Les trois avatars du solstice

Les mythes s’effilochent à force d’être usés et abusés. Au début, il y avait les Saturnales célébrées par les Romains durant une semaine culminant le 25 décembre par la fête du Sol Invictus, le soleil invaincu renaissant au solstice. (La date erronée provient d’une erreur de mesure à l’observatoire d’Alexandrie.) Les esclaves retrouvaient une certaine liberté, on échangeait de menus cadeaux, on mettait une plante verte dans le logis. C’était plutôt sympathique en souvenir du royaume mythique de Saturne, père de Jupiter, qui le détrôna. Ce père destitué se réfugia dans la campagne et organisa une sorte de république écologiste. D’où l’inspiration d’une fête bienveillante aux défavorisés.

Le christianisme, allergique aux dieux païens, instaura le 25 décembre la fête de Noël, célébrant la naissance de Jésus de Nazareth dans le dénuement le plus total, adoré par les bergers, les plus humbles des habitants. Ce récit de la Nativité se trouve uniquement dans l’évangile de Luc et constitue, selon les meilleurs exégètes, une fable édifiante sans rapport avec des faits historiques. Luc a inventé un genre littéraire qui a foisonné : on ne peut que lui en savoir gré. Les cadeaux, qui ont survécus à la mutation des légendes, sont suffisamment petits pour être glissés dans les souliers mis devant la cheminée. C’est la fête des enfants.

Troisième avatar : le père Noël. Plus de mythologie, plus de tradition religieuse, rien que du marketing. Ce dieu laïc a l’aspect d’un robuste vieillard dont on devine qu’il adore les cigares et le whisky et (qui sait) les petites pépées. C’est le dieu de la consommation forcenée, présidant une époque de folie des achats. C’est le dieu du productivisme : en achetant du superflu on maintient les emplois, on fait tourner l’économie.

L’aspect le plus pervers de cette célébration, sous forme de rite dégradé, est le concept de luxe : plus un objet est unique, plus il est valorisé et valorisant. On arrive à rebours du Noël chrétien, fête du partage avec les plus pauvres. On aboutit à une liturgie de l’appropriation. On doit payer le plus cher possible pour qu’un cadeau soit appréciable et apprécié. La valeur de l’objet ou de la prestation valorise le consommateur. Comme s’il n’avait pas grande estime de lui-même, il croit rehausser celle-ci en se saignant aux quatre veines. Si l’on n’en est pas convaincu, il suffit de feuilleter les suppléments sur papier glacé des médias qui abondent à cette époque.

En soi, l’idée de célébrer le solstice d'hiver n’est pas une mauvaise idée. Elle nous rappelle que nous sommes vraiment dépendants du Soleil pour notre survie. Elle pourrait devenir l’occasion de revenir à cette seule source (provisoirement) inépuisable d’énergie. Elle devrait nous inciter à ne plus gaspiller charbon, pétrole et gaz qui sont de l’énergie solaire emmagasinée sur des millions d’année. Cela pourrait devenir une fête de la sobriété, de la simplicité, du partage avec les plus démunis : une orgie de dons aux institutions caritatives et aux ONG tiers-mondistes. On retournerait aux origines d’un mythe, qui est maintenant rabaissé au rang de gadget publicitaire : saint Coca-Cola.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.