Faute de publicité

 

Le Matin est mort faute de publicité, selon l’explication officielle de l’entreprise. Cela signifie des emplois perdus, des qualifications anéanties, des plumes brisées, des carrières avortées. Aussi longtemps qu’un média dépend pour sa survie de la publicité, les véritables employeurs sont les annonceurs.

 

20 minutes, le seul quotidien national suisse, possède un lectorat de 2 210 000 personnes dont 1 561 000 lecteurs Outre-Sarine, 555 000 romands, et 88 000 lecteurs en Suisse italienne. Ses huit éditions offrent une grande visibilité pour les annonceurs et sa gratuité explique son succès commercial. Si les lecteurs ne paient pas, cela signifie que les annonceurs suffisent. Si l’on épargne les frais de diffusion, abonnements, messageries, kiosques, la publicité suffit à faire prospérer un média papier. Ce que les lecteurs d’un média payant déboursent couvre ces frais de diffusion, pas la fabrication du journal.

 

La formation de l’opinion par la diffusion d’informations véridiques et pertinentes dépend donc des entreprises qui placent des annonces. Certes Le Matin et d’autres supports menacés bénéficient des petites annonces, avis de décès, offres d’emplois, voire racolage par les prostituées, mais cela ne suffit pas. Les grandes entreprises font la différence par les insertions publicitaires vantant des voitures, des lessives, des médicaments, des aliments préfabriqués, de l’eau en bouteille, tout ce qui doit se faire une place sur un marché compétitif. Il ne suffit pas de produire en masse pour écraser les coûts, si on n’assure pas la commercialisation par tous les moyens.

 

Cette publicité est rarement informative. Elle doit nous séduire. En nous prenant par les sentiments, les sensations, les sens. En obnubilant la raison. Cela ne nous intéresse pas de savoir ce que cela coûte, si cela nous sera utile, si cela marche vraiment, si nous avons de la place pour caser ce gadget supplémentaire dans la cuisine dont les placards débordent déjà. La publicité doit susciter le désir et l’inscrire dans l’inconscient de l’animal que nous sommes demeurés, désireux de vivre et de survivre. Il faut suspendre le temps qui s’égrène et qui nous fait penser à la vieillesse ou à la mort. La religion de la consommation constitue l’exorcisme de notre époque. On ne nous promet plus le ciel après la mort, mais l’abondance et le bonheur durant cette vie.

 

Et donc la publicité présente des gens heureux lorsque nous sommes tristes et que nous regrettons de l’être. Elle décrit un monde simple et lisse qui nous change de celui que nous connaissons, compliqué et abrupt. Elle nous fait pénétrer dans un univers de rêve. Elle nous dit que le bonheur est à portée de main dans un magasin en libre-service. Publicité, lente effraction de l’âme, pente sur laquelle il fait bon glisser, toboggan de nos tentations. Tout d’abord, elle nous fait désirer des objets dont nous n’avons jamais eu besoin. Et ensuite, suave et compréhensive, elle nous fait prendre ces mêmes désirs pour des besoins. Avant d’avoir dit ouf ! on se retrouve avec un téléphone mobile, un ordinateur, une brosse à dent électrique, un CD de valses viennoises. De tout cela on n’avait pas besoin. Et très précisément, on l’a acheté parce que l’on n’en avait pas besoin.

 

Patrick Le Lay, PDG de TF1, a dévoilé le fin fond du mécanisme dans une interview accordée au Monde le 11juillet 2004 : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible »

 

Muni de cet avertissement, les rédacteurs en chef des médias subsistants sont prévenus. Si leur outil de survie est la mise à disposition de cerveaux disponibles, cela ne fait que prolonger l’agonie du papier comme du téléviseur. Au fil des générations, les consommateurs deviennent plus vigilants et moins naïfs.

 

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Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

6 réponses à “Faute de publicité

  1. C’est un aspect des choses, mais personnellement je vois un autre aspect, qui n’est jamais mentionné.

    Les lecteurs sont disponibles pour un contenu idéologique bien marqué. Certes la masse s’intéresse plus au football, hockey, etc. Mais dans le fond elle reste sensible à certaines valeurs: l’amour du pays (qui se traduit naturellement par l’enthousiasme pour l’équipe nationale, lors des championnats sportifs) mais aussi l’attachement à certaines valeurs traditionnelles: la famille, l’armée, etc. Il y a même encore des gens pour lesquels la religion est importante.

    Evidemment, ayant exposé ceci, beaucoup reconnaîtront que mon constat est juste mais immédiatement ils botteront en touche et diront: “seulement les medias n’ont pas le droit de tabler sur ces réflexes populaires là, car celà serait entretenir le populisme, l’esprit de clocher, le nationalisme, le conservatisme, si ce n’est la xénophobie. Ce serait tourner le dos à la raison, aux valeurs républicaines, au progrès des Lumières, au multilateralisme, aux droits de l’homme, etc… Ce serait une presse de caniveau…” Et ils se détourneraient avec une petite moue méprisante.

    On sent bien que ce mépris pour les sensibilités et préoccupations populaires est très majoritaire dans la caste médiatique. Ceci s’explique par une raison très simple, bien connue de tous les pofessionels des medias: dans tous les pays de démocratie libérale occidentaux, comme la Suisse, les medias sont discrètement tenus et contrôlés par la franc-maçonnerie. Je sais que ce propos est choquant et provoquera le réflexe de Pavlov habituel des gardiens du Temple: “complotisme!” Ce n’en est pas moins vrai et tous les journalistes le savent.

    Ce n’est pas qu’un majorité d’entre eux soient initiés, pas du tout. Le controle se fait par un petit nombre de cerbères bien placés ayant pour mission d’empêcher à tout prix que ne percent dans le monde journalistiques des éléments, précisément, “populistes”, ou qui risqueraient de le devenir. Les journalistes le savent, où le sentent confusément et c’est pourquoi, spontanément, ils s’alignent et se conforment à ces mots d’ordres.

    Seulement celà se retourne contre eux à la fin. Car cette emprise maçonnique discrète a une conséquence politique évidente, qui est le positionnement unanime de toute la presse en faveur de l’agenda voulu par la “grande maison éclairée”: abolition des frontières, libre circulation des personnes, Union Européenne, immigration, multilateralisme, primauté du droit international, société LGBT, etc., etc. Or, il y a actuellement une insurrection populaire massive contre tout cela. Elle se manifeste dans des votes de plus en plus nets pourr des partis souverainistes, mais aussi par une bouderie pleine de colère envers les medias.

    C’est là la cause de la crise de la presse. Les gens ne veulent plus de cette presse là. Ils se désabonnent, ne lisent les journaux qu’au café. Celà donne une baisse des recettes des journaux, et aussi une baisse de la publicité puisque cela n’est plus intéressant pour les annonceurs de mettre de la publicité dans des organes qui ne sont pas lus. Le résultat est un cercle vicieux qui a tué LeMatin. Bientôt il tuera les autres journaux aussi, et Le Temps, qui est à fond aligné sur ce programme idéologique antinational ne pourra plus continuer longtemps à ramer contre le courant de l’opinion publique.

    On me dira que la mort du Matin n’a rien à voir avec cela car ce journal n’avait pas d’orientation politique nette. C’est vrai, mais précisément le problème est là quand même. Le Matin, selon moi, aurait pu survivre et prospérer s’il avait fait à temps un virage dans le sens populaire que je suggère. Disons qu’avec la ligne un peu plus raisonnable de Peter Rothenbühler Le Matin aurait eu plus de chance de survivre. Ce n’était pas encore du populisme mais c’était déjà mieux que rien. Ariane Dayer a été beaucoup trop politiquement correcte. Cela a été fatal. Grégoire Nappey était bien intentionné mais il n’a pas pu redresser la barre, la chute était deja enclenchée, causée par la résistance passive des lecteurs dont l’euroscepticisme n’était pas pris en compte.

    Le Matin avait vocation à être une feuille de boulevard, donc populaire, donc violemment contre l’Union Européenne et tout de ce qui va avec, et il meurt de n’avoir pas été autorisé par ses propriétaires à jouer cette carte à fond, la seule qui aurait pu le sauver.

    En résumé, il n’y a pas que la baisse des recettes publicitaires. Ce n’est que la moitié du problème. L’autre moitié c’est la bouderie du public, profondément dégoûté par la ligne politique antisuisse et euroturbo des médias mainstream. À vrai dire ce deuxième problème plombe la presse écrite encore beaucoup plus gravement que le premier. Car si les gens trouvaient dans leurs journaux un contenu qui leur plaise, les tirages augmenteraient et par conséquent les recettes publicitaires aussi.

  2. Le “journal” 20Minutes est un diffuseur d’annonces publicitaires et commerciales, sans plus, d’où sa gratuité. Attention à cette utopie, car rien n’est gratuit ! Impossible de s’informer avec un tel canard, car pour de l’Information, il faut changer de logiciel, passer par d’autres canaux et avoir des Journalistes motivés, mais là c’est payant. Le retour au réel risque d’être radical.

  3. On pourrait extrapoler le raisonnement en disant que si la publicité paie les journaux, en fait ce sont les consommateurs qui les parrainent en achetant des produits.
    Acheter intelligemment devient un acte civique qui a un impact sur la politique des industries ou des services, incluant l’information !

  4. Le Canard enchaîné vit sans publicité, payé par ses seuls lecteurs. Il vit très bien, ses journalistes sont les mieux payés de France, il dispose d’un bas de laine de 100 millions d’euros.

    Comment fait-il? Il informe.

    Il informe, sans donner de leçon. Les informations, il les cherche, il ne régurgite pas celles trouvées ailleurs dans le monde des médias. Sans cacher son inclination vers la gauche, il informe aussi des faits déplaisants pour elle: il fait son métier, il informe. Et il gagne très bien sa vie.

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