Si le monde devenait suisse

Pareille à ces vierges qui résistent au séducteur jusqu’à la dernière limite, la Suisse est entrée à l’ONU, parce qu’il était impossible de refuser plus longtemps. Cela commençait à faire sérieusement désordre. Comme seuls le Vatican et la Suisse se tenaient en dehors de cet aréopage, les citoyens finissaient par prendre l’Helvétie pour un pays transcendant, muni d’une ligne directe avec Dieu le Père, prêchant la morale à tout le monde, sorti de l’Histoire une fois pour toutes. A l’image historique de Jean-Paul II de plus en plus de Suisses achetaient des soutanes blanches pour se jeter à terre dès qu’ils avaient franchi une frontière. Cela faisait des lessives pas possibles. Puisque les catastrophes promises par les adversaires de l’ouverture ne se produisent pas, de fil en aiguille, la Suisse se muera en une nation de Ja-Sager. Qu’est-ce que cela donnera ?

Dans quelques années, notre armée, devenue professionnelle entre-temps, sera reconnue par Trump et Poutine comme la meilleure troupe à projeter dans les endroits les plus exotiques. La Suisse passe dans l’histoire comme la pacificatrice du Rwanda, de la Colombie et du Timor oriental. Sur la lancée de ces succès antérieurs comme président de l’Assemblée durant la 65e session, Joseph Deiss est élu secrétaire général des Nations Unies. Sous son patronage, le cor des Alpes est adopté comme instrument par les meilleurs orchestres de jazz de New-York qui exploitent les thèmes de l’abbé Bovet. Il faut entendre Adyu mon bi payi au Three Deuces de la 42e rue pour comprendre l’universalité de la culture fribourgeoise.

La nouvelle loi fédérale sur les étrangers est citée comme un exemple de tolérance : le jeune travailleur, qui débarque du Kirghizstan, reçoit, au moment de passer la frontière, le passeport à croix blanche sur fond rouge de façon à s’intégrer tout de suite et à faire la plonge dans un restaurant. Nous mentionnons le passeport suisse car la Suisse n’a pas eu besoin d’adhérer à l’Union européenne. L’ouverture helvétique sur le monde est devenue tellement exemplaire que c’est l’Union européenne qui a demandé son accueil dans la Confédération. On lui a accordé le statut de canton et deux sièges au Conseil des Etats. Au terme d’une période transitoire de cinquante ans, un Européen aura le droit d’accéder au Conseil fédéral.

La Suisse s’étend maintenant des Açores à la Mer Noire. Le secret bancaire est désormais rétabli dans toute l’Europe. Les meilleurs écrivains allemands et autrichiens apprennent le dialecte zurichois, qui supplante enfin la langue empesée de Luther. Swissmetro, glissant à six cent kilomètres à l’heure, met Rome, Paris et Berlin à moins d’une heure de Berne, que l’on songe sérieusement à promouvoir capitale de l’Europe, car il y pleut moins qu’à Bruxelles.

Sur les rives de nos lacs se rassemble la jeunesse du monde scientifique. On y découvre des remèdes pour le Parkinson et l’Alzheimer. Dans les mâchoires des plus augustes vieillards, les dents repoussent à partir de cellules-souches, enfin autorisées à l’emploi, suite à une révision constitutionnelle décidée à la quasi-unanimité. L’espérance de vie atteint le siècle. Comme il devient de plus en plus difficile de mourir, l’âge de l’AVS est reporté en conséquence à 75 ans.

Même les religions, trop enclines à se figer dans leurs traditions contradictoires, ont tendance à fusionner. Ainsi naît à Genève l’Eglise Abrahamique où voisinent juifs, chrétiens et musulmans. L’avantage majeur de cette conversion est la semaine de quatre jours, puisque vendredi on va à la mosquée, samedi à la synagogue et le dimanche à l’église. Lors d’une cérémonie pathétique sur la prairie du Grutli, le grand rabbin a mangé du jambon, les imams ont bu un blanc de chez nous tandis que prêtres et pasteurs se faisaient circoncire sans anesthésie.

Le tout s’est terminé par l’apparition simultanée au sommet du Cervin de Nicolas de Flue, Jean-Jacques Rousseau et Henri Dunant. Un grand festin à base de rösti, de papet vaudois et de raclette valaisanne a réuni tous les peuples de la planète. Et la Terre, devenue suisse, s’est arrêtée de tourner. CE fut la fin de l’Histoire.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

3 réponses à “Si le monde devenait suisse

  1. Hop Schwitz ! Merci pour cette polit-fiction, sans parti pris, mais avec humour.

  2. La seule chose qui me plaît dans ce programme, c’est le rétablissement du secret bancaire dans toute l’Europe.

  3. Bonne idée :))))
    le problème suisse serait plutôt qu’elle se “vaudoisise”cette Suisse, et sans Blocher, flûte.
    Les copains d’abord, l’éthique et la loi, on verra bien.

    Le Léman, c’est un peu la Méditérannée (saurait jamais l’écrire et peu importe) des anglais de 1900, d’ailleurs ils deviennent anglais, les ruskovs. Au moins ceux qui pillent leur pays, comme les argentins, avec l’aval des banques (bon le Vénézuela est déjà pratiquement chinois, pourquoi pas).

    N’importe, je les aime bien, les russes, un grand peuple.
    Les chinois aussi, tout comme les coréens du nord sont de grands peuples.
    Je n’en mettrais pas ma main au feu de nos “civilisations occidentales”, si démocrates (à piller le moyen-orient pour un pétrole démocrate)!

    Même la SSR est sous influence, alors, …vive la redevance occidentale

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