Le possible et le souhaitable

 

Dès que l’on évoque les Droits de l’Homme, on déclenche une polémique vicieuse. Il suffit que ces Droits imprescriptibles soient violés en gros ou en détail, à un moment donné et à un endroit particulier, pour que certains en concluent qu’ils n’existent pas ou qu’ils sont irréalistes. Puisque tout n’est pas toujours et partout possible, plus rien ne devient souhaitable à leur avis. Ce débat provient de la confusion entre les deux pôles de toute politique : le possible et le souhaitable.

 

Dans la constitution fédérale, on énonce en premier lieu les droits généraux des citoyens : droit à la vie et à la liberté, au mariage et à la famille, à la liberté d’opinions et de réunions, à la santé, à l’aide sociale, à l’usage de la langue, à la pratique des religions. Est-ce à dire que tous ces droits seront toujours respectés, par la législation et dans la vie de tous les jours ? Ce serait trop beau. Ils subissent continuellement de petites violations que les tribunaux sont compétents pour rectifier et que les parlements travaillent à retoucher. Ces droits sont souhaitables et souhaités, il n’est pas toujours possible de les respecter intégralement

 

La politique est ainsi l’art de concilier le souhaitable avec le possible. On ne peut amener tous les citoyens à devenir centenaires, pour autant que cela soit souhaitable, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas leur fournir tous les soins nécessaires durant leur vie. Tous les enfants ne vont pas aboutir dans leur formation à un doctorat universitaire, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas tout faire pour amener les plus doués le plus loin possible. Il serait souhaitable que personne ne se drogue, ne fume ou ne s’enivre mais c’est impossible : néanmoins on doit légiférer pour contenir ces fléaux dans les limites de ce qui est acceptable pour les électeurs, c’est-à-dire de ce qui est politiquement possible.

 

Il en est ainsi des réfugiés qui assiègent l’Europe, puisque c’est le problème le plus irritant du moment. Il est ardemment souhaitable que tous puissent vivre dans un pays où règne la paix, l’ordre et le bien-être, parce que c’est un droit élémentaire de tout être humain quelle que soit la couleur de sa peau ou de son passeport. Néanmoins, il n’est pas possible  de fournir dans les ambassades suisses des visas à tous les requérants d’asile car la Suisse serait submergée. Telle est la terrible différence entre le souhaitable et le possible. La Suisse ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas en prendre à charge une part plus importante qu’elle ne le fait. Car ce n’est pas parce qu’elle ne peut pas tout faire, qu’elle ne doit rien faire ou moins que ce qui est possible. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Sinon personne ne ferait jamais rien.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

3 réponses à “Le possible et le souhaitable

  1. Argumentation très pertinente, le fait que l’on ne puisse à l’évidence pas tout faire (et réussir) n’est en effet pas une excuse pour ne rien vouloir faire. N’oublions pas par ailleurs que notre prospérité actuelle est récente et que certains de nos ancêtres, il n’y a pas si longtemps, ont aussi dû “chercher fortune” ailleurs, … et ont été bien heureux de ne pas être alors repoussés sans ménagement.

  2. Dommage que votre propos sur les réfugiés soient émaillées de l’assertion alarmante et erronée de “réfugiés qui assiègent l’Europe”, comme si c’était un état de fait. Le dernier rapport de l’ONU montre que 85% des réfugiés sont accueillis par les pays du Sud. En 2015, au plus fort de ce qui a été appelé la “crise migratoire”, le million de réfugiés arrivé en Europe ne représentait que 0,25% de la population d’un territoire comptant plus de 500 millions d’habitants. Gérable si les Etats s’étaient répartis équitablement les réfugiés. Aujourd’hui, ce nombre a chuté, et à quel prix!
    Les réponses politiques et les discours sécuritaires qui les accompagnent, essentiellement axées sur la sécurité et la dissuasion et non sur le bon accueil – cherchent à instiller ce besoin de se “protéger” face à une “menace” (il faut bien justifier les budgets alloués à ces mesures). Le terme “assiégé” s’inscrit malheureusement dans cette rhétorique, et casse finalement l’intention de votre chronique. Si tous les Etats européens, Suisse comprise, offraient la possibilité de déposer une demande d’asile dans une ambassade, la question, et leur gestion se poserait différemment.

    1. On peut contester le terme de siège pour ce qui se passe, mais cela ne change pas la réalité : des barbelés sur la voie de terre, 17000 noyés en Méditerranée, la fermeture des ports italiens, les accords passés avec la Turquie et la Lybie. La définition d’un siège est simple : ceux qui sont dehors voudraient être dedans.
      Le but du blog n’est pas de disserter sur la qualification de la situation de fait. Il reconnaît qu’il est souhaitable que la Suisse soit plus accueillante, qu’il est matériellement possible qu’elle le soit et qu’il est politiquement impossible de l’être parce que cela renforcerait le score électoral de l’UDC au point de risquer ce qui se passe en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, la prise de pouvoir par des partis nationalistes.

Les commentaires sont clos.