Remettre la justice sociale au centre de la lutte contre le changement climatique

Cher Murat,

Grand honneur pour moi de t’écrire en cette Journée internationale du café! Faut dire que nous en avons bu beaucoup, au Gran’ Caffé d’abord – Patrick, si tu nous lis, des bises chaleureuses -, puis dans les quatre coins de ce pays au fur et à mesure des rencontres.

Je te remercie chaleureusement pour ton billet du 19 septembre 2019. J’ai toujours un grand plaisir à te lire et je dois dire que j’apprends beaucoup de nos échanges constructifs et bienveillants. Cela enrichit incontestablement mes réflexions et j’espère qu’il en est de même pour nos lecteurs.

Recherche et innovation

Mais revenons à nos moutons: une politique de recherche et d’innovation ambitieuse pour la Suisse.

Je partage avec toi la conviction que nous devons, pour notre pays, soutenir la recherche scientifique et les programmes internationaux idoines, à l’instar d’Horizon 2020.

Je pense également que nous pouvons être fiers de nos hautes écoles et la recherche de pointe qui y est menée, notamment sur les questions énergétiques.

Manifestations pour le climat

Cela ne t’aura pas échappé, nous étions une foule immense de 100’000 personnes à Berne le samedi 28 septembre à manifester pour la mise en oeuvre d’une politique climatique courageuse et responsable. A ce propos, y étais-tu? J’aurais eu plaisir à te croiser devant le Parlement fédéral pour échanger avec toi sur les toutes récentes préoccupations de ton parti sur cette thématique.

Bâtiments et émissions de gaz à effet de serre

Comme tu le sais sûrement déjà, les bâtiments en Suisse sont à l’origine de 26% des émissions de gaz à effet de serre. Autant dire que leur assainissement énergétique doit être une priorité absolue si notre pays veut atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris et la neutralité carbone en 2050.

Ce n’est certainement pas pour rien que le Conseil des Etats, la semaine dernière, a validé le principe d’une valeur-limite d’émission de CO2 pour les bâtiments existants.

Il a de plus donné son accord à l’instauration d’une taxe sur les billets d’avion et le mazout dont une part des revenus alimenteront le programme d’assainissement énergétique des bâtiments.

Les locataires passeront-ils à la caisse?

Les bâtiments qui doivent prioritairement être assainis sont les immeubles anciens, énergivores et, pour beaucoup, encore équipés de chauffage à mazout. Ils ont en outre la particularité, pour la plupart, d’offrir des logements à des loyers particulièrement bon marché. A cet égard, je suis assez sûre que la situation entre nos deux cantons est assez similaire: pénurie de logements et loyers globalement très très chers!

Or, lors de telles rénovations, entre 50% et 70% des coûts, sous déduction des subventions, sont directement reportés sur les loyers. Tout ceci est rendu possible en application du droit fédéral.

Ce sont donc les locataires qui vont financer les rénovations énergétiques des bâtiments par l’augmentation de leurs loyers.

Dans certains cas que j’ai pu défendre en tant qu’avocate, quand les locataires bénéficient de loyers particulièrement bas, leur loyer passe du simple au double. Ce n’est de loin pas marginal et c’est tout simplement insupportable financièrement pour la majorité d’entre eux, surtout pour les personnes retraitées. J’ai même eu entendu une fois un avocat adverse me dire que cela n’était pas grave, mon client n’ayant qu’à demander aux prestations complémentaires AVS/AI de couvrir la part de loyer augmentée! J’avoue avoir été assez choquée de penser que l’Etat pourrait être amené à subventionner les travaux, puis à payer indirectement le solde de ces travaux via les prestations complémentaires, tout en permettant au propriétaire de s’enrichir en encaissant des loyers plus élevés.

Les augmentations de loyers pour des travaux de rénovation subventionnés doivent donc être jugulées. C’est ce que propose notamment l’initiative de l’Asloca « pour des logements abordables » sur laquelle nous voterons vraisemblablement en février 2020.

Les locataires seront-ils mis à la porte?

Il faut en outre s’assurer que les locataires ne soient pas tout bonnement mis à la porte parce que le propriétaire veut réaliser de lourdes rénovations énergétiques. Là aussi, j’ai eu l’occasion en tant qu’avocate d’être témoin de nombreuses situations kafkaïennes! Les locataires doivent partir – et déménager dans des logements beaucoup plus chers – ou accepter des aménagements (p. ex. rocades d’appartements) moyennant de très grosses augmentations de loyers.

C’est dans ce sens que je viens de déposer un postulat au Grand conseil vaudois afin que le bailleur s’engage, lorsqu’il bénéficie de subventions de l’Etat pour rénover son bâtiment, à ne pas résilier les baux de ses locataires.

Evitons la fracture sociale

J’ai la conviction que si nous voulons obtenir l’adhésion de toutes et tous les citoyen.ne.s dans les grandes réformes qui nous attendent, sans créer de fracture sociale, nous devons remettre l’équité et la justice sociale au centre de la lutte contre le changement climatique. Il est en effet notoirement admis que le dérèglement climatique et certaines mesures incitatives, comme les taxes, vont toucher de façon disproportionnée les populations les moins favorisées.

Tu l’auras compris, je pense que nous ne pouvons pas envisager une transition écologique sans mettre l’accent sur la politique du logement et les droits des locataires. Faute de quoi, nous ne ferons que creuser un peu plus les inégalités croissantes entre les classes populaires et les plus favorisées.

Nous devons impérativement nous soucier de la fin du monde. Mais nous ne devons pas oublier ceux pour qui la fin du mois est toujours un soucis.

Je suis sûre que je trouverai chez toi une écoute attentive à ces enjeux.

On en reparle autour d’un café?

Amitiés,

Jessica

Jessica Jaccoud

Jessica Jaccoud est née en 1983 à Crissier, a grandi à Nyon et vit à Rolle. Avocate au Barreau vaudois, elle est députée au Grand Conseil vaudois depuis 2014 et Présidente du Parti socialiste vaudois depuis 2018.

3 réponses à “Remettre la justice sociale au centre de la lutte contre le changement climatique

  1. Je commence par la “fin du monde” , parce que certains pensent que le climat pourrait dégénérer en provoquant une chaleur insupportable pour tous les êtres vivants. Qu’ils se rassurent, depuis 4.5 milliards d’années , en dépit de taux de CO2 comptés en milliers de ppm et non en centaines comme aujourd’hui, la Terre n’a jamais connu d’épisodes l’ayant conduit à un environnement comparable à celui de Vénus . Le climat a toujours oscillé entre un extrême chaud sans glace (+10°C) et un extrême froid glaciaire (-8°C) sans causer la fin des espèces. Le dernier épisode chaud remonte – 55 millions d’années en pleine expansion des mammifères toujours présents , ainsi que la faune marine et les coraux vivant dans un climat tropical intégral de l’équateur aux pôles .
    Ce que nous vivons n’est rien d’autre qu’un pic climatique comparable à ceux observés ces derniers 10’000 ans (Holocène) à travers les données recueillies dans les glaces ou autres méthodes avec un taux de CO2 constant. Nous ne pouvons même pas mesurer avec exactitude l’effet de serre additionnel amené par la combustion des fossiles , seulement estimé à 2 watts/m2 par rapport aux 155 watts/m2 de l’effet de serre global ou aux 395 watts/m2 de l’énergie émise par la Terre.
    Bien sur, une augmentation de la température fait fondre les glaciers qui entraine l’augmentation du niveau de la mer et peut mettre en danger les villes construites (à tort) trop près du bord des océans.
    Cela doit nous faire prendre conscience qu’à l’avenir , les constructions doivent tenir compte d’une marge de sécurité contre les phénomènes marins . Durant la période interglaciaire précédente (Eémien , -125’000 ans) , le niveau des mers était 6-7 mètres plus haut . On ne devrait plus construire des bâtiments à moins de 10-20 mètres au-dessus des flots ( J’ai vu des villages de pêcheurs en Asie bâtis sur des pilotis laissant 5-10 mètres de vide pour laisser passer les vagues).
    Le risque pour les villes ( comme Venise) d’être submergées n’est pas négligeable et sans doute inévitable à très long terme et il faut s’y résigner . Il ne faut pas croire que nous pouvons gagner contre la nature.
    Dans tous les cas de figure, l’énergie d’origine fossile est condamnée et doit être convertie à des sources renouvelables qui ne manquent pas . C’est seulement le changement qui fait peur à beaucoup et c’est le devoir de l’Etat d’accompagner cette mutation et non de pénaliser les plus faibles avec des taxes complètement inefficaces !
    Comme le risque d’emballement climatique est nul, il faut prendre le temps de convertir notre économie avec méthode et dans la sérénité et non dans la précipitation et l’anxiété en multipliant les annonces alarmistes totalement infondées !

  2. Bien que d’esprit libéral, je me reconnais pleinement dans votre souci de l’équité sociale, source d’une cohésion bénéfique a la société, pas toujours évidente au PLR, le parti de votre correspondant. Je constate aussi que le PLR fait des progrès.
    La problématique du climat et de l’environnement (gaspillages, pollutions) va, je l’espère, réorienter notre économie victime de sa croyance à « la main invisible du marché et au ruissellement », et complètement handicapée par son obsession puérile du résultat a court-terme et du dividende aux actionnaires avec, entre autres, les graves conséquences sociales évidentes que nous observons et que vous observez. L’objectif climat de maximum +1,5 degrés, recommandé par le GIEC, va a être difficile à atteindre si l’economie mondiale fait l’autruche et continue « as usual ».
    Le parlement issu des urnes du 20 octobre prochain va devoir légiférer pour tenter de corriger ces nombreuses dérives nuisibles à la planète et a sa population.
    Gardons aussi à l’esprit, que la Suisse appartient à l’Europe et qu’il vaut mieux pleinement y participer, sans forcément y adhérer.
    En discuter autour d’un café peut y contribuer.

  3. Je pense que celles et ceux qui veulent faire carrière politique devraient commencer par regarder d’en bas vers le haut et pas directement en haut, pour viser l’au delà. La Suisse romande est frappée par un séisme d’une énorme envergure et d’une importance existentielle. Vous avez devinez? non ? le chômage Maître, le chômage. Le SECO ment, l’OFS qui donne de bonnes indications sur le chômage, qui avoisine les 5%, ne peut pas courir derrière ceux parmi nos patriotes qui quittent le pays faute de ne pas trouver un emploi et ceux qui passent à la retraite anticipée, pour les compter dans ses statistiques.

    S’occuper de la Nature et des émissions CO2 c’est bien, mais les candidats à des postes représentatifs du peuple doivent montrer leurs programmes, si programmes ils ont, pour lutter contre la précarité qui frappe notre Région. Dites-nous si la libre circulation à gogo est pas viable ou pas?, dites-nous si le CF devrait aller négocier la protection des zones sinistrés par le chômage ou pas?, avant les le vote en 2020 sur l’initiative UDC. Bonne chance pour les élections fédérales. Avec mes sincères salutations,

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