Construire ensemble la transition énergétique

Chère Jessica,

Je te remercie de ton billet du 1er octobre 2019 à l’occasion de la journée internationale du café !

Avant même que je ne prenne la plume pour te répondre, l’ancien député radical genevois Pierre Kunz, avec qui j’ai eu le plaisir de siéger sur les bancs de l’Assemblée constituante genevoise entre 2008 et 2012, a répondu à ton article sur son blog.

C’est la première fois qu’une tierce personne réagit à nos échanges par son propre blog, et je m’en réjouis. Nous en aurons probablement d’autres, ce qui ne peut qu’enrichir nos débats !

C’est à juste titre que tu relèves que les bâtiments génèrent environ un quart des émissions de gaz à effet de serre. J’ajouterai même qu’ils consomment environ 40 % de l’énergie.

C’est pourquoi la Confédération et les cantons ont mis en place le Programme Bâtiments dont l’objectif est de réduire significativement la consommation d’énergie et les émissions de CO2 du parc immobilier suisse par un soutien financier aux rénovations énergétiques.

Le rapport annuel 2018 de ce programme révèle qu’en Suisse, encore un million de maisons sont peu, voire pas du tout isolées et que deux tiers des bâtiments sont encore chauffés au moyen d’énergies fossiles ou directement par l’alimentation électrique.

Comme toi, je pense qu’il est donc nécessaire d’agir, en priorité sur les bâtiments les plus anciens.

En revanche, je ne pense pas que ces travaux d’assainissement se feront sur le dos des locataires. En effet, lorsque ces travaux se font et sont financés avec intelligence et pragmatisme, les rénovations énergétiques profitent à tous, tant aux propriétaires qu’aux locataires.

Aux locataires tout d’abord, parce que les assainissements font baisser leurs charges sur le moyen terme et que le passage à des énergies renouvelables peut aller jusqu’à réduire à néant les émissions de CO2 lors de l’exploitation. Savais-tu par exemple qu’une meilleure isolation permet de réduire les besoins en chaleur de plus de la moitié, et donc, la facture de chauffage d’autant ?

Les rénovations énergétiques profitent également aux propriétaires, parce que la diminution des charges permet d’augmenter la rentabilité du bien immobilier. À moyen terme, les hausses de loyer marginales sont donc compensées par les gains en énergie et les réductions des charges.

Tu pars du principe que “ce sont (…) les locataires qui vont financer les rénovations énergétiques des bâtiments par l’augmentation de leurs loyers”. Les choses ne semblent pas aussi évidentes à la lecture de l’article “De la conciliation des intérêts entre propriétaires et locataires en matière de transition énergétique à de nouvelles mesures de politiques publiques”, paru dans l’ouvrage collectif “Volteface, La transition énergétique : un projet de société” (pages 183 et suivantes).

Cet article met en lumière le fait que les propriétaires sont souvent découragés de procéder à des travaux de rénovation énergétiques de leurs bâtiments en raison du mécanisme d’adaptation des loyers aux taux hypothécaires.

Là où tu as raison, c’est qu’en cas de rénovation énergétique, les coûts des travaux peuvent être répercutés sur le loyer. C’est le droit fédéral qui le prévoit ainsi (articles 14, alinéa 2 de l’OBLF et 269a, lettre b du Code des obligations).

Toutefois, lors du calcul du loyer après la répercussion, celui-ci doit être ajusté en prenant en compte l’ensemble des éléments qui le composent, ce qui inclut les taux hypothécaires courants. Or, comme tu le sais, les taux hypothécaires ont beaucoup baissé ces dernières années et le taux de référence se situe actuellement à 1,5 %, ce qui entraîne un réajustement des loyers à la baisse. Cela peut donc avoir pour effet de décourager un propriétaire de rénover son bâtiment.

Pour remédier à cette situation, les auteurs de cet article proposent l’adoption d’un contrat-cadre, négocié entre les associations faîtières de propriétaires et de locataires, qui comporterait une clause prévoyant que le coût des travaux de rénovation énergétique puisse être répercuté sur le loyer sans tenir compte du taux hypothécaire, selon une clé de répartition équitable et inférieure au taux de 100 % actuellement permis. Comme quoi, une certaine justice sociale peut être préservée et les gains tirés de la rénovation énergétique peuvent être équitablement répartis.

En d’autres termes, chère Jessica, il existe d’autres solutions que de rigidifier encore plus le droit des constructions et du logement. Au contraire, une plus grande rigidité n’aura guère d’autre effet que de décourager encore plus les propriétaires de bâtiments d’investir dans la rénovation énergétique, et là, tout le monde serait perdant : les locataires, les propriétaires et le climat.

À Genève, nous avons encore d’autres sortes de problèmes.

La Commission des monuments, de la nature et des sites, dont les préavis sont pratiquement toujours suivis par le département cantonal en charge des constructions, a parfois tendance à refuser la pose de panneaux solaires sur les toits des maisons des particuliers.

Autant je peux comprendre que cette Commission puisse s’opposer à ce que l’on pose des panneaux solaires sur des bâtiments ayant une valeur culturelle ou patrimoniale, autant je ne peux que déplorer l’intransigeance occasionnelle de cette autorité s’agissant de biens immobiliers appartenant à des privés.

Fort heureusement, certains propriétaires n’hésitent pas à contester des décisions négatives de ce département devant la justice, avec succès.

En conclusion, plutôt que de rigidifier encore plus le droit des constructions et du logement, je privilégie des solutions incitatives et pragmatiques, telles que les encouragements fiscaux, la réduction de la bureaucratie et la simplification des procédures, ou encore les mécanismes comme ceux proposés par Volteface. C’est ainsi que nous avancerons ensemble dans la transition énergétique.

On en reparle autour d’un café ?

Bien à toi,

Murat

Murat Julian Alder

Murat Julian Alder est né en 1981 à Bâle, a grandi aux quatre coins du monde et vit à Genève depuis 1999. Avocat au Barreau de Genève, il est député libéral-radical au Grand Conseil genevois depuis 2013. Il a été vice-président du PLR genevois entre 2011 et 2015.

3 réponses à “Construire ensemble la transition énergétique

  1. Belles théories que tout cela. Quand on regarde le plafond ahurissant des loyers aujourd’hui en regard des taux hypothécaires historiquement bas, quand on voit effectivement le parc immobilier vieillissant pour lesquels tant de propriétaires n’ont pas de fond de rénovation, donc pas de financement, ces rénovations sont tout simplement impossibles, car le propriétaire ne peut pas les financer, et s’il y arrive ces coûts seront forcément répercutés sur les loyers, qui sont déjà à la limite de l’impayable, et absolument pas en lien avec le coût / confort du bâtiment. Conclusion : il y a lieu d’obliger tout propriétaire à verser sur un fond de rénovation un montant annuel de X % défiscalisé, destiné à l’entretien du bâtiment.

  2. Bonjour
    Il conviendrait également de prendre en compte les réalités de la LDTR qui conduit au blocage des loyers en cas de travaux de rénovations et cette situation décourage le propriétaire.
    Le subventionnement des travaux ne représente qu’une fraction bien mince du coût des investissements
    Nous voilà donc au carrefour strategique.
    L’investissement consenti par le propriétaire fait baisser les charges du locataire
    Le rendement de l’immeuble ne peut pas s’améliorer
    Le solde des investissements que le propriétaire doit consentir ne pourra pas être mis à charge car la loi l’empêche nonobstant le code des obligations
    Alors peut on raisonnablement admettre que les propriétaires investissent à fonds perdus ?
    Il y a la matière à agir par les politiques car les conflits des lois sont trop nombreux sans parler de la commission des sites qui comme vous le rappelez vis dans une autre planète

  3. Bien apprécié votre « mise au point » avec les arguments du droit et autres lois existantes. N’étant pas juriste, je ne peux qu’apprécier ces informations. N’empêche que votre consœur, avocate et politicienne candidate aux élections fédérales comme vous, n’a pas tort d’insister sur un plus grand respect du social et donc de la cohésion de la population (des électeurs).
    Vous mentionnez le blog du genevois M. Kunz (PR devenu PLR) lequel rappel pour l’essentiel le droit existant pour commenter votre collègue vaudoise, sans plus.
    Retraité issu des sciences naturelles, j’observe avec acuité les nombreux dégâts de notre économie sur notre biosphère. Ses composantes chimiques, physiques et biologiques ont été modifiées et les influences sur le climat terrestre sont évidentes; avec ses potentielles répercussions sociales et économiques.
    Le PLR n’a finalement pris conscience de ce changement que tout récemment (effet de sa présidente de femme ?), car jusque-là, le PLR a probablement été freiné par ses partisans les plus libéraux, mais ignorants. Même le milieu bancaire genevois et suisse se mobilise avec ses outils. Les conférences en cours à Genève sont surprenantes et heureuses. On ne saura jamais la part des récentes directives européennes en la matière et ses incitations comme celles de la rue à ce revirement bienvenu.
    J’espère qu’avec votre consœur socialiste, qui comme vous à des chances d’être élue (renouvellement oblige), et comme vous saura composer avec la vision verte qui désormais va certainement dicter les décisions tant fédérales que cantonales. A l’économie de s’adapter et d’inclure plus de bienveillance humaine que de finance comptable dans ses analyses qui vont dorénavant conduire son comportement. Je reste optimiste car Homo sapiens (l’homme qui sait) n’est pas idiot.

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