Protection des salaires : le partenariat social plutôt que les contraintes étatiques

Chère Jessica,

J’espère que tu te portes à merveille en cette fin d’été d’une année si particulière.

Les circonstances extraordinaires liées au COVID-19 ont eu raison des votations populaires initialement prévues le 17 mai 2020, si bien que le menu des prochaines votations, qui auront lieu le 27 septembre 2020, s’avère copieux, du moins dans le canton de Genève, où nous avons cinq objets cantonaux soumis à votation en plus des cinq objets fédéraux.

Hasard du calendrier, comme le 18 mai 2014, les Genevois seront appelés à se prononcer, le même jour, sur la modernisation des forces aériennes de l’Armée suisse et sur l’instauration d’un salaire minimum.

Toutefois, ce deuxième objet est de rang cantonal.

En effet, en 2014, le vote portait sur une initiative populaire fédérale, dont l’objectif était de fixer un salaire minimum légal pour l’ensemble de la Suisse, d’un montant de 22 francs par heure, soit d’environ 4’000 francs par mois.

Cette initiative avait été rejetée par la totalité des cantons ; à Genève, par 66 % de NON contre 34 % de OUI.

Malgré la netteté de ce scrutin, la gauche et les syndicats de travailleurs reviennent à la charge avec une initiative populaire cantonale, l’IN 173 “23 frs, c’est un minimum”, laquelle prévoit cette fois-ci l’instauration d’un salaire minimum légal cantonal d’un montant de 23 francs par heure, ce qui représente près de 4’200 francs par mois.

Je suis résolument opposé à cette initiative, parce que j’ai la conviction qu’elle n’apportera rien à personne, ni aux salariés, ni aux employeurs, ni aux demandeurs d’emploi, ni aux partenaires sociaux, ni encore à l’Etat.

Pour tout te dire, je n’y vois même pas une fausse bonne idée. Au contraire, c’est l’illustration parfaite de la vraie mauvaise idée. Bref, un splendide autogoal en pleine lucarne !

En Suisse, nous avons la chance de connaître un droit du travail libéral, mais avec des cautèles. On nous l’envie dans bien d’autres pays européens. Tu te souviens peut-être comme moi de ce fameux débat télévisé de septembre 2013, au cours duquel François Bayrou avait brandi notre loi fédérale sur le travail face au code du travail français, non sans mettre en évidence le taux de chômage suisse et de le comparer avec celui de la France.

Dans notre pays, les salaires sont négociés. D’abord, entre le travailleur et l’employeur, puisque le salaire est un élément essentiel d’un contrat (de travail). Ensuite, entre les partenaires sociaux, dans le cadre de conventions collectives de travail (CCT), par branches économiques. Enfin, des contrats-types de travail (CTT), avec ou sans salaire minimum impératif, sont édictés par l’Etat, pour certains secteurs spécifiques.

Il ressort de plusieurs CCT en vigueur à Genève que les salaires horaires convenus entre partenaires sociaux sont souvent déjà supérieurs à 23 francs. Si l’IN 173 devait être adoptée, il y a de fortes chances que de nombreuses CCT soient dénoncées, certains employeurs préférant se contenter de verser le salaire minimum légal cantonal. Est-ce là vraiment une façon de protéger les salariés ?

Malheureusement, et l’exemple de la France nous le démontre, le salaire minimum légal a une fâcheuse tendance à devenir un salaire de référence, ce qui tire le niveau général des salaires vers le bas.

Dans d’autres secteurs économiques, où les salaires horaires sont inférieurs à 23 francs, il faudra s’attendre, ce d’autant plus en période de crise économique, à des licenciements et à des restructurations.

En d’autres termes, le salaire minimum légal a pour conséquence un appauvrissement progressif des salariés et une augmentation du chômage. À cet égard, la France constitue à mes yeux non pas un modèle, mais un contre-exemple.

Je t’avoue d’ailleurs ne pas comprendre cette volonté de la gauche et des syndicats de travailleurs suisses à vouloir nous ressortir sans arrêt des recettes qui ont démontré leur inefficacité ailleurs dans le monde.

En revanche, je crois dans la capacité des syndicats de travailleurs et des associations patronales à trouver des solutions pragmatiques, raisonnables, concertées et adaptées aux besoins de chaque branche économique, sans que l’Etat n’ait à intervenir au moyen de contraintes inefficaces et donc inutiles.

Je te propose d’assister au débat public organisé sur ce sujet par Zofingue Genève le mercredi 23 septembre 2020 à 18:30 heures à Uni-Mail, en salle MS150. Il opposera Ivan Slatkine, Président de la FER Genève, et ton serviteur, d’une part, à Davide de Filippo, Président de la CGAS et Romain de Sainte-Marie, député socialiste au Grand Conseil genevois, d’autre part. Le débat sera animé par Myret Zaki.

Sinon, on en reparle très volontiers autour d’un café ou d’un bon verre de Chasselas (genevois, bien entendu) !

Je t’embrasse,

Murat

Murat Julian Alder

Murat Julian Alder est né en 1981 à Bâle, a grandi aux quatre coins du monde et vit à Genève depuis 1999. Avocat au Barreau de Genève, il est député libéral-radical au Grand Conseil genevois depuis 2013. Il a été vice-président du PLR genevois entre 2011 et 2015.

Une réponse à “Protection des salaires : le partenariat social plutôt que les contraintes étatiques

  1. Quand il a été dessiné et pratiqué à ses débuts, notre système libéral était conçu dans un environnement protecteur des citoyens et des résidents étrangers. Ce système n’est pas compatible avec la libre circulation des personnes de l’UE. A présent nous vivons dans un système cannibale, sans possibilité pour la Confédération de modérer le massacre des salaires ni celui des places des salariés chez eux. NON à la “liberté” quand un étranger, qui ne connaît rien à la Suisse ni d’Ève ni d’Adam, se présente juste pour prendre la place d’une autre personne naît ici, et victime d’une concurrence déloyale. Oui pour un salaire minimal et oui à la limitation de l’immigration sauvage.

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