Débâcle des sondages

Les instituts de sondage traversent une crise grave : leurs prévisions sont continuellement démenties par la réalité. Dans le cas du duel Trump-Clinton, on pouvait encore comprendre qu’un coude à coude serré débouche sur un résultat inattendu, parce que celui-ci demeure dans la marge d’erreur annoncée. Mais dans le cas de la primaire de la droite français, les ordres de grandeur ne sont même pas respectés : le troisième candidat se retrouve premier avec une avance considérable sur ceux qui le précédaient dans les sondages. Ces derniers ne signifient alors plus rien et ne mériterait pas qu’on s’y investisse. Or les sondeurs se vantent de la nature scientifique de leurs prédictions. Admettons qu’ils aient respecté les règles de bonne pratique. Ils se sont alors trompés parce qu’ils pratiquent un métier impossible. Peut-on vraiment prédire le résultat d’une élection ou d’une votation ? Avec une marge d’erreur qui est fiable ? Telle est la question.

Dès qu’on utilise le terme scientifique, on se persuade que toute science est capable de prédire le résultat d’une certaine expérience. Or c’est se leurrer. Le chapitre le plus réussi de la physique est la mécanique céleste. C’est une réussite prodigieuse, puisque l'on peut calculer la position occupée par les astres dans le futur ou dans le passé avec une grande précision et pour de longues durées ; il suffit de connaître la position et la vitesse des astres à un moment donné pour prédire l’avenir et remonter dans le passé. Mais cette réussite ponctuelle constitue une exception parmi tous les phénomènes de la réalité.

Il suffit pour s'en convaincre de songer aux prévisions météorologiques, qui deviennent imprécises au bout de quelques jours, contrairement aux éphémérides des astres. Souvent on se moque des météorologues en laissant entendre que la médiocrité de leurs prévisions reflèterait en quelque sorte leur incompétence. En fait, les astronomes ne sont pas plus compétents que les météorologues, mais ils ont mieux choisi le sujet de leur étude. Les équations, qui gouvernent d’une part le déplacement d'une planète et d’autre part celui d'une dépression atmosphérique, sont aussi bien connues les unes que les autres, mais les premières permettent des calculs précis sur de longues durées et les secondes pas. La météo est un phénomène chaotique, impossible à prévoir par nature, même s’il est totalement déterministe.

Or, les phénomènes économiques ou sociaux sont aux antipodes de la physique. Bien évidemment la sociologie est incapable de prévoir les révolutions et parvient, tout juste, à en donner a posteriori plusieurs explications contradictoires entre elles. De même le sondage effectué avant une élection ne peut prédire le résultat de celle-ci, parce que les électeurs, au courant du sondage, peuvent modifier leur vote en fonction de celui-ci. Ils ne sont pas des automates dont on peut prévoir le comportement. La sociologie ne traite pas de phénomènes prévisibles ou déterministes.

De même l'économie serait bien incapable de prévoir réellement les mouvements de la Bourse parce que, si elle le faisait, les positions prises dès l'ouverture de celle-ci par les opérateurs renseignés annuleraient la prévision. L'économie s'occupe de grandeurs que l’on peut mesurer avec précision mais dont on ne peut prédire le comportement. Il existe bien entendu des modèles économétriques, mais ils n'ont pas une durée et une validité très amples. On peut même se demander si cela a un sens de chercher des modèles en économie, si ce n’est pas une croyance scientiste, de type idéologique.

En un mot l'homme n'est pas modélisable parce qu'il est (apparemment) libre de ses décisions et que celles-ci seraient bien évidemment influencées par la connaissance de ce très hypothétique modèle de l’homme, qui serait invalidé au moment même où il serait connu. Au fond la seule chose de certaine que l'on peut dire des sondages, c'est qu'ils sont incertains.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.