La néfaste rengaine de la redistribution.

La redistribution est un maître-mot des programmes de la gauche. C’est un argument électoral simple et attrayant. Comme le tiers des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu, ce mot signifie vaguement pour eux que les contributions des riches leurs reviendront sous une forme ou une autre et que leur revenu réel en sera augmenté. C’est la justice sociale dans sa version la plus élémentaire, la plus égalitaire, la plus apparemment équitable.

Elle dissimule de réelles inégalités. L’Etat ne prélève pas seulement un impôt sur le revenu, la fortune, la succession des riches, transféré par des aides sociales aux plus nécessiteux. Car mêmes les plus pauvres contribuent aux ressources de l’Etat par des taxes à la consommation (TVA, essence) et des impôts à la personne (assurance-maladie, redevance TV, vignette autoroutière). Et donc une partie des subsides d’aide sociale circulent en cycle fermé, l’Etat reprenant d’une main ce qu’il distribue de l’autre. S’il finance l’AVS par une fraction de la TVA, les retraités subissent de fait une réduction de leur pouvoir d’achat sous couvert d’une rente inchangée. C’est la distinction élémentaire entre contributions douloureuses et indolores.

La complication du système le rend supportable car finalement la plupart des ménages ne calculent pas ce qui subsiste de leurs salaires après les prélèvements obligatoires. De même, il n’y a pas de transparence sur la fixation des salaires les plus élevés, qui atteignent et dépassent plusieurs fois le million. Les dirigeants, bénéficiant de ces pactoles, sont des financiers avisés qui ne sont intéressés que par leur revenu après prélèvements obligatoires et qui sont aussi en position de négocier ou de fixer eux-mêmes ces montants exorbitants. On pourrait analyser qu’au fond, ils ne paient pas d’impôts, que ceux-ci sont payés par l’entreprise et que celle-ci répercute ce manque à gagner en augmentant les tarifs des biens ou des services vendus. Les riches sont riches parce qu’ils ne souffrent pas des prélèvements obligatoires qui frappent toutes les autres classes sociales, bien incapables d’y échapper.

Cette propice obscurité est inséparable du système capitaliste où nous vivons par la force des choses. Des économistes aux vues tranchées proposent régulièrement de sortir de la redistribution pour aller vers la distribution. Si au départ chacun avait un salaire convenable, il ne serait pas nécessaire de prendre aux uns pour donner aux autres. L’économie distributive est un modèle économique associant trois aspects : une monnaie de consommation, correspondant à l’activité économique et ne permettant aucune capitalisation ; un revenu de base universel ; un partage du travail lié à la signature d’un contrat social. Ces idées surnagent de temps en temps dans les propositions de l’extrême-gauche qui n’ont aucune chance de s’imposer. Le communisme soviétique les a pour longtemps décrédibilisées.

La véritable question devrait être étudiée en dehors de tout contexte idéologique : comment la valeur ajoutée du travail de chacun doit-elle être rémunérée pour qu’une économie se développe au mieux pour le bien de tous ? Dans cette optique l’inégalité n’est pas intrinsèquement mauvaise et la redistribution n’est pas bonne en soi. Ne vaudrait-il pas mieux que l’ensemble de la société s’élève dans le même ascenseur social plutôt que tous, demeurés au rez-de-chaussée, discutent de la répartition des biens existants ?

Mais ce ne serait encore qu’un leurre, parce que les inégalités sociales, certes atténuées, persisteraient à travers les générations. Le véritable concept de justice consiste à donner des chances égales de progression à tous. Concrètement, il ne suffit pas de rendre les études post obligatoires quasiment gratuites si on ne donne pas aux rejetons des familles démunies des bourses suffisantes pour y accéder. Plus en aval encore, l’enseignement obligatoire ne devrait pas avoir pour objectif de socialiser et de formatter les élèves sans trop les stresser, mais au contraire d’exiger des efforts de dépassement pour promouvoir les meilleurs. L’inégalité des revenus est supportable s’il existe une égalité des chances de la surmonter.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

11 réponses à “La néfaste rengaine de la redistribution.

  1. A la fin des années 50 du siècle passé, un économiste français avait proposé un paradigme de taxation de l’énergie exclusivement, plus récemment, on a évoqué une nano taxe sur toutes les transactions financières exclusivement. Qu’en pense l’auteur?

    1. Je n’ai pas de doctrine en la matière. Je ne crois cependant pas à une forme unique de taxation qui sera très vite contournée. Mon objectif dans ce blog était de dévoiler des mécanismes pervers qui se jouent des meilleures intentions.

  2. Je crois que c’est une vue de l’esprit d’imaginer qu’on puisse atteindre une égalité des chances absolue. Ce n’est même pas souhaitable. Tout simplement parce que, et c’est bien naturel, celles et ceux qui ont bénéficié d’une ascension sociale au cours de leur vie, partant d’un début modeste, grâce à leur travail, leur talent, une part de chance aussi et les possibilités offertes par la société telles que bourses, stages, encouragement à l’innovation, etc., une fois le succès atteint, auront tendance à faire en sorte sorte que leurs rejetons partent dans la vie avec une longueur d’avance sur les autres. L’argent, que l’on peut léguer à ses enfants, mais aussi l’éducation que l’on pourra leur donner, les relations amicales au sein de l’élite, les conseils d’un père ou d’une mère ayant lui-elle-même fait une grande carrière ou une grande fortune, ont une valeur irremplaçable dont ne bénéficieront jamais les enfants issus de milieux très modestes.

    Il me semble que ces circonstances sont normales et acceptables. La gauche peut bien faire de la démagogie sur ce sujet, mais cela ne changera rien à la nature humaine et d’ailleurs, la gauche, elle donne l’exemple de l’inégalité dans ses propres comportements. Si on observe les milieux socialistes qui monopolisent le pouvoir dans les grandes villes suisses, grâce à l’alliance politique rouge verte, on constate beaucoup de népotisme, de faveurs faites à des amis, d’entraide au sein d’un même milieu. Jusqu’à un certain point c’est une chose normale.

    Il ne faut pas oublier non plus que ça va dans les deux sens. Tout comme une famille peut “grimper” dans l’échelle sociale et économique, sur quelques générations, tant qu’elle a une certaine discipline et un certain sérieux dans le travail, pour maintenir l’acquis, elle peut dégringoler très brusquement dès que ses représentants tombent dans la paresse, dans l’alcool ou la drogue, commencent à faire des grosses boulettes ou jeter l’argent par les fenêtres. Une famille d’industriels peut se retrouver ruinée après deux ou trois faillites. Des divorces très coûteux, une mauvaise planification successorale, fiscale, peuvent ruiner très vite une famille de millionnaires. Parfois ça repart un peu plus tard, sous une autre forme. Par exemple nous avons dans la région une jeune femme issue d’une famille d’industriels dont l’entreprise importante, et florissante encore dans les années 1980, a disparu aujourd’hui, remplacée par des technologies plus modernes comme le Compact Disc. Eh bien, cette jeune femme se fait connaître en faisant aujourd’hui une carrière assez brillante comme élue écolo.

    C’est ainsi. La roue tourne. Elle a toujours tourné et le monde ira toujours ainsi.

    Il me semble que ce que l’on peut souhaiter n’est pas “l’égalité” complète, qui n’existera jamais et n’est même pas souhaitable. Ce qu’il faut c’est un “ascenseur social” qui fonctionne et permette aux jeunes gens doués et ambitieux d’avoir une chance de réussir. Cet ascenseur social a été cassé en France et dans beaucoup de pays européens à cause des excès égalitaristes de la gauche. Il faut bien se garder de suivre ce mauvais exemple.

    Bien sûr les jeunes issus d’un milieu défavorisé auront plus à lutter pour s’affirmer. C’est normal et c’est sain. La difficulté, bien souvent, fonctionne comme un carburant et une motivation pour les gens ambitieux, en les poussant à donner le maximum pour gagner dans la compétition. C’est pourquoi bien peu de fils à papa font des réussites aussi brillantes que celles de ceux qui se sont faits à la force du poignet.

    En Suisse tout le monde a sa chance. Il faut tout de même le reconnaître. Je suis très frappé d’observer le nombre extraordinaire de réussites entrepreneuriales ou politiques, accomplies par des gens issus de milieux immigrés et très modestes, que nous voyons sous nos yeux. Pensons à une entreprise mondiale comme Kudelski, fondée par un ingénieur d’origine juive polonaise complètement sans le sou quand il est arrivé en Suisse. L’entreprise n’en est qu’à la 2ème génération et pour le moment elle tient bien le coup. Je pense aussi à cette entreprise énorme, familiale, de construction et travaux publics: Orlatti, que l’on voit partout, fondés par deux frères saufêsur erreur albanais qui ont commencé comme maçons. Je pense aussi à une très grande entreprise horlogère: Festina-Candino, qui a été développée par un Espagnol qui a commencé dans le personnel de nettoyage de l’aéroport de Cointrin avant de s’apercevoir qu’il pouvait gagner plus d’argent en achetant des montres suisses et en les revendant en Espagne, comme un colporteur au début, puis il a racheté des grandes entreprises (Festina et Candino précisément). On voit ça aussi dans la politique. Une fille d’ouvriers espagnols, dont les parents sont littéralement arrivés en Suisse avec une valise en carton (comme Mr Rodrigues de Festina) Nuria Gorrite, gouverne aujourd’hui le plus grand canton de la Suisse romande, non sans talent. Et il n’y a pas que les étrangers: Ueli Maurer, fils de paysans très pauvres n’ayant pour tout diplôme qu’un apprentissage de commerce, a pu devenir officier supérieur, président du plus grand parti de Suisse et aujourd’hui président de la Confédération, respecté unanimement par les grands de ce monde, grâce à ses capacités et son intelligence. Guy Parmelin, Alain Berset, Doris Leuthard, Viola Amherd et beaucoup d’autres femmes et hommes politiques de tout premier plan peuvent aussi être cités en exemple. Si madame Martullo Blocher accède un jour au Conseil fédéral, ça ne voudra pas dire que la Suisse sera devenue un pays où, comme aux États Unis, le pouvoir est tenu exclusivement par des dynasties de milliardaires, mais cela montrera que dans notre pays il y a une plaçe pour tous les talents: ceux dela premiere génération et aussi de la deuxième ou de la troisième.

    Donc il me semble qu’en Suisse, autant que faire se peut, l’égalité des chances est optimale. Je connais une dame américaine qui m’a dit ceci: “ma fille est médecin. Elle a pu faire des études en Suisse, excellentes et du plus haut niveau, qui ne m’ont rien coûté (à moi sa mère). Aux États Unis des études pareilles auraient coûté entre 500’000 et 1’000’000 de dollars. Il aurait fallu s’endetter jusqu’au cou et ma fille n’aurait jamais pu rembourser.

    Conclusion, Mr Neirynck a raison. Mais j’irais encore plus loin que lui. La redistribution ce n’est pas la bonne idée. Il faut laisser aux gens le fruit de leurs efforts. Il faut les laisser s’enrichir et transmettre leurs fortunes à leurs enfants. Ce n’est pas grave si on a un certain nombre d’incapables qui seront riches simplement parce qu’ils ont hérité. Ils dilapideront leurs biens et ça fera marcher le commerce. Cela ne dérange pas qu’on ait beaucoup de riches et même de très riches. Ce qu’il faut c’est ne pas laisser les gens tomber dans la pauvreté. C’est tout à fait différent. De meme l’égalité des chances parfaite on l’aura jamais. Ce qu’il faut, c’est un ascenseur social qui fonctionne. Et il fonctionne actuellement. Surtout ne le détraquons pas.

    1. Vous ne dites jamais pourquoi l’égalité “n’est pas souhaitable”…
      Ni pourquoi “la redistribution n’est pas une bonne idée”…
      Ni comment on peut affirmer en même temps que “la redistribution n’est pas une bonne idée” et “Ce qu’il faut c’est ne pas laisser les gens tomber dans la pauvreté”?
      On s’entend que la redistribution de la richesse ne vise jamais de rendre tout le monde “riche”, mais plutôt de protéger contre la pauvreté, due souvent à des revers de fortunes.

      1. Le dernier alinéa explique que la véritable égalité est celle des chances, pas celle des revenus courants. La redistribution n’est pas une bonne idée parce qu’elle permet au système actuel de se poursuivre en maintenant chacun dans sa classe sociale, en évitant que les disparités soient trop criantes, que la misère soit trop voyante. C’est un palliatif, pas un remède. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faille pas prélever les impôts sur le revenu de façon progressive. Cela veut dire que les taxes à la consommation pèsent tout de même sur les plus démunis et que la redistribution est un leurre parce que l’Etat reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre.

      2. Si tout le monde vivait dans l’aisance, qui occuperait certains emplois “ingrats” qui existeront malgré le recours à la robotique? Sera-ce le retour à l’esclavage comme dans certaines civilisations anciennes? Et on n’éliminera jamais les différences individuelles naturelles d’aptitudes intellectuelles, physiques, émotionnelles, de compétition, d’ambition, les désirs variables de domination des uns, de soumission des autres. C’est son infinie variabilité, actualisée ou potentielle, qui fait la richesse de l’humanité.

  3. “Comme le tiers des ménages”
    https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/6740704-ceux-qui-ne-paient-pas-d-impots.html?anchor=6859849

    Impressionnant ! J’ai presque de la sympthaie pour le 1% qui paie beaucoup.
    En fait, non.

    Cela dit, c’est une ineptie totale:
    ” Concrètement, il ne suffit pas de rendre les études post obligatoires quasiment gratuites si on ne donne pas aux rejetons des familles démunies des bourses suffisantes pour y accéder. ”

    Il faut accorder ces bourses au mérite, sinon vous ne ferez que dépenser de l’argent inutilement.
    La Suisse est majoritairement prospère car l’apprentissage y a encore de la valeur et l’on peut réussir (et faire réussir ses enfants) avec un CFC. Vouloir s’inspirer de la France et envoyer tout le monde à l’université à coup de baisse de niveaux et de bourses, c’est se moquer du monde (et du contribuables).

    Quand finirez-vous par apparendre de l’échec des solutions proposées par votre génération ?

    Neuchâtel a d’ailleurs fait un truc formidable. L’aide sociale des étudiants n’est pas remboursables. Les méritants ont dès lors une bourse et, les autres, l’aide sociale (mais vu que ce n’est pas remboursable = argent gratis). Résultat ? beaucoup font l’uni, peu se lèvent le matin…

    1. Si je vous entends bien, l’université est accessible de droit aux rejetons de familles fortunées , tandis que les autres doivent gagner une bourse au mérite (lequel? par quel critère?). Ma proposition vise à mettre tous les jeunes d’une génération sur le même plan financier. J’évoque du reste l’enseignement post obligatoire qui comporte aussi les HES. Les jeunes doivent pouvoir chosir librement entre l’apprentissage et les études, sans autre contrainte que leur inclination.

      1. “sans autre contrainte que leur inclination”
        Et c’est vous qui vouliez leur imposer un examen d’entrée plus sélectif… dont, c’est mon avis, seuls les enfants soutenus par une famille pourraient se payer les cours ad hoc nécessaires à sa réussite. Vous n’avez aucune cohérence… Mdr.

        “l’université est accessible de droit aux rejetons de familles fortunées”

        Que cette phrase résonnerait peut-être pour mes grands-parents. 🙂
        Vous croyez vraiment que ce discours de lutte des classes très 1900 se retrouve dans mon message ? Non, c’est juste votre prisme de la société qui déforme mes mots.

        Je ne veux pas compliquer l’accès à l’université, je veux le garantir à tous ceux qui ont réussi la maturité fédérale (mais une maturité réhaussée pour sanctionner de vrais acquis). Mais en épargnant les ressources de l’Etat.

        A un moment, l’Etat ne peut pas tout faire… (et c’est déjà très bien qu’il subventionne les grandes écoles pour que les émoluments soient accessibles à tous).

        Vous savez, votre génération nous a légué une seule chose réelle: une dette.
        Vous avez rêvé, nous devons trimer. Donc vos discours: c’est gratuit, c’est l’Etat qui paie.
        Ou c’est gratuit, car les assistés d’aujourd’hui seront les contribuables fortunés de demain… c’est bon, ils ne portent plus. Je veux des faits, plus des mythes.

    2. Beaucoup, c’est combien? Des chiffres seraient très éclairants. (sur le nombre d’étudiants qui ne se lèvent pas le matin).
      Aussi, comment évaluer qui est “méritant” et qui ne l’est pas? Les notes? Ce n’est malheureusement pas si simple, la réussite ne se mesurant pas de cette manière, et encore moins la réussite post-études.
      Et finalement, qu’est-ce que la société “doit” aux “méritants” qu’elle ne devrait pas aux “autres”, et surtout, pourquoi?

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