Un discours de rêve pour le premier août

 

La veille de la fête nationale, le président de la Confédération a visité Fribourg où une journaliste lui posa quelques questions pour le bénéfice des téléspectateurs. En professionnelle, elle ne contourna pas les questions embarrassantes. Celle sur les pensions et l’inquiétude des travailleurs. Seront-elles encore assurées dans quarante ans. Alain Berset ne nia pas l’existence du problème et en mentionna la cause qui est le très réel vieillissement de la population. Il contourna ainsi la cause sous jacente : la prolongation rapide de l’espérance de vie, car celle-ci dicte la solution qui est politiquement inacceptable, la prolongation de la vie active.

 

Soit la donnée de départ suivante : le système de pension par répartition, dit AVS, distribue chaque année aux retraités les cotisations versées par les actifs. Problème : ce système permet-il de garantir à ceux, qui ont cotisé toute leur vie, qu’ils percevront bien la rente promise, lorsqu’ils prendront leur retraite, au bout de quarante ans ?

 

La réponse est positive sous deux conditions inévitables : la durée de vie ne s’allonge pas ; les générations se succèdent sans variation de leur nombre. Or, la Suisse traverse une période où la durée de vie se prolonge, trois mois de plus chaque année, tandis que le nombre de naissances est en déficit d’un tiers par rapport au renouvellement des générations. Aucune des deux conditions nécessaires n’est vérifiée. Le principe est donc inapplicable.

 

C’est donc non. Le problème tel qu’il est posé est insoluble. Il faut en changer les données. On a le choix entre plusieurs solutions : allonger la durée de la vie active ; relever les cotisations ; diminuer les rentes ; introduire dans le système des travailleurs qui ne sont pas nés dans le pays. On peut tourner l’équation dans tous les sens : le problème reste insoluble aussi longtemps qu’on ne change pas au moins une de ces quatre données.

 

Depuis la création du système jusque maintenant, sur plus d’un demi-siècle, la durée de survie à 65 ans a doublé, de dix à vingt ans. Même si le taux de naissance était resté stable, il faudrait donc de ce seul fait : soit augmenter de dix ans la durée du travail ; soit diminuer les rentes de moitié ; soit doubler les cotisations. Aucune de ces solutions n’est réaliste, car elles ruineraient dans l’esprit des électeurs la crédibilité du système et inciteraient le souverain populaire à abolir l’AVS: les retraités ne toucheraient plus rien du tout.

 

Dès lors, la méthode politique – à rebours de la démarche mathématique – consiste à brouiller les idées, de façon à modifier tellement les données du problème, que personne ne s’en rende compte. On continue à payer les pensions mais au rabais : en excluant les veuves (elles sont incapables de se défendre) ; en ne compensant pas tout de suite le renchérissement c’est-à-dire en diminuant le pouvoir d’achat des rentes ; en augmentant la TVA ; en augmentant la durée du travail pour les femmes. Chacune de ces modifications est assortie de règles tellement compliquées qu’il est impossible pour le souverain de les comprendre et donc de les contester.

 

Quand on n’augmente pas les cotisations mais qu’on accroit la TVA pour affecter ce gain au soutien des pensions, cela revient tout de même à faire payer les actifs par une taxe plutôt que par une cotisation. On taxe surtout les retraités, dont on diminue de la sorte le pouvoir d’achat sans qu’ils puissent protester, puisqu’on ne diminue pas la pension nominale.  Ce fut l’autre promesse de ce discours.

 

On ne peut reprocher à Alain Berset dans le rôle de président de rester fidèle au credo de son parti, même si celui est tout à fait irréaliste. C’est précisément le rêve qui constitue la politique plutôt que la réalité quand celle-ci est insoutenable.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

Une réponse à “Un discours de rêve pour le premier août

  1. De toute façon les gens ne sont pas si bêtes. L’opinion publique se doute bien que les rentes ne seront pas payées, ou qu’elles baisseront de plus en plus, tout comme les primes d’assurances maladies continueront de monter.

    De fait, tout le monde a compris, et mentalement anticipé, que le monde où l’on pouvait envisager avec sérénité ses vieux jours, et où les retraités partaient à la retraite millionaires grâce à leur deuxième pilier, c’est fini. C’était une parenthès dans l’histoire. Ce monde là a existé pourtant. Une seule génération de BABYBOOMERS ont eu le privilège d’en bénéficier à plein. Les jeunes générations actuelles ne connaîtront pas cette époque heureuse.

    Tout le monde le sait. Et il y a beaucoup d’amertume à ce sujet.

    L’ironie c’est que les bénéficiaires du système ont produit la génération idéologiquement la plus anti patriotique et la plus gauchiste de toute l’histoire. Les profiteurs ont craché dans la soupe. Les générations montantes sont populistes, souverainistes, ”xénophobes” comme ils disent, car elles se sentent flouées par ces babyboomers du style des lecteurs de L’Hebdo et du Temps.

    C’est toute la promesse du ”welfare state” d’après guerre qui s’écroule sous les coups de boutoir de la mondialisation et de l’Union Européenne, tant chérie par l’intelligentsia progressiste. Et les gens en sont parfaitement conscients. Raison pour laquelle, dans tous les pays européens, les partis sociaux démocrates sont en chute libre et les partis ”populistes” cartonnent.

    En Suisse le parti d’Alain Berset se maintient encore un peu, mais c’est uniquement dû au conservatisme inévétéré des Suissess et des Suisses. Le PS ne s’effondre pas en Suisse uniquement pour une raison, une seule. Laquelle? Pardi! Exactement la même raison pour laquelle le droit de vote des femmes n’a été accepté qu’en 1971.

    Pour la même raison encore, la SSR a été plébiscitée par le peuple et les cantons, malgré que la majorité écrasante des électeurs est exaspérée par le ton gauchiste euroturbo des journalistes du service public. Mais quand il a fallu voter, on a eu un réflexe conservateur. On a maintenu l’existant. La réponse aurait été la même pour l’armée, les CFF, La Poste etc. Surtout maintenir le statu quo, même branlant. Donc le PS se maintient tant bien que mal en Suisse uniquement à cause du réflexe conserveur de ce pays et de sa haine du changement quel qu’il soit. Autrement le PS serait déjà à 10% ou moins.

    Pour la prévoyance vieillesse, vous proposez trois pistes et vous pensez que l’on replâtrera le système avec des combines malhonnêtes qui ne tiennent pas la route, pour ne pas affronter la réalité. Vous avez, hélas, probablemement raison.

    Mais pourquoi ne proposeriez-vous pas les mesures suivantes, en plus des replâtrage et des demi mesures que l’on prendra de toute façon ?

    – Défiscalisation totale de l’épargne. Inciter chacun à épargner pour ses vieux jours. Ne compter que sur soi même puisque l’état social ne tient pas la route.

    – Défiscalisation totale et encouragement aux associations d’entraide proposant à leurs membres des retraites et/ou des logements bon marché pour personnes âgées.

    Ce serait renoncer aux promesses de l’après guerre me direz vous. Oui, c’est vrai. Mais on y viendra. Vous verrez.

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