La tentation de la médiocrité

 

 

Sous le titre « On ne triche pas avec la formation », j’ai publié un blog qui révèle que les étudiants munis d’une maturité suisse échouent en première année de l’EPFL à proportion de 57%, tandis que certaines catégories d’étudiants étrangers réussissent jusqu’à 81%. J’en tirais certaines conclusions assez évidentes : il vaut la peine de renforcer cette maturité insuffisante ; le plus simple serait de proposer à tous les candidats un examen d’entrée, au vu duquel on pourrait évaluer leurs chances et éventuellement les réorienter ; supporter un taux d’échec aussi élevé constitue un gaspillage des ressources publiques ; un échec au début d’une formation professionnelle est démotivant pour un jeune.

 

En réaction, un courrier a été publié dans « Le Temps ». Il plaide pour un changement de politique de l’EPFL, qui devrait cesser de prôner une formation d’excellence et « … investir pour l’entier de la population et non pour quelques forts en thèmes. » En d’autres mots, revenir à l’EPUL d’avant 1969, bonne école d’ingénieurs de l’UNIL, et abolir le soutien fédéral, qui a inévitablement propulsé l’EPFL sur les traces de l’ETHZ, c’est-à-dire de la meilleure école d’ingénieurs du continent.

 

Toutes les opinions sont défendables. Encore faut-il en voir les conséquences. La technique de 2019 n’est plus celle de 1969. Elle est soumise à une rude concurrence internationale. La Suisse ne vit plus de ce qu’elle produisait voici un demi-siècle : de la phénacétine, des montres mécaniques, du fromage, du chocolat, des sports d’hiver. Dans le classement du PNB par habitant selon le FMI, la Suisse vient maintenant en deuxième position (après le Luxembourg) avec 82 950 $ alors que les Etats-Unis n’en sont qu’à 62 606$ et la France à 42 878$. Cette brillante réussite entraine des conséquences positives. La France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse. Tous les matins 300 000 frontaliers franchissent la frontière dans un seul sens. En Suisse, le salaire mensuel moyen est de 7 765 $, le plus élevé du monde ; en France de 3 976 $.

 

Cette réussite ne s’est pas produite toute seule : elle est le fruit de beaucoup de travail, d’ingéniosité et de créativité. Elle provient d’une industrie de pointe encadrée par les meilleurs chercheurs et d’excellents ingénieurs de développement avancé. Dès lors, il faut bien que ceux-ci soient formés quelque part. C’est pour l’instant la tâche des deux EPF. Celles-ci doivent recruter des étudiants, qui soient à la fois doués au départ, dument motivés et convenablement préparés. Ce n’est pas, comme le prétend l’honorable correspondant, pour bien se placer « …dans d’obscurs rankings aux critères ésotériques… ». Ce n’est pas par vanité, c’est par réalisme.

 

Pour l’instant les EPF jouent dans la cour des grands et même des meilleurs. La réussite de la Suisse dépend aussi de la formation à d’autres niveaux. A Yverdon on forme d’excellents ingénieurs de terrain pour encadrer la production, tandis qu’à Lausanne, on forme à la recherche et au développement. Ce n’est pas le même profil et les deux doivent être disponibles. Ailleurs encore, on attribue des CFC. Le prix Nobel Mayor souligne qu’il n’aurait pas réussi, s’il n’avait été soutenu par d’excellents artisans qui ont construit les instruments dont il avait besoin.

 

On peut dès lors défendre la thèse selon laquelle l’excellence technique de la Suisse doit être maintenue à tous prix. Le bien-être de tous en dépend : la solidarité sociale, la santé, la sécurité, la paix du travail, la stabilité des institutions, la stabilité du droit. Mais c’est évidemment se placer dans la compétition internationale, c’est exigeant et stressant, ce n’est pas un long fleuve tranquille. On peut comprendre que certaines personnes aimeraient revenir à la Suisse de 1969, voire plus tôt encore. Elles ont le droit d’exprimer cette nostalgie jusque dans les urnes par un vote identitaire. Mais elles ne peuvent présenter cette marche arrière comme un idéal opposable à tous.

 

La quête de l’excellence suppose beaucoup d’efforts de tous. Elle a aussi des inconvénients. Il faut recruter les meilleurs cerveaux dans le vaste monde comme continue à le faire la Silicon Valley et garder la frontière ouverte à cette immigration. Face à ces petits génies internationaux, des locaux peuvent se sentir discriminés et s’engager pour la fermeture des frontières. Même s’ils ne sont pas au sommet de leur profession, ils devraient cependant réaliser qu’ils bénéficient de la réussite de la Suisse et donc s’abstenir de la critiquer ou de l’entraver. La formation des EPF n’est pas à la portée de tous, mais il y a d’autres possibilités. Il n’est donc pas raisonnable de proposer sa détérioration.

 

 

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

16 réponses à “La tentation de la médiocrité

  1. Je ne peux que réitérer mes arguments : les pourcentages de réussites ne peuvent pas être comparés entre Suisses et étrangers, c’est absurde. Il faudrait comparer le niveau des baccalauréats à l’échelle mondiale . On ne connait pas non plus les échecs dans l’ensemble des universités .
    On peut juste comparer le niveau des maturités suisses et vérifier si certains établissements délivrent ces titres au rabais .
    Un examen ne va pas corriger les lacunes de la maturité et il faut comprendre à partir des échecs quelles matières sont insuffisantes (math, physique, … ) et les renforcer pour obtenir le passeport pour l’uni.
    Il faut savoir que les apprentis peuvent obtenir la maturité (suivre le lien ) mais ne peuvent pas rivaliser avec les étudiant passant 3-4 ans pour l’obtenir !
    https://www.vd.ch/themes/formation/formation-professionnelle/maturite-professionnelle/
    Peut-être que ce concept de maturité intégrée ne satisfait pas le niveau des EPF ?

    1. Bonsoir, si je rejoins partiellement les propos de votre article j explique le fort taux d’échec par un nivellement par le bas de nos écoles obligatoires justement en partie à cause de cette immigration que vous vendez comme positive !!! Il y a à mon sens deux immigrations : celle subie (guerre, climatique,…) qui a mon sens est lourde de conséquence (je n’ai pas dis négative) sur les infrastructures et charges et comme mentionné complexifie le parcours scolaire avec des enfants qui me parle pas un mot de français ou des enseignants recrutés à l’étranger qui n’ont pas du tout le même soucis du détail. Puis l immigration voulue ou souhaitée tel que les frontaliers (discutable surtout au niveau dumping salariale) ou les cerveaux étrangers. Il y a un travail à faire sur l’intégration des étrangers et ce n’est pas notre gauche socialiste ou verdâtre qui propose des solutions viables mais bien cette droite libérale.

      1. Ce que vous avancez comme analyse est en partie l’explication de ce que j’ai révélé. Mais le phénomène a d’autres sources : le fédéralisme qui produit 26 système d’enseignements ; un certain laisser aller de la population autochtone ; une inadaptation de certains cantons romands aux exigences croissantes de l’EPFL. Enfin et surtout la réputation internationale croissante de l’EPFL qui attire d’excellents candidats. L’EPFL devient la meilleure école d’ingénieurs de langue française. On doit s’en réjouir. En même temps faire comprendre à l’enseignement gymnasial qu’il doit relever ces exigences. Ce qui arrive n’est pas la faute des immigrants. C’est aussi notre manque de lucidité et de courage.

      2. Je ne peux parler pour la Suisse, mais en France, l’arrivée d’élèves étrangers ne fait pas “baisser le biveau”, comme seuls le prétendent ceux qui n’ont plus mis les pieds à l’école depuis leurs 18 ans.
        Ils ont des cours de français pour eux.
        Par ailleurs, leur présence enseigne aux élèves français que le monde est grand, que nos petits soucis d’enfants gâtés sont bien ridicules, ils leur montrent comment on travaille quand c’est une question de survie, ils apportent des langues et des cultures différentes, de la richesse humaine.

  2. Les bonnes aptitudes à savoir résoudre des problèmes mathématiques à 19 ans ne garantissent pas que la personne sera un brillant scientifique ou un ingénieur à succès. Il y a d’autres qualités qui devraient compter aussi comme la patience, la pertinence, le courage, la persévérance dans les études, le caractère curieux, la volonté d’avancer, le rêve, etc. En somme tout ce qui est nécessaire pour accomplir avec brio des études dans n’importe quelle branche. “Le barrage” des tests purement mathématiques après le le premier semestre est l’une des plus grandes injustices que les pouvoirs publiques, via les EPF, infligent année après année à nos enfants. Le vrai problème est le suivant; nos hautes écoles, leurs dirigeants et leurs prof. ont un tel prestige qui les rend infaillibles vis-à-vis des 7 administrateurs du pays, et par conséquent ils imposent des points de vues mondialistes qui ne font pas l’unanimité auprès du peuple. L’élitisme que certains prônent n’a pas lieu d’être, tous les braves qui veulent étudier réussissent sans problème . Il faut donner la chance à nos élèves d’étudier chez eux quasi gratuitement avant de donner cette possibilité à des matheux avides de venir étudier en Suisse, pour repartir mettre en oeuvre ce qu’ils ont appris, au profit de leurs pays. Cette mascarade devra prendre fin un jour, que j’espère pas lointain.

    1. L’enseignement des mathématiques à l’EPFL n’est pas conçu comme un barrage artificiel pour diminuer le nombre de diplômés. Il est adapté à ce qui suit, c’est-à-dire l’enseignement de la technique. La problématique n’est pas du tout celle des Facultés de médecine qui réduisent leurs diplômés par des cours exigeants en première année au delà de ce qui est nécessaire dans la suite.

  3. Le pourcentage d’échec que vous relatez est effectivement important (environ 30%). Selon mes connaissances, le porteur d’un bac en France doit effectuer 2 ans d’école préparatoire (Mat-sp et Mat-sup) avant d’intégrer une école d’ingénieur, sur concours. Ceux qui ont échoué à l’un de ces concours sont peut être venus tenter l’EPF et y ont été admis sur la base d’une meilleure préparation spécifique. Cela soulève aussi le niveau des mathématiques enseigné dans les divers cantons suisses. Le rapport que vous avez consulté en parle t il ?

    1. Je n’ai pas consulté un rapport mais donné mon avis sur les documents de cours des deux dernières années de cours obligatoire. J’en pense que c’est un travail gigantesque orienté dans une mauvaise direction : la mathématique comme activité intellectuelle et ludique mais pas du tout comme outil pour la physique et la technique. Je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans d’autres cantons.

  4. Voilà c’est reparti. La dernière fois il y avait eu 67 commentaires.
    Je suis assez d’accord avec le point de vue d’Elie Hanna: une université qui reçoit tant d’argent du peuple suisse se doit de favoriser les étudiants suisses. C’est ce qu’on appelle un point de vue “populiste” mais c’est la vérité.

    Mr Neirynck m’avait presque convaincu de la nécessité d’un examen d’entrée spécial pour l’EPFL, mais je reconnais qu’Elie Hanna a raison: ne nous prosternons pas devant le point de vue mondialiste. Le vrai problème qui cause l’échec des étudiants vaudois et genevois, dans l’université qui se situe chez eux et qui est financée par les impôts payés par leurs familles, c’est qu’ils sont sciés à la base par la politique éducative des départements d’instructions publiques vaudois et genevois qui sont tenus par des gauchistes qui ont un intérêt à ce que le niveau baisse. Sinon, pourquoi est-ce que les étudiants fribourgeois et valaisans (cantons conservateurs) réussissent facilement à l’EPFL alors que les Vaudois et Genevois y échouent ? Ils ne sont pas plus bêtes que les autres. Ils pâtissent seulement de l’idéologie gauchiste de leurs dirigeants.

    Il faut virer cette bande de pédagogues gauchistes à Lausanne et à Genève. C’est ça la solution.

    1. Ce n’est pas favoriser les étudiants suisses que de les accepter alors que l’on sait qu’ils vont échouer dans une large mesure.

      1. Mais on peut pas non plus laisser les choses comme elles sont et continuer d’assister au spectacle de l’hécatombe des étudiants vaudois à l’EPFL, qui sont tous éliminés cruellement, que ce soit à l’examen d’entrée, ou après un an d’étude, parce qu’il n’ont pas le niveau à cause de la mauvaise formation qu’ils ont reçue dûe à une suite de femmes gauchistes à la tête de l’école publique vaudoise.

        Mettre un examen d’entrée ne résoud rien. Il faut prendre le problème à la racine. Les étudiants vaudois doivent avoir les mêmes chances que les Valaisans, les Fribourgeois ou les étrangers qui sont mieux formés qu’eux. Il faut améliorer la formation dans le canton de Vaud.

        Autrement dit, la question n’est pas de savoir si on doit faire échouer les Vaudois à l’examen d’entrée de l’EPFL comme nous le proposez, ou une année plus tard. Ca c’est kif kif. La question c’est de faire en sorte que les Vaudois ne soient plus victimes d’un mauvais système scolaire cantonal. Et pour ça il faut virer de toute urgence C.E.S.L.A. Amarelle du département de l’instruction publique et la remplacer par quelqu’un de sérieux: disons Leuba, qui fera une politique éducative de droite, comme à Fribourg, comme en Valais, afin que les étudiants vaudois aient autant de chances de succès que les Fribourgeois ou les Valaisans.

        Pour ma part telle est la conclusion que je tire de cet intéressant débat que vous avez eu le mérite d’ouvrir.

        1. La conseillère d’Etat n’est pas seule responsable. Le corps enseignant des mathématiciens donne libre cours à sa créativité sans tenir compte des nécessités des écoles d’ingénieurs. Je doute qu’un exécutif cantonal soit encore capable d’imposer sa volonté face à une culture du laisser-aller.

          1. Evidemment tous ces pédagogues de gauche post 68ards sont installés dans le fromage jusqu’au cou, et ça ne sera pas facile de s’en débarrasser. Mais la poigne d’un véritable homme (ou femme) d’état, qui ait le courage de nettoyer les écuries d’Augias, n’en est que plus nécessaire.

  5. Lumineux.
    On peut discuter de tout mais baisser le niveau n’est pas une option envisageable.

    Un ingénieur de deuxième niveau retraité.

  6. Par vos propos vous ne faite que réciter un discours convenu et quelque peu décalé par rapport à la réalité du “terrain”:
    1) Avant de parler de bons ingénieurs, il faudrait spécifier ce qu’est un ingénieur et ce qu’on en attend. A ce sujet, je peux citer l’exemple d’un proche qui, une fois son diplôme en poche espérait en vain trouver une place en R&D. Après plusieurs années à faire du management et du soutien à la vente, il a commencé un apprentissage de charpentier.
    2) Prétendre qu’un bon étudiant fera un bon ingénieur est très audacieux: tout d’abord, un jeune diplômé ne vaut à peu près rien en R&D. Du reste, il est parfois moins payé qu’un manœuvre. L’autonomie, le sens technique et la créativité nécessaires pour concevoir un nouvel appareil à partir de rien ne s’apprend pas forcément à l’école. Celui qui est excellent pour modéliser des phénomènes physiques ne sera pas forcément assez pratique ou créatif pour la réalisation.
    3) Durant ma carrière assez conséquente en R&D, je n’ai jamais côtoyé de collègue étranger dont l’apport soit significatif, à une exception près. Evidemment, il ne s’agissait pas d’un jeune diplômé.

    Très franchement, ce n’est pas l’école qui fait l’ingénieur et encore moins ses évaluations scolaires. Par-contre, si l’on parle d’un secrétaire technique de haut niveau, le lien est plus évident. Comme aimait à le répéter Monsieur Hayek: un âne, même sorti d’une grande école, reste un âne.
    Votre appel aux jeunes diplômés étrangers est indigne : la Suisse n’est pas la Rome antique. Foin de paresse ! Du reste, pourquoi voudriez-vous maintenir une école en Suisse si elle doit former des étrangers ? Cela n’a pas de sens. Autant les faire le tri lorsqu’ils sont formés voire expérimentés.
    A part cela, je vous suis pleinement lorsque vous parlez de la tentation de la médiocrité en ce qui concerne la pédagogie. Ce choix de limiter les exigences dans les écoles gymnasiales et obligatoires correspond à une perte en connaissance, autonomie et ténacité des étudiants. A 35 ans de distance, je retrouve les mêmes sujets et les mêmes livres scolaires, mais avec 3 années de décalage.
    Comme le dit un commentaire précédent : la diminution des exigences à l’école obligatoire a été justifiée par la nécessité de faciliter l’intégration des étrangers et des élèves socialement défavorisés. Donc, plus nous devons intégrer d’étrangers, plus le niveau doit baisser. Et plus le niveau baisse, plus vous pourrez justifier le recours à des étudiants étrangers. A terme, c’est le remplacement des élites intellectuelles qui se profile. Merci de soulever cet aspect dont l’UDC ne s’est guère préoccupée.

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