Analyse génétique humaine : une loi toujours dépassée

Qui suis-je ? Question sempiternelle que tout homme se pose dans les grands moments de sa vie sans pouvoir y apporter une réponse satisfaisante. L’analyse génétique ne prétend pas épuiser cette question, mais elle peut sans doute contribuer à l’éclaircir. Avant de se plonger dans des réflexions métaphysiques, l’individu peut plus modestement se poser la question en termes matériels. Qu’est-ce que mon corps ? Comment fonctionne-t-il au quotidien ? Quel est son programme pour l’avenir ? Quelles maladies sont-elles inscrites dans les gènes ? Quand est-il programmé pour mourir ?

Ces dernières années ont apporté des progrès considérables à la capacité d’éclairer ces questions. Et ce n’est qu’un début. Au lieu de lire son présent et son futur dans les lignes de la main ou dans la configuration des astres, l’homme d’aujourd’hui peut en apprendre bien davantage en soumettant à l’analyse quelques cellules prélevées sur la muqueuse de la bouche. C’est à la fois réconfortant pour certains mais angoissant pour d’autres, qui sont absolument opposés à ce genre d’analyse.

Tel est bien le sentiment que suscite la loi fédérale actuelle sur l’analyse génétique humaine entrée en vigueur en 2007 (LAGH). Le principe de cette loi était d’interdire l’analyse génétique humaine, hormis dans quelques cas énoncés de façon exhaustive. Aucun citoyen ne peut se présenter dans un service universitaire ou privé pour demander, à titre de pure information, par simple curiosité, une analyse de son génome. Or, chacun a le droit d’obtenir une mesure de son quotient intellectuel ou de celui de son enfant au moyen d’une batterie de tests psychotechniques. On peut savoir comment fonctionne le cerveau dans la mesure où on se contente de mesures extérieures. On ne peut pas savoir pourquoi il fonctionne, même en assumant les frais. Comme une voiture dont on s’interdirait de lever le capot.

Avant d’obtenir le droit de savoir comment est bâti son corps, l’intéressé(e) doit se justifier. Ou bien il (elle) soupçonne à juste titre d’être porteur d’une tare, ou bien il (elle) se propose d’avoir un enfant. Ces conditions sont tellement vagues que n’importe qui peut les invoquer. Qui n’a pas dans sa famille un parent mort du cancer du sein ou du côlon ? Ces conditions restrictives sont donc dénuées de sens. Elles procèdent de la volonté de restreindre l’accès à l’analyse génétique humaine en créant des obstacles administratifs propres à décourager la plupart.

Cette législation helvétique n’empêcha pas les riches et les malins de passer la frontière et d’obtenir ailleurs ce qui leur est refusé sur le territoire national. Toute mesure de rationnement des analyses médicales définit automatiquement une médecine à deux vitesses.

Ainsi, cette loi ne changea pas grand-chose. Elle n’avait que deux buts justifiés : interdire à un employeur ou à un assureur d’exiger une analyse génétique d’un futur salarié ou assuré. Sauf s’il existe un risque de maladie professionnelle ou d’accidents. Mais là aussi, cette exception ouvre la porte à toutes les interprétations. Au pied de la lettre, même un emploi de bureau expose au risque d’atrophie musculaire, de stress nerveux ou de fatigue visuelle.

On peut donc se demander quelle fut cette hâte de légiférer dans un domaine qui ne s’y prête guère par l’état de flux où il se trouve. Quelle est l’urgence ? Où se situent les problèmes ? Et surtout pourquoi interdire en règle générale pour n’autoriser qu’à titre exceptionnel ? Ne serait-il pas plus simple d’autoriser sauf exceptions ? Au fond, il suffirait d’affirmer le principe de la liberté de l’individu et l’interdiction de lui imposer ce qu’il ne souhaite pas.

Mais ce serait trop simple. Une loi aussi légère n’aurait nul besoin de fonctionnaires pour être appliquée. Et voilà pourquoi la loi actuelle fut aussi compliquée.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH), en 2007, la situation a totalement changé. La LAGH ne répond plus à la situation actuelle. Ainsi, la loi ne règle pas assez les analyses commerciales, en particulier pour les offres faites par des entreprises étrangères. De plus, il n’est pas clair si les analyses qui ne sont pas réglées par la LAGH sont autorisées ou non. Le Parlement a donc chargé le Conseil fédéral d’examiner la loi et de proposer les modifications qui s’imposent. Le 15 juin 2018, le Parlement a adopté la LAGH révisée, toujours aussi longue et restrictive. Le Conseil National et le Conseil des Etats l’ont acceptée à l’unanimité lors du vote final. C’est un excellent exemple du retard, de l’inertie et de l’obscurantisme des travaux parlementaires : la loi votée en 2004 et entrée en vigueur en 2007 était déjà dépassée dès le début. La version votée en 2018 l’est aussi.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

8 réponses à “Analyse génétique humaine : une loi toujours dépassée

  1. Pouvoir connaitre un individu ou son futur grâce à son simple code génétique apparait aujourd’hui aussi simpliste que vouloir combattre la famine avec des OGM ! Si les gènes renseignent sur les caractères basiques tels la couleur de la peau ou d’autres facteurs physiques , y compris la prédisposition à certaines maladies, en revanche les caractères complexes comme la sociabilité, l’agressivité , l’intelligence ,… relèvent d’un ensemble de gènes inconnus aujourd’hui ajouté à son acquis social. Il ne faut pas compter sur une analyse génétique pour savoir si quelqu’un est Suisse ou Belge, ou départager un catholique d’un athée !
    Et il est fort probable que certains caractères soient incompatibles entre eux , par exemple l’obéissance et le génie , ce qui mettra les employeurs dans l’embarras !
    A cela s’ajoute une difficulté supplémentaire que l’on commence seulement à étudier , à savoir l’épigénétique , ou la possibilité de certains gènes de se comporter différemment en fonction de son environnement , donc il serait alors impossible d’après le seul code génétique de prévoir le comportement d’un individu face à une maladie , dans son travail, …
    L’analyse génétique permet aujourd’hui de confondre des violeurs ou d’écarter des innocents, …, mais il faut oublier de creuser la psychologie d’un individu ou de prévoir son avenir par cette méthode . Personne ne sait si ce sera possible un jour .

  2. Le texte dit clairement que l’analyse génétique permet “d’éclaircir” ces questions et non pas de les “épuiser”. Un commentaire ne doit pas prêter à un blog d’autres thèses que celles qu’il défend, dans le but de le contredire pour ce qu’il n’a pas dit.
    Le but du blog est de déplorer une loi qui interdit en général sauf exception. Cela devrait faire partie des libertés élémentaires que d’avoir le droit de demander une analyse génétique sans l’avis préalable d’n médecin.
    Enfin les employeurs n’ont rien à voir dans cette affaire puisque la loi interdit qu’une telle analyse puisse leur être communiquée.

  3. Donner par une loi la liberte de tout faire, deviant vite liberticide.
    Dans le demaine de la genetique nous butons tres rapidement sur l’etique, et c’est bien comme ca.
    La transparence totale n’est pas bonne a prendre pour deux raisons. Comment lire un code genetique ? Qui peut dire que ce gene est celui de la docilite, du partage et plein d’autres caracteres ? Nos genes sont ils un livre ouvert qui determinera notre avenir et nos actions ?
    Le second probleme est l’interpretation que pourra en faire nos employeurs, assureurs… Le fait de penser que ces gens n’auront pas access a ces donnees, c’est se bercer d’illusions.
    Pour le scientifique travaillant dans ce domaine, il est certain qu’il pourra se sentir d’une toute puissance. Lire dans les genes, en deduire des consequences certaines, c’est une danger enorme. Il ne faut oublier que l’on est rarement dans la nuance dans ces domaines.
    Faire une confiance aveugle dans les scientifiques est tres dangereux. Ils sont comme toutes entites humaines; ils ont leurs limites, attires souvent par l’aspect mercantile, un desir de gloire…
    Vive l’etique et le dialogue avant de vouloir foncer tete baissee sur des chemins qui peuvent nous perdre. L’etre humain n’est pas qu’un numero ou un simple agent economique.

    1. Au contraire, elles ont tenu tellement de place lors des délibérations au parlement que l’analyse génétique en est entravée par une loi très restrictive.

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