Une initiative pour l’expérimentation humaine à large échelle

Ce dimanche les Genevois vont se prononcer sur une initiative intitulée « Pour un meilleur contrôle de l’expérimentation animale ». Le but est freiner ces expériences, qui font, il est vrai, souffrir des animaux, qui finissent par être tués (mais non mangés comme les animaux de boucherie). L’argument central est imparable : l’expérimentation animale consiste à infliger à des animaux des traitements que nous refuserions à juste titre d’infliger à des humains. Dès lors, en toute logique, il faut aussi refuser de les infliger à des humains, c’est-à-dire vider de sens la loi fédérale du 30 septembre 2011 relative à la recherche sur l’être humain.

Or un traitement quelconque, l’administration d’un médicament, ne peut être autorisée que si l’on est à la fois convaincu de son efficacité et de son innocuité (relative). Il faut bien faire des expériences, sinon sur des animaux, de toute façon en fin de parcours sur des êtres humains.

La loi actuelle en la matière slalome entre deux impératifs : permettre tout de même la recherche ; « protéger la dignité, la personnalité et la santé de l’être humain ». On ne peut ni interdire la recherche car cela ne respecterait pas le souci de la santé, ni autoriser qu’elle mette en danger la santé des humains cobayes. Dès lors il a fallu rien moins que 68 articles pour noyer le poisson dans des prescriptions suffisamment floues, pour qu’un bon juriste puisse toujours les contourner. Jugez en.

On commence par rassurer : « La recherche sur l’être humain peut être pratiquée uniquement si la personne concernée a donné son consentement éclairé. » Quel patient ordinaire, qui n’est pas médecin lui-même, peut vraiment donner un consentement éclairé s’il n’a aucune connaissance de la matière ?
D’ailleurs, il ne faut pas toujours tout lui dire : « Exceptionnellement, la personne concernée peut être informée de manière partielle sur certains éléments d’un projet de recherche avant le début de celui-ci si les conditions suivantes sont réunies : des raisons méthodologiques l’imposent ; les risques et les contraintes inhérents au projet de recherche sont minimaux. » On arrive ici au concept fuligineux de risques minimaux. Nous sommes en recherche et, par définition, on ne sait pas ce que l’on va trouver et donc il est impossible d’évaluer les risques à l’avance. Au moment d’entamer une recherche, il suffira donc d’affirmer que les risques sont minimaux, quitte à s’excuser plus tard sur une ignorance invincible.
On en arrive au cas des patients qui sont par nature incapables de donner un consentement vraiment éclairé, par exemple les enfants. Une solution radicale consisterait à ne jamais utiliser des enfants dans une expérimentation. Mais ce n’est pas possible, car on ignorera toujours les effets de certains traitements sur les enfants. On doit donc les utiliser. Dès lors la loi multiplie les précautions langagières : « Un projet de recherche avec bénéfice direct escompté ne peut être réalisé sur un enfant incapable de discernement qu’aux conditions suivantes : son représentant légal a donné son consentement éclairé par écrit ; l’enfant n’exprime pas de manière identifiable, verbalement ou par un comportement particulier, son refus du traitement lié au projet de recherche. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Si un enfant pleure au moment d’une piqure, est-ce un refus du traitement ? Si ce ne l’est pas, qu’est-ce qui l’est ? Une morsure à l’infirmière ?
Il n’y a pas que les enfants, il y aussi les adultes incapables de discernement, par exemple des patients atteint d’une forme avancée de Alzheimer. Le projet de recherche peut néanmoins être mis en œuvre, par exemple si « …en l’absence de document attestant le consentement de la personne concernée, son représentant légal, une personne de confiance ou ses proches ont donné leur consentement éclairé par écrit ».
Il y a aussi les prisonniers : « …Un projet de recherche sans bénéfice direct escompté ne peut être réalisé sur des personnes privées de liberté que si les risques et les contraintes inhérents au projet sont minimaux. ». Est-ce que ce qui est minimal pour un patient libre est aussi minimal pour un prisonnier ? Ou bien peut-on courir plus de risques, s’il est condamné à la réclusion à vie ?
Tout cela est donc susceptible d’interprétations divergentes. Il n’y a qu’un seul article qui soit sans ambiguïté : « Un projet de recherche ne peut être réalisé sur des personnes décédées que si le décès a été constaté. » C’est à ce point évident que cela ne valait pas la peine de consigner cette lapalissade. Celle-ci donne une mesure de l’amateurisme avec lequel cette loi a été rédigée puis votée par un parlement, bien en peine d’exercer un « consentement éclairé » sur une matière aussi technique. Ne vaudrait-il pas mieux de confier à un corps constitué, FMH ou ASSM, la tâche de définir les bonnes pratiques et de sanctionner les déviations ?
Cela nous ramène à l’expérimentation animale. Si elle n’est plus autorisée ou si elle est entravée, il faudra bien procéder à de l’expérimentation humaine. Les initiants sont-ils prêts à se sacrifier comme cobaye sous le couvert d’une loi aussi imprécise ? Sans doute pas. Dès lors il faut bien considérer que sans expérimentation, dans quelque discipline que ce soit, il n’y a pas de recherche mais la stagnation. Si nous tuons des animaux pour les manger, pourquoi ne pas l’accepter si le but n’est pas de les manger, mais d’améliorer la santé humaine ?
Régulièrement des scandales surgissent parce qu’un médicament largement prescrit a des effets secondaires dramatiques, allant jusqu’à l’invalidité ou la mort. Cela signifie clairement que l’expérimentation humaine ou animale n’as pas été suffisamment poursuivie. Le but de l’initiative est donc de transformer tous les patients en sujets d’expérimentation.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

2 réponses à “Une initiative pour l’expérimentation humaine à large échelle

  1. Si j’ai bien compris le projet genevois soumis à votation, il reprend un texte existant auquel on ajoute la possibilité de refuser une expérience si un membre de la nouvelle commission n’est pas d’accord. Cette personne (devinez laquelle) peut dès lors et à elle seule bloquer la recherche à Genève. Curieux ce projet de loi ou alors j’ai mal compris.

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