Une mauvaise idée, une mauvaise action

 

Les CFF veulent développer l’ambiance musicale des galeries commerciales dans les gares. Cela fonctionne déjà dans le « Shopville » de Zürich et ce sera étendu à Genève, Berne et Lausanne. Le titre même de Shopville indique la tendance vers le n’importe quoi : on ne parle plus sa langue mais une espèce de globish où tout se mêle et s’emmêle.

L’homme est fait pour entendre la musique composée et interprétée par d’autres hommes. C’est un langage qui transmet des émotions que les mots ne peuvent exprimer. Cela va du ranz des vaches à Stravinski en passant par l’opéra, le bal musette, le Beau Danube bleu, Brassens et Léonard Cohen. Mais ce n’est évidemment pas de cela que l’on parle. On aura recours à « la dance, la house, le lounge et le chill out » ou encore « singers-songwriters » ( ???).

On voit tout de suite de quoi il retourne. Un bruit fabriqué par des usines à son, des hérauts de la guitare électrique, voire par des applications numériques. Ce n’est du reste pas destiné à transmettre des émotions mais à faire vendre. Les spécialistes du marketing sensoriel (encore un mot globish) ont appris que les consommateurs cobayes achètent plus, si on les enveloppe dans cette ambiance musicale. Ce n’est pas de la musique au sens propre mais du bruit, qui vient se rajouter aux bruits de la ville et aux annonces ferroviaires.

Qu’attendons-nous des CFF ? Des transports réguliers, multiples, à l’heure, empruntés dans des gares sures, propres, voire esthétiques. C’est notre indispensable réseau de transports publics à moyenne distance, la garantie de ne pas être contraint d’utiliser la voiture ou l’avion. A ce propos, pourquoi n’y-a-t-il pas de TGV en Suisse ? Pourquoi met-on cinq heures de Genève à Lugano et trois heures de Genève à Paris ? Pourquoi ne trouve-t-on pas toujours de siège ? Pourquoi cela coûte aussi cher ? Pourquoi le concept originellement suisse de Swissmetro a créé des émules dans le vaste monde et pas en Suisse ?

Et si les CFF s’occupaient plus de leur métier et moins de rentabiliser les gares en les utilisant pour vendre n’importe quoi lorsque les commerces ordinaires sont contraints de fermer par la loi. Et si les CFF ne s’occupaient pas de faire vendre plus alors que la transition climatique ne sera maîtrisée que si nous achetons moins. Et si les CFF diffusaient de temps en temps de la vraie musique à un niveau modéré et pas tout le temps. Et si des musiciens amateurs étaient invités à s’y produire. Et si on retrouvait dans ce domaine public un silence propice à la détente, à la lecture, à la réflexion. Et si on y exposait des œuvres d’art en lieu et place de vitrines de magasin. Et s’il y avait de vrais cafés pour y discuter et de vrais restaurants plutôt que des mangeoires. Et si on traitait les passagers comme des êtres humains et pas des vaches à traire.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

13 réponses à “Une mauvaise idée, une mauvaise action

    1. Merci pour ce commentaire qui permet de se renseigner. “Singersonwriter” se traduit, pour ceux qui comprennent l’anglais mais qui parlent le français, par chanteur-compositeur.

  1. Votre liste non exhaustive est parlante. Le problème n’aurait il pas été induit par les politiques ou partis politiques demandant aux CFF d’être rentables ? avec les dérives que vous énumérez.

  2. Cher Monsieur Neirynck, je vous remercie pour votre article, lequel exprime ce que je ressens depuis toujours lorsque je suis confronté à cette musique omniprésente qui envahit la quasi totalité des lieux publics. Je suis convaincu – ou du moins je l’espère – que nous nous dirigeons vers une société dans laquelle les termes croissance, consommation, chiffre d’affaire, marketing deviendront des termes détestés par la majorité des citoyens. Et celui qui exprime cette opinion un peu extrême est titulaire d’une licence en sciences économiques !

  3. Bonjour Monsieur,
    je suis tout à fait d’accord avec vous, mais il faut se rappeler que les CFF sont une entreprise privée, même si de propriété de la Confédération, qui doit faire des utiles et qui est libre d’investir comme elle veut. Les CFF justifient les transformations des gares en centres commerciaux et les investissements dans l’immobilier comme façon de gagner beaucoup d’argent, ce qui garantit la bonne situation financière de l’entreprise et donc aussi les investissements dans les transports.
    Comme vous je n’aime pas cette transformation, mais si on veut (moi non) le libre marché dans tout les domaines (comme par exemple la Poste), on peut pas reprocher aux anciennes régies leur libres choix économiques.
    Meilleures salutations.

  4. La pollution sonore va encore frapper ! Censée combler le vide intérieur supposé de certains ou pour les empêcher de réfléchir sereinement ? Dans le même ordre d’idées, le sourd fond sonore (boum boum) imposé par notre radio romande à certaines émissions parlées m’énerve souverainement. A quand un mouvement citoyen pour lutter contre ces agressions ?

  5. Cher Jacques, Merci pour ce blog et ce rappel à Calvin (à ne pas confondre avec les calvinistes !). Notre futur n’est pas encore vraiment en de bonnes mains quand on regarde autour de nous. Je parlais hier soir avec quelqu’un qui travaille dans un organisme central de météo et elle n’avait presque aucun écho autour d’elle pour agir pour le climat … Tu as été le fondateur, en Belgique, de l’Association des Consommateurs, Test-Achat, et il va falloir penser à fonder l’Association des Déconsommateurs, Têtes dans le Climat. En toute amitié, Jean-Jacques,

      1. Il n’y a pas eu un seul fondateur de Test Achats mais une équipe. J’y suis entré en 1963, j’ai été le premier rédacteur de la revue dont j’ai ensuite dirigé le comité. J’ai présidé le Conseil aux environs de 1970-1975.

  6. Merci pour votre commentaire, tant de fois nous ( notre famille ) sommes profondément irrites de ces musiques qui ne donnent que de fausses ambiances. Actuellement elles me chassent plus des magasins plutôt que de m’y faire rester.
    Faut il donc que ces sociétés de ventes nous prennent tant pour des stupides ?
    Pourquoi faut il a tout prix accepter ces transformation qui à la longue nous ruinent l’âme ?
    Manon

  7. Bravo ! Et bien dit. Je partage tout à fait votre analyse.
    Les gares bien sûr ne sont pas un lieu de recueillement et de détente, mais elles sont assez bruyantes sans qu’il soit nécessaire de rajouter un fond sonore constant. Cordialement.

  8. Moi qui croyais avoir tout entendu avec la Castafiore…

    Je retourne à mon mésoscaphe, préférant la compagnie des requins à celle des singers-songwriters.

    Tryphon T.

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