Un altimètre de précision

Les temps sont durs et souvent, le monde ne fait pas plaisir. Toutefois, il est des moments qui me réjouissent toujours ; c’est quand j’apprends à mieux comprendre la nature ou quand on m’explique comment mieux faire pour la comprendre. Ici, je vais vous parler de progrès récents dans la mesure du temps.

En 1905, Einstein présenta la théorie de la relativité. Elle fut dite “restreinte”, car elle n’intégrait que le temps et l’espace. Dix ans plus tard, il y incorpora l’effet des masses. Ainsi la relativité devint « générale ». Elle montre que l’écoulement du temps est en éternelle dispute avec la force de la gravité ; plus vous avez de l’un, moins vous avez de l’autre. Dans le pire des cas, il arrive que la gravité soit si forte que le temps cesse de s’écouler. Aurélien Barrau est un fan de ce genre de situation. Heureusement, ici, nous en sommes loin.

Il n’empêche que, sur Terre, les horloges sont – un peu – ralenties par la force de gravité. L’hypothèse fut testée en 1976 en comparant le rythme d’une horloge sur terre avec celui d’une horloge semblable dans une fusée à 10’000 km d’altitude. Celle d’en bas retardait par rapport à celle d’en haut par ce qui correspondait à une seconde tous les 73 ans. Einstein avait vu juste, les horloges le confirmaient. Qui faut-il admirer le plus, Einstein ou les horlogers qui mesurent cette minuscule différence? Son contrôle nous vaut, entre autres, la précision de nos GPS.

Depuis, les horlogers ont fait des progrès. Deux articles récents, et leur synthèse dans la revue Nature, rapportent la mesure du ralentissement du temps dans une horloge qui n’est pas à 10’000 km au-dessous de l’autre, mais à 1mm. Dans ces conditions l’horloge basse va environ 10-19 fois plus lentement que celle d’en haut. Depuis le big-bang, début de notre univers, elle aurait perdu 1 seconde.  Einstein l’avait prédit, nos horlogers l’observent avec une précision de 7,6 x 10-21.

Le principe de la mesure est assez simple. Les atomes ont la remarquable propriété d’être attirés vers les régions où le champ électromagnétique est le plus fort. Pour des ondes lumineuses, il s’agit des régions où la lumière est la plus intense. La force n’est pas très grande. Pour qu’ils ne s’échappent pas, il faut que les atomes soient très tranquilles, c’est-à-dire, très froid : dix millionième de degré au-dessus du zéro absolu. Deux faisceaux laser verticaux sont ajustés de manière à produire des bandes d’interférences espacées, par exemple, de 1/10 de mm. Des atomes de strontium sont stabilisés dans ces bandes. C’est la différence de la vibration propre de ces atomes d’une bande à l’autre qui est mesurée.

J’admire l’ingénuité des expérimentateurs. Je suis aussi effaré que la vibration intrinsèque des atomes puisse être révélée indépendamment de toute autre cause, si ce n’est la nature du temps dans l’espace courbé de la relativité générale.

 

Khabarova, K. Atomic clouds stabilized to measure dilation of time. Nature 602, 391-392 (2022).
https://doi.org/10.1038/d41586-022-00379-x

Bothwell, T., Kennedy, C.J., Aeppli, A. et al. Resolving the gravitational redshift across a millimetre-scale atomic sample. Nature 602, 420–424 (2022). https://doi.org/10.1038/s41586-021-04349-7

Zheng, X., Dolde, J., Lochab, V. et al. Differential clock comparisons with a multiplexed optical lattice clock. Nature 602, 425–430 (2022). https://doi.org/10.1038/s41586-021-04344-y

Jacques Dubochet

Jacques Dubochet, professeur honoraire à l'UNIL. Il a développé, dans les années 80, les fondements de la cryo-microscopie électronique qui lui ont valu un prix Nobel de chimie en 2017. Citoyen actif, il est préoccupé par l’impact de la science sur la société. Il croit que c'est la jeunesse qui surmontera la crise du climat et de la vie.

8 réponses à “Un altimètre de précision

  1. Les anciens grecs avaient 3 divinités qui représentaient le temps.
    La première est chronos – le temps linéaire et physique (chronométrique). Ce temps là nous l’avons maîtrisé à un niveau jamais égalé et nous avons percé nombre de ses mystères.
    Le deuxième est aïon, le temps cyclique. Celui-là nous l’avons un peu oublié. Sommes-nous condamnés à répéter l’histoire en n’arrivant pas à intégrer ses leçons?
    Le 3ème est Kairos le temps métaphysique. C’est le moment hors du temps, qu’il faut pouvoir saisir au vol. Ce n’est pas sans rappeler le concept de synchronicité de Jung… A force de voir l’homme et l’univers comme une machine, ce temps là est devenu insaisissable à notre compréhension.

  2. J’aime quand vous parlez de votre passion pour la science.

    Si seulement vous pouviez garder pour vous vos opinions politiques. 🥰

    1. Dois-je comprendre que, selon vous, la catastrophe du climat et de la biodiversité est une opinion ?
      Merci de clarifier.

      1. Votre soutien inconditionnel à la ZAD est une opinion politique.

        Et les ZAD n’ont rien à voir avec la réalité du déréglement climatique !!

  3. La recherche sur le temps ouvre aussi à la dimension théo-philosophique, depuis toujours l’objet de la spéculation humaine. Temps messianique et eschatologique, par exemple, qui sont trop souvent confondus. Le T. messianique, ce n’est ni la prophétie qui concerne le futur, ni le temps apocalyptique qui dévoile la fin du temps, le dernier jour. Ce n’est donc pas le temps de l’eschaton, avec son message de colère, de pardon et d’espérance. Le temps messianique, c’est le temps de la fin, l’instant présent du temps qui se contracte et qui commence à finir, celui où le croyant fait sien le temps du kairos ou sa communion dans le Royaume, dans la présence divine ici et maintenant, ou c’est encore le temps qui reste entre le temps de la fin et la fin du temps. On distingue dans la Bible le temps (A) de la durée du monde (considérée comme linéaire, ou plus exactement matérielle, morale, qualitative, alors que chronos, temps linéaire occidental est plutôt quantitatif : c’est chronos) depuis sa création jusqu’à sa fin, et (B) le temps du monde qui vient, soit le temps éternel ou atemporel qui sera la suite du temps (c’est éon, le temps qui vient). Le temps messianique (C) n’est ni chronos, ni éon, ni eschaton : il est un reste, le temps qui reste entre le chronos et l’eschaton. comme l’analyse Giorgio Agamben dans Le Temps qui reste (à lire),

    1. Je vous propose aussi quelques autres bonnes lectures sur le temps, celle de Stephen Hawking : “Une brève histoire du temps” et “Commencement du temps et fin de la physique”, celle de Carlo Rovelli : “L’Ordre du temps” et “Et si le temps n’existait pas ?” avec le sous-tire : “Un peu de science subversive”, celle d’Etienne Klein : “Les Tactiques de Chronos”, “Le Facteur temps ne sonne jamais deux fois” et “Y a-t-il eu un instant zéro ?”, et, finalement, celle d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers : “Entre le temps et l’éternité”.
      Elles nous permettront de donner l’occasion de remettre nos pendules à l’heure, si j’ose dire (cela sans un trop évident jeu de mots !).

      1. Un bel échange que ce blog sur le temps. A dimension culturelle. La culture n’est-elle pas, le rire mis à part, le propre de l’homme ? je veux dire la culture civilisatrice, bien sûr. celle qui développe et se développe dans le respect de la ressource humaine, technologique (y compris économique et financière) et naturelle ? N’est-ce pas là notre espoir et notre responsabilité ?

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