout minables, finissent invariablement en bras de fer …
    Et au bout du compte , 60 ans plus tard, personne n’a rien gagné à ce petit jeu !
    Pauvre France …

  4. Il est étonnant que le gouvernement ne consulte pas le peuple pour une réforme de cette ampleur afin d’éviter le blocage du pays. Très bon article !

    1. La consultation du peuple suppose une certaine maturité de celui-ci. En France les rares référendums ont toujours mal tournés car le peuple au lieu de voter sur l’objet proposé s’est opposé par principe au gouvernement. Les institutions suisses fonctionnent bien grâce à l’habitude qu’en a la population au terme d’un apprentissage de plusieurs siècles.

      1. A peine condescendant, quant à la privatisation faites nous donc un reportage sur ce qui s’est passé en Angleterre.

  5. Privatiser la SNCF, pas si simple, cher Jacques ! la fixation des prix n’a rien à voir avec la détention du capital. Même avec des opérateurs privés, en France, c’est l’Etat et les régions qui encadrent les prix. Quand EDF et ENGIE ont été en partie privatisés, les tarifs réglementés ont été maintenus et leurs concurrents privés ont baissé les prix pour conquérir de nouveaux clients. Mais une large majorité d’utilisateurs sont resté fidèles aux opérateurs historiques. La France a commencé à ouvrir certaines lignes ferroviaires au privé. Depuis le 3 décembre, les appels d’offre ont été lancés. Mais les régions auront toujours le même intérêt électoral à conserver le plus de lignes possibles et donc à subventionner des lignes non rentables. Le diable se cache toujours dans les détails !

  6. Ah, les Suisses ! Toujours aussi profondément et béatement satisfaits d’eux-mêmes, toujours aussi auto-glorificateurs, toujour aussi sentencieux donneurs de leçons au reste du monde – particulièrement les Romands à leurs voisins français grévistes !
    Les Suisses romands ne semblent avoir jamais lu Hans Tschäni et ses “Wer regiert die Schweiz ?” (1983 et 2014)…..Pourtant traduits.

    GS (La Chaux-de-Fonds)

  7. La Suisse à l’avantage de ne jamais avoir eu de roi. La France, plus de deux siècles après sa révolution, a toujours une structure monarchique. Le pouvoir traite avec mépris la population, les citoyens se méfient comme de la peste des initiatives du gouvernement. Qui est responsable de cette situation ? C’est à la fois le gouvernement et la population. C’est déplorable. Il serait grand temps que le respect, l’écoute, la concordance et un peu moins de centralisation fassent enfin partie de la vie politique française. Malheureusement ce n’est pas pour demain et la France va continuer à s’enfoncer dans des conflits où tous sont perdants.

    1. La suisse a pourtant connu l’Ancien Régime et ses princes, ses artistocrates, ses patriciens ou son oligarchie. Le premier argument est donc au mieux un raccourcis au pire en perdait sa validité. La réalité historique est que la Suisse est l’un des rares pays dans lequel le Printemps des peuples, une véritable révolution démocratique, a abouti à l’état fédéral moderne et la constitution de 1848.

      1. La Suisse n’a pas besoin de rois. Elle est le pays qui compte le plus de têtes couronnées renversées. Quant aux oligarques, ceux de Parade Platz sont toujours bien là. Enfin, si Sa Majesté est aux abonnés absents, ce ne sont pas les rois Ubu qui manquent.

    2. La France a toujours une structure monarchique? Quoi de surprenant? La révolution, ce sont les aristocrates qui l’ont faite.

      Le Suisse, lui, trait sa vache et vit en paix (Victor Hugo).

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