Gabegie publique et dilapidation privée

 

Une pleine page de notre quotidien préféré épingle des politiciens suspects de dilapidation d’argent public ou d’accointances douteuses avec des personnages peu recommandables. Les voyages payés ou non en compagnie de Frederik Paulsen de Pascal Broulis ou de Géraldine Savary, les dons pour la campagne électorale de la même Géraldine et de Luc Recordon, les dépenses exagérées de téléphonie ou de taxis de Guillaume Barazzone. Rien de tout cela n’est illégal ou contraire aux règles impératives. Mais c’est tout de même scandaleux ! Ou du moins cela mérite d’y consacrer une pleine page pour que le citoyen suisse sache de quel bois se chauffent ses élus.

 

Tout d’abord, le Suédois Frédérik Paulsen restera dans l’histoire comme le premier homme à avoir atteint les huit pôles de la planète, membre à vie du très sélect Club des explorateurs de New York, succédant à des noms aussi illustres que Roald Amundsen, Edmund Hillary et Neil Armstrong. Il dirige une entreprise sise à St Prex. Il n’est mêlé à aucune activité délictueuse. Il paie ses impôts. Il considère de son devoir de financer les campagnes électorales, y compris d’élus socialistes, voire de voyager avec eux dans des périples de découverte. Il n’est pas coupable que d’être un riche, voué au mécénat.

 

Ensuite les élus. Ils ne sont pas tenus, légalement ou réglementairement, de ne pas sortir des frontières de la Suisse ou même de leur bureau. Ils auraient plutôt l’obligation professionnelle de se renseigner sur ce vaste monde qui nous entoure et dont certains aimeraient bien qu’il n’existe pas. Ils ne sont pas davantage tenus de recruter leurs amis exclusivement au sein de leur propre parti. Ils sont obligés d’accepter les dons pour les campagnes électorales qui, sinon, ne seraient pas possibles. Ils téléphonent beaucoup et se déplacent tout autant : il est impossible de faire autrement. Ils doivent même inviter des convives, voire organiser des réceptions ou des repas. Ils ne sont pas obligés d’y servir seulement du Coca-Cola et des pizzas, du vin de cuisine et des cacahuètes.

 

Alors où est le problème ? Du fait de leurs fonctions, les élus rencontrent les notables, les riches, les chefs d’entreprise, les ambassadeurs, les élus d’autres pays, les artistes, les prélats. S’ils ne le faisaient, ils manqueraient à leurs devoirs. Occasionnellement nourris de petits fours trop gras et abreuvés de champagne tiède lors de réceptions ennuyeuses, ils ne peuvent s’y soustraire. Il arrive même que des liens d’amitié se créent qui font partie de l’affectivité normale de tout individu bien constitué. Cependant, entre les dépenses somptuaires du Versailles de Louis XIV, et le train de vie officiel de la Suisse, il y a un abîme. Dans le vaste monde, les cantons helvétiques sont des exemples de rigueur, d’ascétisme et d’intégrité.

 

Au lieu de se tourmenter au sujet des notes de frais de leurs élus, les Suisses seraient bien avisés de se préoccuper plutôt de leur gestion des finances publiques et donc de leurs impôts. Qu’en est-il de leurs pensions, de leurs frais de santé, de leurs transports, de leurs logements, de la garde des enfants et du sort des handicapés ? Comment sont financées les campagnes électorales de tous les partis et pas seulement de la gauche ? Lesquels des élus sont  bons ou mauvais gestionnaires, indépendamment de leurs notes de téléphone et de taxis, qui représentent des miettes au sein des budgets gérés ?

 

S’obnubiler sur les notes de frais permet de se dispenser de poser ces questions fondamentales. Quand on parle de politique, il faudrait s’abstenir de stigmatiser des politiciens qui ne le méritent pas et plutôt blâmer ceux qui ne font rien. La meilleure façon d’avoir les mains propres, c’est de ne pas en avoir.

 

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

8 réponses à “Gabegie publique et dilapidation privée

  1. Cher Monsieur Neirynck,

    Se préoccuper de la saine gestion des finances publiques pratiquée par nos élus ne m’apparaît ni incompatible, ni mutuellement exclusif de se tourmenter – et pour dire vrai de s’indigner avec la dernière énergie – de leur absence d’éthique et des contradictions béantes entre discours et actions telles qu’elles apparaissent révélées par la presse ces mois derniers avec la régularité d’un métronome.

    Car enfin, un scientifique qui ferait la démonstration d’un pareil manque d’éthique ou d’élémentaire bon sens, un enseignant, un médecin, ou le simple citoyen que je suis dans le règlement des impôts que vous mentionnez ou du plus infime de ses devoirs administratifs, serait immédiatement sanctionné et de la plus impitoyable des façons, par une administration dont on découvre qu’elle est dirigée par d’authentiques et éhontés menteurs, sinon d’irresponsables voyous.

    Ce n’est donc pas en remplaçant un déni avéré (au lieu de…) par un autre supposé (seraient bien avisés de…) qu’on règle la question centrale, à savoir : comment peut-on prétendre servir ses citoyens en leur mentant les yeux dans les yeux, en combattant l’esprit du forfait fiscal pour mieux accepter l’argent de ceux qui en bénéficient, en se laissant inviter tous frais payés par des ‘amis’ lorsqu’on gagne – quelquefois à vie – un quart de million par an payé par le dur labeur du contribuable ou, pire encore, en leur faisant les poches pour des fredaines personnelles ?

    Vous ne pouvez tout simplement pas vous offusquer de ce qu’une partie grandissante de citoyens crie au “tous pourris” tout en cautionnant dans le même temps petits ou grands manquements d’élus, au prétexte qu’ils seraient bons gestionnaires ou qu’ils ont à charge de plus grands desseins. Ou qu’il faille se préoccuper d’autre chose qui, selon vous, mérite plus d’attention que la crise de confiance grandissante entre élus déconnectés des réalités et citoyens bernés en série.

    Le faire frise l’insulte à l’intelligence de ceux-ci et renforce autant le camp des abstentionnistes désabusés que celui des extrêmes, le premier alimentant le second.

    Le voilà le problème.

    La meilleure façon d’avoir les mains propres est d’incarner les valeurs qu’on prône et de les appliquer à soi-même avant de le faire aux autres, en particulier lorsque ceux-ci nous paient.

    Bien cordialement.

  2. Bon, en résumé, tout va bien dans le meilleur des mondes?
    A quand un système de performance des politiques? Oui, pour savoir s’ils travaillent ou écrivent des blogs sur le Temps?
    🙂

    1. @ M. Olivier Wilhem.
      À votre façon et à votre échelle, vous travaillez beaucoup à commenter ces blogs, quand bien même vous les estimez pas indispensables de la part de ceux que vous préféreriez « voir travailler ». Mais vous au moins, personne ne vous reprochera de vous y attarder dans votre… temps libre non rémunéré.

      1. Mon clin d’oeil sur la rédaction de blogs n’interdit en rien aux politiques d’en écrire, au contraire.

        J’aurais peut-être du dire:
        “… ou s’ils boivent des canons” ?

        (Nobody is perfect:)

  3. Pouvoir s’identifier à ses élus en rapport de ses opinions propres est une chose, mais s’en sentir proche en rapport de l’image qu’ils donnent en est une autre. Et pour un nombre peut-être important d’électeurs ce dernier besoin joue un rôle dans leurs affinités et leurs choix. Toute prportion gardée, l’esclave admire et envie le pouvoir du maître à qui il demande une vie meilleure, mais le déteste parce qu’il n’a pas sa force. Et un maître modeste en haillons qui logerait dans une cabane plutôt qu’au palais deviendrait vite l’esclave de celui d’à côté qui a des rideaux en velours aux fenêtres. C’est ainsi que certains politiciens, plus dans le passé qu’actuellement, jonglaient avec leur image offerte à tous. François Miterrand portait sa gabardine de soie noire pour serrer la main au président africain, mais mettait son béret et son modeste pantalon bouffant pour aller serrer la main du simple montagnard. Aujourd’hui cette comédie aurait plus de peine à passer, mais les nécessités de frais annexes élevés pour partir à la rencontre et se présenter dignement devant les seigneurs arabes ne passent pas mieux. Pour conclure, une dernière image : Le pauvre qui désire avoir chaud préfère recevoir un vieux pull troué de la main du moins pauvre que lui, plutôt qu’un pull en cashemire de la main du ministre du roi. Le pull en cashemire il s’en servira comme chiffon. Les bénéfices apportés par les élus pourraient être bien accueillis s’ils partaient en voyage d’affaire à vélo, avec une crousie fixée au guidon.

  4. ….la femme de César ne doit pas être soupçonnée !
    Et, en plus, si nos médias font les poux aux politiciens étrangers, ce serait choquant qu’ils ne parlent pas de ce qui se passe ici…

    1. @ Madame Vita Bruno
      D’accord pour la femme de César, et je dirais même que si sa culpabilité était démontrée, elle devrait bénéficier de circonstances atténuantes en raison de l’heureux instinct que manifeste toute femme pour protéger son mari !
      Par contre pour les poux, les maîtres arabes considéreront que l’homme de pouvoir étranger qui se soumet au contrôle sanitaire de nos médias est un faible, en raison de leur notion de respect inconditionnel dû aux personnes de haute importance. Notre régime démocratique leur échappe. Pour illustration la réaction de Dieng Xiaoping lors de sa venue en Suisse, alors qu’il était accompagné de notre président pour regagner la gare de Genève, entre deux cordons policiers qui assuraient la voie libre parmi deux ou trois dizaines de manifestants pour le « Tibet libre » : « Vous ne savez pas gouverner ! » Il aurait pu déclarer aussi : « Vous êtes faible, vous n’êtes pas sérieux ! » C’est bien cette « mauvaise image » que les politiciens suisses doivent s’efforcer de ne pas faire ressortir inutilement selon à qui ils ont affaire. Malheureusement on ne les aide pas et cela va à contresens de nos intérêts…

      1. Dominic,
        je pensais plutôt aux costumes de M. Fillon parce que, en général, je trouve les médias plus “soft” avec les maîtres arabes et les Dieng Xiaoping… business oblige !
        Par contre, sur la mauvaise image de manque de sérieux et de faiblesse, peut-être vous avez raison, mais ce n’est pas aux médias d’aider les politiciens, c’est aux politiciens de faire attention.
        Il me semble aussi que ces cas (de voyages et de “costumes”) sont traités de façon différente selon les cantons… je me trompe ? Genève paraît moins cachottier que Vaud !

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