Le prix réel de la publicité est trop élevé

Parmi les raisons invoquées pour arrêter la publication de l’Hebdo, on mentionne la diminution des recettes publicitaires. Cela soulève une question intéressante. Une presse libre peut-elle ou doit-elle dépendre de son attirance pour les annonceurs ?

Une économie d’abondance munie d’un aiguillon publicitaire ne constitue pas un choix aussi anodin qu’il y parait à première vue. L’argent ne surgit pas d’une source mystérieuse et infinie. Ce que le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur ne paie pas directement par un abonnement ou par une redevance à la Billag, il le paie sous forme d’une taxe occulte à la consommation, collectée à bien plaire par les annonceurs les plus puissants. Mais il doit savoir qu’il le paie de toute façon ! Bien évidemment une firme ne prélève pas les frais de sa publicité télévisuelle sur ses bénéfices. Elle augmente ceux-ci avec l’accroissement de ses ventes, qui dépendent précisément de la publicité. Si une publicité ne rapporte pas plus qu’elle ne coûte, elle s’éteint d’elle-même. Il est donc évident que toute publicité continue influence le comportement des consommateurs de façon massive. Le consommateur de média qui tâche de s’informer est conditionné, sans s’en rendre compte, pour effectuer des achats dont aucun n’est indispensable. Car si un produit est de première nécessité, il n’est pas nécessaire de lui faire de la publicité.

Et donc la publicité sous toutes ses formes n’apporte que peu ou pas d’informations objectives, permettant d’orienter rationnellement le choix du consommateur. Amarrée au sein d’un organe d’information, elle a pour but et pour résultat de désinformer. Elle suscite un état d’esprit gaspilleur. Elle déplace un pouvoir d’achat qui aurait pu et dû être affecté à des besoins plus essentiels. A titre d’exemple, certaines années, l’assurance maladie a fait scandale en coûtant 5% de plus alors que le marché des gadgets électroniques croissait de 50% dans une approbation béate. Certes cela créait des emplois, mais c’étaient précisément ceux qui manquaient dans les hôpitaux, la formation, les transports ou la sécurité.

« Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » Tel est l’aveu cynique de Patrick Le Lay, PDG de TF1 de 1998 à 2008 : la télévision comme outil d’anesthésie du sens critique. Si un émetteur de télévision ou un journal « gratuit » ne vit que de publicité, celle-ci mérite dès lors toute la sollicitude de la production, au point que le contenu soit conçu pour la servir, pour accroître la diffusion, pour recruter spécialement des téléspectateurs ou des lecteurs sensibles à la publicité, c’est-à-dire incapable de la décoder faute de formation, d’information, de culture.

L’Hebdo était « bon pour la tête » et donc mauvais pour la publicité. Il y a en Suisse et dans le vaste monde des médias vivant uniquement de publicité. Ils sont donc forcément mauvais pour la tête. Un critère pour les déceler est simple : publient-ils l’horoscope ? Si oui, cela signifie qu’ils ont eux-mêmes choisi de désinformer leurs lecteurs et qu’ils sont prêt à les livrer aux annonceurs.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.