La pénurie de médecins n’est pas une fatalité

La situation de pénurie générale de médecins est une réalité qui n’est d’ailleurs pas limitée aux seuls généralistes, comme on essaye de le faire croire pour reporter la faute sur les praticiens eux-mêmes, trop tentés de se consacrer à des spécialités moins prenantes que la médecine de proximité et aussi plus rémunératrices. En fait généralistes et spécialistes sont manquants, car la cause véritable de cette situation absurde n’est jamais mentionnée. Ce n’est pas une fatalité, mais un choix politique, car plus de 3000 candidats se pressent pour entrer dans les facultés de médecine qui pratiquent de droit ou de fait un numerus clausus, tel que le nombre de diplômés se situe entre 700 et 800 alors qu’il en faudrait au minimum 1200 pour assurer la relève.

Ce choix politique vise à contenir la croissance des frais d’assurance maladie, sujet hautement sensible pour les électeurs. L’administration fédérale s’est persuadée que moins il y a de médecins, moins ils exercent, mieux se portent les finances. Selon cette doctrine, c’est l’offre qui crée la demande car les Suisses sont des malades imaginaires. L’argent dépensé en soins de santé est considéré comme perdu, jeté dans un vaste trou sans fond, sans aucun bénéfice palpable.

Les résultats de ce choix politique ne sont pas ceux qu’on espérait : faute de diplômés suisses, le pays est envahi de praticiens diplômés à l’étranger, soit un quart des praticiens. On arrive au résultat paradoxal qu’une profession fermée aux jeunes Suisses est de ce fait largement ouverte aux étrangers. Faute du droit de s’établir en pratique privée par suite du moratoire sur l’ouverture des cabinets, les jeunes médecins demeurent dans les hôpitaux où ils se spécialisent forcément. Faute de cabinet privé, les malades se rendent dans les urgences hospitalières alors qu’une intervention en milieu hospitalier coûte plus cher qu’en cabinet privé. Les régions périphériques souffrent d’une pénurie généralisée de médecins, pas seulement de généralistes.

En réalité le système suisse de santé fonctionne bien et ne coûte pas trop cher: l’espérance de vie est à 82 ans et le coût à 11% du produit national. Aux Etats-Unis il en coûte 16 % du revenu national pour en espérance de vie à 78 ans. Le renchérissement des soins de santé provient inéluctablement des progrès de la médecine et du vieillissement de la population, qui en résulte. Certes, il restera toujours des malades imaginaires et des praticiens abusifs mais c’est inévitable dans n’importe quel système sauf à instaurer un véritable rationnement, privant de soins des patients qui en ont besoin.

Injecter 100 millions de plus dans les facultés comme le propose la Confédération est largement insuffisant. Il faut accepter de consacrer à la santé le budget nécessaire, non seulement pour rétribuer les soins mais aussi pour assurer la formation. Et supprimer le numerus clausus qui fut l’erreur initiale.

Jacques Neirynck

Professeur honoraire EPFL

Ancien conseiller national PDC

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

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