La loi sur le CO2 pénalise ceux qui polluent le moins

Les taxes sur le CO2 ont l’effet pervers de pénaliser ceux qui en produisent le moins. Il en est de même des droits à polluer qu’un pays riche peut acheter sur une bourse internationale.

La loi suisse sur le CO2 est discutée au Conseil des Etats après avoir été censurée au Conseil national, au point d’avoir été refusée par les uns parce qu’elle en faisait trop et par les autres parce qu’elle en faisait trop peu.

Elle repose essentiellement sur l’instauration de taxes. Par exemple : jusqu’à 120 CHF pour un déplacement en avion ; de 12 centimes par litre d’essence ; de 210 CHF par tonne de combustible. Ce renchérissement ne changera pas les habitudes de ceux qui en ont les moyens, il freinera ceux qui ne les ont pas. Les premiers continueront à polluer comme avant, les seconds seront réduits à économiser. Certes l’argent ainsi collecté serait reversé à la population, par exemple par un fonds pour le climat subventionnant l’assainissement des immeubles, profitable plus aux propriétaires qu’aux locataires.

C’est ce qui s’est passé en France. En augmentant les taxes sur l’essence, le gouvernement a pénalisé la classe des travailleurs qui sont obligés d’utiliser une voiture pour se rendre à leur travail, au point de susciter la révolte des gilets jaunes. Finalement il a dû capituler et consentir des subsides au niveau de 12 milliards d’euros pour apaiser la révolte. La leçon est claire : toute politique de gestion de la transition climatique doit se préoccuper de justice sociale. Ce ne sont pas les pauvres qui polluent mais les riches.

Il en est de même en comparant les pays. La Suisse se fixe l’objectif de réduire de 50% son empreinte carbone en 2030. Mais elle se garde d’imposer cet effort à ses citoyens. La part de la réduction réalisée en Suisse ne serait que de 60%, le reste serait couvert par une astuce trop peu connue et franchement immorale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle fonctionne comme suit. A chaque pollueur, une centrale à charbon par exemple, un quota de pollution est attribué. S’il est dépassé, une taxe de 100 Euros par tonne de carbone émise en trop est appliquée, sauf si l’entreprise polluante achète des droits de polluer à une autre entreprise, qui ne les a pas tous utilisés.Au départ, ce système n’a pas fonctionné du tout, car les quotas avaient été fixés trop haut : tout le monde pouvait continuer à polluer sans être imposé. En 2007, le prix de la tonne s’est donc effondré jusqu’à zéro. Après correction, il s’est depuis stabilisé aux alentours de 13 Euros.

En Suisse, les mesures d’économie déjà prises ont fait diminuer la consommation d’énergie par personne de près de 6% depuis 1990. Mais la population a simultanément cru de 20%. Au total, la consommation d’énergie du pays augmente au rythme de 0.5% par an. En achetant des droits à polluer, la Suisse « émet » théoriquement 10% de moins de gaz à effet de serre en 2016 qu’en 1990, mais en réalité elle en émet davantage. Elle n’atteindra pas l’objectif annoncé de -20% en 2020. Elle promit d’aboutir à un bilan neutre en 2050 par une politique moitié-moitié : une réduction des émissions en Suisse et l’achat de permis de polluer à l’étranger pour le même montant.

Ce système de droits à polluer revient à attribuer à un pays riche le privilège de faire moins d’efforts que les autres, alors que les pays développés possèdent la capacité technique et financière de cesser complètement d’émettre, tandis que les pays en voie de développement ont besoin d’augmenter leur production d’énergie à bon marché, en polluant si nécessaire. L’existence de ce marché a été stigmatisé par le pape François qui en exprime bien le caractère immoral :

« La stratégie d’achat et de vente de “crédits de carbone” peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs. »

La conclusion est simple : la Suisse pays riche parmi les riches a la possibilité d’investir massivement dans la récupération d’énergie renouvelable, par exemple le solaire par des cellules photovoltaïque. C’est le même effort qui a été consenti jadis pour construire les barrages. En une génération elle peut atteindre l’objectif d’une empreinte carbone nulle. Pour des raison pratiques et éthiques, elle doit cesser d’acheter des droits à polluer.

Elle doit s’abstenir de lever des taxes qui frapperont surtout les ménages qui ont déjà de la peine à nouer les deux bouts et auxquels il serait odieux d’imposer des sacrifices supplémentaires. Elle doit poursuivre sa réflexion et envisager des mesures de tarifs progressifs qui pèsent uniquement sur les plus gros consommateurs.

Mais à Berne, qui est capable de cet effort de lucidité et de réflexion ? Qui se préoccupe de justice sociale? Qui se soucie des pays en voie de développement?

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

8 réponses à “La loi sur le CO2 pénalise ceux qui polluent le moins

  1. Qui se préoccupe de cela?
    Excellente question! Surtout en ce moment 🙂
    J’encourage tout le monde à se poser ces questions essentielles concernant le climat, l’énergie, la pollution et les efforts à faire (et pas à déléguer); puis de regarder le programme des partis qui se présentent aux élections fédérales et de voter en fonction. Nous avons l’occasion d’amorcer un virage. Peut-être même, qui sait? un virrage serré.

  2. Ce terme de « crédit carbone » a toujours été abscons, mais les personnes politiques à Berne écoutaient probablement plus les agents de lobbying que leur intelligence et celle de leurs électeurs. Ces taxes, impôt indirecte comme la gabelle (sur le sel) au XIV siècle, n’auront que très peu d’impacts sur la diminution du CO2, comme vous le soulignez très justement, en plus d’être inégalitaires.
    Espérons que le produit des urnes lors des prochaines élections fédérales, dans moins de 6 semaines, sera plus bénéfique pour la population en général et pour notre environnement (Terre, eau et air) bien malmenés jusque-là. Pour ce dernier point, l’action de la Suisse seule, autre qu’exemplaire, n’aura malheureusement qu’un impact très limité et seule une action multilatérale est plausible.

  3. Ils sont chanceux les partis dit “verts”, ils “gueulent” et obtiennent ce qu’ils veulent sans consentir aucun un autre effort, en faveur du climat, ni pour nous expliquer comment il faut faire. Quand la Suisse avait électrifié le train, par souci écologique, il y a plus que cent ans, les verts n’existaient même pas. Je pense que la population n’est pas dupe et j’espère que le peuple va combattre toutes les manipulations financières en vue “de déshabiller Jacques pour habiller Pierre” (Pardon M. Neirynck; j’ai essayé avec Joseph mais ça ne sonne pas bien).

    Excellent article qui nous ouvre les yeux – j’espère que vous allez le publier dans l’AGEFI et ailleurs. Cordialement,

    1. J’avoue avoir de la peine à comprendre ce que les verts obtiennent sans consentir aucun effort. Ils n’ont pas de siège au conseil fédéral, ils ont la portion congrue du parlement et ont échoué souvent à faire avancer leurs idée face au parlement bourgeois élu en 2015.
      Quant à l’électrification des trains suisses vous êtes très mal renseigné. Les chemins de fers suisses ont étés électrifiés en raison de la disponibilité de cette énergie due à notre géographie et surtout en raison de l’absence de charbon dans notre pays. La préoccupation écologique était inexistante dans la 1e moitié du XXe siècle.
      Dans un jeu à somme nulle je ne vois que des avantages à taxer les énergies polluantes pour subventionner celles qui ne le sont pas, ou moins, Ceci pour autant que le citoyen lambda, par son comportement, ait la possibilité de recevoir, pas seulement l’obligation de payer.

      1. Ces derniers temps, j’ai relu et réécouté des interventions de “verts-gauche” romands, et je me suis rendu compte que leurs discours sont creux, ils n’ont aucun projet chiffré pour substituer des solutions “vertes” à des problèmes de pollution. Ils excellent “en tapant” sur la politique du CF et ils réclament plus de taxes. Il m’est arrivé de voter “verts” pour faire entendre leur voix au Conseil national, mais à présent je pense qu’ils sont inaptes à gouverner, et qu’il faille les combattre. La disponibilité de l’énergie électrique n’est pas tomber du ciel, il a fallu une vision et du courage pour construire des barrages, des usines et de tirer des milliers de Km de câble (c’est un peu triste de ne pas se montrer reconnaissant envers les anciens). L’écologie est une composante de l’ADN de chacun de nous, et les politiques font ce qu’ils peuvent pour avancer petit à petit sur ce chemin, mais le changement climatique est venu bousculer les choses pour aider politiquement les “verts”, et nos taxes supplémentaires ne vont pas rajouter des filtres propres dans les cheminées des usines chinoises ni de freiner le réchauffement. Merci d’avoir répondu à mon commentaire. Si l’on suit les préceptes économiques des partis verts nous risquons une crise de chômage sans pareil dans l’histoire de l’humanité à l’échelle planétaire. Les plus influents parmi les écologistes en Suisse ne sont pas dans les partis “verts” comme M. Bertrand Piccard, et le plus grand n’est autre que M. Jacques Neirynck, qui a mené une bataille au Conseil national contre l’eau en bouteilles en Suisse, il y a 11 ans, mais il n’a été que très peu suivi.

        1. Effectivement, ma motion pour interdire l’eau en bouteilles de plastique n’a recueilli que 7 voix sur 200. Il en a été de même d’une motion demandant de cesser de vendre des lampes à incandescence. Le Conseiller fédéral Moritz Leuenberger en personne m’a expliqué qu’elle était malvenue car elle réduirait la consommation d’électricité de 5 à 6%, ce qui nuirait aux producteurs et aux distributeurs. L’ennui, quand on est de formation scientifique, c’est que l’on est au courant des vrais problèmes plus tôt que les autres qui vous considèrent alors comme légèrement dérangé.

  4. Il apparait clairement qu’il est nécessaire de lutter contre ce consensus qui consiste à mettre en place des mesures écologiques et sociales permettant de prendre aux pauvres pour donner aux riches. Je rappelle ici que les subventions pour l’isolation des bâtiments n’ont jamais été accessibles pour les petits budgets, quelque soit l’efficacité des mesures proposées. A vrai dire, sur les anciens bâtiments, le système D permet souvent d’obtenir des résultats remarquables avec peu d’investissement. Ainsi, je suis parvenu à diminuer ma consommation de mazout d’un facteur 3 en 4 ans en changeant de brûleur (low NOx + réduction de puissance), modifiant la chaudière (déflecteurs de fumée), utilisant des modes de régulation non-conventionnelles, en améliorant petit-à-petit l’isolation au fur et à mesure des rénovations et bien sûr, en réduisant globalement la température de 3°C. J’avais l’intention de remplacer ma vieille chaudière à mazout par un chauffage 90% solaire en auto-construction, mais l’impossibilité d’obtenir les subventions prévues pour ce type de conversion du fait de l’absence de certification m’a obligé à renoncer. Je n’ai aucun doute que les fonctionnaires, avocats et économistes qui siège au parlement regarde des personnes de mon acabit comme des extra-terrestres et ne seront jamais capables de leur apporter aucun soutien. C’est dommage, j’avais un projet pour construire une maison à énergie massivement positive pour un prix défiant toute concurrence.

  5. J’ai lu récemment dans un périodique suisse un programme énumérant les mesures coercitives réelles permettant de réduire drastiquement l’émission des gaz à effet de serre. Bon courage aux personnalités politiques qui auraient l’audace de les proposer, voire même de seulement les évoquer. Même les verts pure sucre s’en gardent bien. Et pourtant seul un programme d’obligations/interdictions serait juste, car touchant tout le monde, contrairement aux taxes sans influence sur les plus pollueurs, comme vous le dites bien.
    On en arrive aux limites de la démocratie: pour être élu (ou réélu), il faut caresser le peuple dans le sens du poil. Comme avait dit le président Sarkozy “l’écologie, ça commence à bien faire !”. Dans un conflit d’objectifs écologie/économie, c’est pratiquement toujours l’économie qui gagne.

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