Intervenir avant qu’il ne soit trop tard

Chère Jessica,

J’espère que tu te portes bien.

Je repense au café que nous avions partagé il y a deux ans sur une terrasse ensoleillée de Lausanne pour définir le cadre de ce qui est devenu notre blog.

Ce jour-là, nous étions tous les deux à des années-lumière d’imaginer les circonstances sanitaires, économiques et sociales que nous connaissons depuis le printemps 2020.

Je dois t’avouer que j’ai vraiment hâte de retrouver cette vie qui, à bien des égards, confinait à l’insouciance, tant nous prenions pour acquis les bonheurs de dîner au restaurant, de boire un verre au bar, de danser en boîte de nuit, de voyager à l’étranger, d’assister à un match de football au stade ou encore de fouler la plaine de l’Asse en musique, et tout ceci, sans avoir à cacher nos visages derrière un masque chirurgical.

Et c’est en repensant à ce café du début de l’été 2019 que j’ai eu l’idée de te parler de ce qui est imprévisible.

L’entrée de l’humanité dans le XXIème siècle a été marquée par les attentats terroristes qui ont frappé New York et la Pennsylvanie le 11 septembre 2001, et qui ont causé près de 3’000 morts et plus de 6’000 blessés.

Nous avons tous en souvenir le lieu où nous nous trouvions lorsque nous découvrions avec effroi les images télévisées de la cruauté illimitée avec laquelle une poignée de combattants terroristes déterminés étaient capables de commettre l’impensable contre des civils innocents.

Et malheureusement, ces attentats n’ont été que le prélude à d’autres attaques terroristes qui ont depuis lors frappé aux quatre coins du monde, y compris dans nos pays voisins, en emportant les vies de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

Contrairement à un avis hélas largement répandu, la Suisse n’est pas à l’abri de la menace terroriste.

Chaque semestre, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) publie un rapport de suivi (« monitoring ») du terrorisme dans notre pays. Le dernier rapport, qui date de novembre 2020, fait état de 690 cas traités par le SRC. Nous devrions prochainement recevoir un rapport mis à jour.

Le 13 juin 2021, nous voterons sur la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT).

Ces mesures ont pour but de combler une lacune juridique en fournissant à nos organes de police des outils supplémentaires en matière de prévention, en permettant à nos forces de l’ordre d’intervenir en amont, c’est-à-dire avant la commission d’actes terroristes.

La nouvelle loi définit le terroriste potentiel comme une personne dont on présume, sur la base d’indices concrets et actuels, qu’elle mènera des activités terroristes.

Les principales mesures prévues sont les suivantes :
• l’obligation de participer à des entretiens spéciaux, afin de déterminer la mesure dans laquelle une personne peut représenter une menace ;
• l’obligation de se présenter régulièrement auprès d’une autorité, par exemple afin de s’assurer qu’une interdiction de quitter le territoire soit respectée ;
• l’interdiction d’entretenir des contacts avec des tiers dont il est établi qu’ils sont proches de milieux terroristes ou qu’ils soutiennent de tels milieux ;
• l’interdiction de quitter le territoire faite aux personnes susceptibles de mener des activités terroristes à l’étranger ;
• l’interdiction de se rendre en certains lieux ou de sortir d’un certain périmètre ;
• l’assignation à résidence, si des mesures moins restrictives prononcées précédemment n’ont pas été respectées ;
• la mise en détention en vue de l’expulsion de terroristes potentiels de nationalité étrangère.

Les MPT sont largement inspirées des législations d’autres Etats européens. De plus, certaines de ces mesures existent déjà depuis plusieurs années en Suisse dans le cadre de la lutte contre le hooliganisme.

La nouvelle loi, portée par la Conseillère fédérale PLR Karin Keller-Sutter, en charge du Département fédéral de justice et police, encadre de manière adéquate l’application des mesures prévues, en empêchant la violation des principes constitutionnels de la proportionnalité et de l’interdiction de l’arbitraire.

En effet, ces mesures sont ordonnées de cas en cas et limitées dans le temps. Elles ne peuvent être prononcées qu’en présence d’indices concrets et actuels. De nouvelles mesures ne peuvent être prises que si des mesures moins restrictives se sont avérées inefficaces ou insuffisantes. Elles sont donc subsidiaires.

En outre, l’assignation à résidence est soumise à l’approbation du tribunal cantonal des mesures de contrainte et chaque mesure peut être contestée auprès du Tribunal administratif fédéral.

Il ne s’agit donc pas d’une législation dystopique qui érigerait tout un chacun en potentiel suspect. Il n’est pas non plus question de reprendre le scénario du film Minority Report.

Il s’agit simplement de permettre à notre pays de mieux se protéger, en intervenant avant qu’il ne soit trop tard.

C’est pourquoi je voterai en faveur de cette nouvelle loi le 13 juin prochain.

Et toi ? Qu’en penses-tu ? On en reparle autour d’un café ?

Un Etat stabilisateur et protecteur: le retour en grâce des politiques keynésiennes

Cher Murat,

Tu as sûrement vécu, comme moi, la semaine écoulée suspendu aux flux des informations. Les élections américaines ont occupé une part importante de mes journées et mes nuits! Les électrices et électeurs de ce pays nous ont offert une spectaculaire leçon de démocratie en se mobilisant de manière forte pour élire leur nouveau Président et leur nouvelle Vice-Présidente. La victoire de Joe Biden et Kamala Harris est une nouvelle encourageante pour la stabilité des institutions. J’espère qu’il saura rassembler au-delà de son camps et à l’intérieur de celui-ci.

Toi et moi avons également vécu la semaine passée une série d’annonces de nos autorités cantonales respectives en lien avec la pandémie de la Covid-19. Dimanche dernier pour le Conseil d’Etat genevois, mardi et jeudi pour notre gouvernement vaudois, et mercredi pour la Confédération. Les décisions sanitaires et économiques se sont succédées. Celles-ci ont un impact majeur sur la vie de milliers de personnes: commerces, bars, restaurants, boîte de nuit, culture, voyagistes, sport: les secteurs économiques touchés sont nombreux, et les plans de relances fédéraux et cantonaux étaient très attendus.

Cynisme fédéral

Il est pour moi essentiel ici de parler de plans de relance et non de sauvetage. J’attends de nos autorités d’inscrire leurs actions dans la durée, et pas dans la dynamique du one shot et du darwinisme économique affiché par notre ministre fédéral des finances, l’UDC Ueli Maurer.

En parlant de lui, je t’avoue avoir été très choquée de ses interventions lors de la Conférence de presse du Conseil fédéral de mercredi. A cette occasion, il a affirmé, en pleine crise, que la Confédération devait conserver de la discipline dans les dépenses publiques. A cet égard, il a annoncé une contribution fédérale 200 millions de francs pour les cas de rigueur. 200 millions de francs pour toute la Suisse, alors que, à titre d’exemple, le canton de Vaud a investit 500 millions durant la première vague dans des mesures de soutien. Guy Parmelin, autre ministre UDC fédéral, à la tête de l’économie, a lui indiqué qu’il fallait s’attendre à une vague de faillites, que toutes les entreprises ne pourraient pas être sauvées. Autant de cynisme, au profit de la thèse de la sélection naturelle et de la rigueur budgétaire pour justifier la retenue dont la Berne fédérale entend faire preuve est véritablement indigne de notre gouvernement. D’autant plus que ces affirmations ont lieu quelques jours après que la Banque nationale suisse ait annoncé avoir réalisé un bénéfice de 15 milliards de francs pour les neuf premiers mois de l’année.

Quand on repense à ces fameux 200 millions de francs pour les cas de rigueur, je ne peux m’empêcher de les mettre en parallèle des 54 milliards de francs injectés en 2008 pour sauver UBS. Douze ans après l’expression too big to fail, on découvre la nouvelle donne fédérale: trop modeste pour compter.

Je pourrais à ce stade reprendre de manière critique point par point le projet d’Ordonnance sur les cas de rigueur COVID-19: aucun soutien spécifique pour les bas revenus, plafonnement de l’aide fédérale à 200 millions, plafonnement des contributions à fonds perdus à 10% du chiffre d’affaire 2019, baisse minimale du chiffre d’affaires 2020 de 40% par rapport aux exercices 2018 et 2019, absence de solution sur les loyers commerciaux, bref, les incohérences et les lacunes du projet fédéral sont nombreuses, trop nombreuses pour que la socialiste que je suis puisse applaudir. 

Un Etat protecteur dans le canton de Vaud

Sur la base de cette Ordonnance et selon la clé de répartition prévue par Berne, le canton de Vaud touchera 17,5 millions de francs. Heureusement pour les Vaudoises et Vaudois, le Conseil d’Etat a jugé ce montant insuffisant et a débloqué 50 millions de francs pour ses cas de rigueur, soit près de 3 fois le montant fédéral. De plus, le Gouvernement vaudois à majorité de gauche a décidé de soutenir les travailleuses et travailleurs touchés par les RHT en leur accordant un complément mensuel équivalent à 10% de leur salaire. C’est une véritable mesure de soutien au pouvoir d’achat pour les plus touchés et pour les plus bas salaires. L’effort annoncé par le Canton de Vaud doit être salué. Il est courageux et ambitieux. Cependant, il est essentiel de préciser que les cantons pourraient aller plus loin encore si la Berne fédérale prenait ses responsabilité et envoyait des signaux vers un engagement financier plus costaud.

Derrière les mesures annoncées par le Conseil d’Etat vaudois, et sa posture keynésienne relevée par plusieurs médias, se cache une vraie question idéologique: quel est le rôle de l’Etat dans la crise, et doit-il soutenir une relance par l’offre, ou plutôt par la demande?

Une relance par la demande

A contrario de ce qu’évoque Messieurs Maurer et Parmelin qui sont en train de céder le pas aux politiques de consolidation budgétaire, je pense que c’est le moment d’augmenter la dette publique en relançant la demande avec une politique active, notamment en soutenant les salaires des travailleuses et travailleurs, y compris les indépendants, en soutenant des politique d’égalité ambitieuses par la mise en oeuvre d’un congé parental, et en assurant un revenu universel par une assurance générale de revenus. Il nous faut aussi des projets d’investissements à l’échelle fédérale, dans les infrastructures et dans la transition écologique. Si ce n’est pas l’État qui s’endette, ce sont les particuliers qui vont le faire avec le risque de retomber, s’ils ne parviennent pas à rembourser leurs dettes, dans une crise similaire à celle des subprimes. Ce n’est par ailleurs pas le moment, pour les cantons ou la Confédération, de vouloir lutter contre l’endettement, d’autant plus qu’ils peuvent gagner de l’argent en empruntant sur les marchés avec des taux négatifs fixes sur plusieurs dizaines d’années!

Dans la même dynamique, je suis d’avis que le soutien aux entreprises via des prêts cautionnés est une mauvaise idée. Pourquoi? Parce que les entreprises sont en mesure de s’endetter que si elles peuvent s’attendre à une demande en hausse. Or, au vu du chômage et des difficultés financières de bien des ménages, il est impensable que la demande suive, à terme, afin de remettre ces entreprises à flot. Il apparait, de plus, évident que si la Confédération n’investit pas massivement maintenant dans la relance, les coûts à long terme seront plus élevés, tant les charges liées à la compensation des revenus s’inscriront durablement.

C’est pour toutes ces raisons qu’il faut, à tout le moins, maintenir, voire augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Si la consommation subit une forte chute – ce qui sera probablement le cas à l’issue de cette deuxième vague – c’est le soutien à la demande qui devrait être le moteur de la relance.

Politiques anticycliques

On avait vu avec J.M. Keynes et le New Deal que cela avait fonctionné dans les années 1930. On peut imaginer une demande publique de l’État. La Suisse a une marge de manoeuvre importante, tant elle a passé ces 15 dernières années à éponger sa dette. De plus, au lieu de mettre une partie de ses bénéfices dans ses réserves, la Banque nationale pourrait injecter plusieurs millards dans l’économie réelle, par exemple par le biais d’un dividende citoyen. Par ailleurs, on peut imaginer qu’une politique de relance par la demande, créera, par l’effet multiplicateur des dépenses publiques sur l’économie, un apport de liquidité supplémentaire de la part des ménages.

Tu l’auras compris Murat, selon moi, la « main invisible » des classiques doit laisser la place à un Etat régulateur. Soutenir la demande, c’est en plus aussi une manière de renforcer la cohésion sociale. Nous devons également intégrer dans nos réflexions des mesures qui permettent une répartition équitable des richesses – de nombreuses personnes se sont enrichies pendant cette crise – mais aussi le besoin de transition écologique vers une meilleure protection du climat et de l’environnement.

La rôle de l’État doit être stabilisateur. Pour se faire, il doit agir à l’inverse des forces du cycle économique. C’est ainsi qu’il mène des politiques anticycliques et qu’il devient également un Etat protecteur en ne laissant personne au bord du chemin.

J’espère que nous aurons prochainement l’occasion de nous revoir pour en discuter autour d’un café. Dans l’intervalle, je te souhaite d’être préservé dans ta santé, ainsi que tes proches, et surtout le plein de courage pour l’élection complémentaire à venir.

Avec tout mon amitié,

Jessica

Protection des salaires : le partenariat social plutôt que les contraintes étatiques

Chère Jessica,

J’espère que tu te portes à merveille en cette fin d’été d’une année si particulière.

Les circonstances extraordinaires liées au COVID-19 ont eu raison des votations populaires initialement prévues le 17 mai 2020, si bien que le menu des prochaines votations, qui auront lieu le 27 septembre 2020, s’avère copieux, du moins dans le canton de Genève, où nous avons cinq objets cantonaux soumis à votation en plus des cinq objets fédéraux.

Hasard du calendrier, comme le 18 mai 2014, les Genevois seront appelés à se prononcer, le même jour, sur la modernisation des forces aériennes de l’Armée suisse et sur l’instauration d’un salaire minimum.

Toutefois, ce deuxième objet est de rang cantonal.

En effet, en 2014, le vote portait sur une initiative populaire fédérale, dont l’objectif était de fixer un salaire minimum légal pour l’ensemble de la Suisse, d’un montant de 22 francs par heure, soit d’environ 4’000 francs par mois.

Cette initiative avait été rejetée par la totalité des cantons ; à Genève, par 66 % de NON contre 34 % de OUI.

Malgré la netteté de ce scrutin, la gauche et les syndicats de travailleurs reviennent à la charge avec une initiative populaire cantonale, l’IN 173 “23 frs, c’est un minimum”, laquelle prévoit cette fois-ci l’instauration d’un salaire minimum légal cantonal d’un montant de 23 francs par heure, ce qui représente près de 4’200 francs par mois.

Je suis résolument opposé à cette initiative, parce que j’ai la conviction qu’elle n’apportera rien à personne, ni aux salariés, ni aux employeurs, ni aux demandeurs d’emploi, ni aux partenaires sociaux, ni encore à l’Etat.

Pour tout te dire, je n’y vois même pas une fausse bonne idée. Au contraire, c’est l’illustration parfaite de la vraie mauvaise idée. Bref, un splendide autogoal en pleine lucarne !

En Suisse, nous avons la chance de connaître un droit du travail libéral, mais avec des cautèles. On nous l’envie dans bien d’autres pays européens. Tu te souviens peut-être comme moi de ce fameux débat télévisé de septembre 2013, au cours duquel François Bayrou avait brandi notre loi fédérale sur le travail face au code du travail français, non sans mettre en évidence le taux de chômage suisse et de le comparer avec celui de la France.

Dans notre pays, les salaires sont négociés. D’abord, entre le travailleur et l’employeur, puisque le salaire est un élément essentiel d’un contrat (de travail). Ensuite, entre les partenaires sociaux, dans le cadre de conventions collectives de travail (CCT), par branches économiques. Enfin, des contrats-types de travail (CTT), avec ou sans salaire minimum impératif, sont édictés par l’Etat, pour certains secteurs spécifiques.

Il ressort de plusieurs CCT en vigueur à Genève que les salaires horaires convenus entre partenaires sociaux sont souvent déjà supérieurs à 23 francs. Si l’IN 173 devait être adoptée, il y a de fortes chances que de nombreuses CCT soient dénoncées, certains employeurs préférant se contenter de verser le salaire minimum légal cantonal. Est-ce là vraiment une façon de protéger les salariés ?

Malheureusement, et l’exemple de la France nous le démontre, le salaire minimum légal a une fâcheuse tendance à devenir un salaire de référence, ce qui tire le niveau général des salaires vers le bas.

Dans d’autres secteurs économiques, où les salaires horaires sont inférieurs à 23 francs, il faudra s’attendre, ce d’autant plus en période de crise économique, à des licenciements et à des restructurations.

En d’autres termes, le salaire minimum légal a pour conséquence un appauvrissement progressif des salariés et une augmentation du chômage. À cet égard, la France constitue à mes yeux non pas un modèle, mais un contre-exemple.

Je t’avoue d’ailleurs ne pas comprendre cette volonté de la gauche et des syndicats de travailleurs suisses à vouloir nous ressortir sans arrêt des recettes qui ont démontré leur inefficacité ailleurs dans le monde.

En revanche, je crois dans la capacité des syndicats de travailleurs et des associations patronales à trouver des solutions pragmatiques, raisonnables, concertées et adaptées aux besoins de chaque branche économique, sans que l’Etat n’ait à intervenir au moyen de contraintes inefficaces et donc inutiles.

Je te propose d’assister au débat public organisé sur ce sujet par Zofingue Genève le mercredi 23 septembre 2020 à 18:30 heures à Uni-Mail, en salle MS150. Il opposera Ivan Slatkine, Président de la FER Genève, et ton serviteur, d’une part, à Davide de Filippo, Président de la CGAS et Romain de Sainte-Marie, député socialiste au Grand Conseil genevois, d’autre part. Le débat sera animé par Myret Zaki.

Sinon, on en reparle très volontiers autour d’un café ou d’un bon verre de Chasselas (genevois, bien entendu) !

Je t’embrasse,

Murat

Appel au Conseil fédéral – suspension des délais

Madame la Présidente de la Confédération,
Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux,

Nous pratiquons tous les deux la profession d’avocat et avons l’honneur de siéger au Grand Conseil du canton de Vaud, respectivement du canton de Genève, pour deux partis politiques différents.

Nous ne pouvons que saluer les décisions qui ont été présentées à notre pays et à sa population le 16 mars 2020 et nous réjouissons de l’union sacrée que les partis politiques ont conclue en cette période particulièrement difficile pour tout un chacun.

Nous nous permettons toutefois d’en appeler à une mesure supplémentaire, spécifique à la Justice : la suspension de l’ensemble des délais de procédure, sur le modèle des féries judiciaires qui existent déjà en matière civile et administrative.

En effet, suite au nouvelles mesures adoptées le 16 mars 2020, comme la situation est désormais qualifiée d’ «extraordinaire» au sens de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies), les justiciables ne sont plus en mesure d’assurer pleinement la défense de leurs droits.

De nombreux domaines du droit, tels que le droit du bail, le droit du travail, le droit de la santé, le droit des assurances, le droit des constructions et de l’aménagement du territoire, regorgent de délais que les justiciables, particuliers ou entreprises, doivent impérativement respecter, faute de quoi l’ensemble de leurs droits seront perdus.

Plusieurs Études d’avocat et d’avocates sont contraintes de fermer leurs portes. Les greffes des tribunaux tournent au ralenti et se concentrent, à raison, sur les affaires urgentes et essentielles. De nombreuses personnes, qualifiées à risque, ne peuvent plus quitter leur domicile.

En conséquence, seule une suspension de l’ensemble des délais légaux et judiciaires, jusqu’à nouvel ordre, peut permettre aux justiciables de préserver leurs droits en pareilles circonstances.

Nous vous prions de croire, Madame la Présidente de la Confédération, Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux, à l’assurance de notre parfaite considération.

Jessica JACCOUD, avocate au barreau vaudois, députée socialiste au Grand Conseil vaudois

Murat Julian ALDER, avocat au barreau genevois, député libéral-radical au Grand Conseil genevois

La Suisse peut devenir le nœud ferroviaire nocturne de l’Europe

Chère Jessica,

Dans le prolongement de mon précédent billet, je souhaiterais évoquer avec toi une autre mesure en matière de politique du climat et de l’environnement, cette fois-ci plus particulièrement dans le domaine des transports.

Sur notre continent, avec le développement des compagnies aériennes à bas coûts, les habitudes des voyageurs ont changé. Réserver un vol aller-retour pour un séjour dans une autre ville européenne est devenu un jeu d’enfant.

Autrefois, pour voyager en Europe, on prenait plus souvent le train, notamment de nuit lorsqu’il fallait effectuer de grandes distances. Jusqu’en 2009, il existait une liaison ferroviaire nocturne entre Genève et Rome. Depuis 2012, il n’y a plus aucun train de nuit au départ de la Suisse romande.

Ce n’est pas par nostalgie que je déplore cette situation, mais bien parce que devant les défis climatiques auxquels nous sommes confrontés, nous devons offrir des alternatives dignes de ce nom aux voyageurs. Parmi les alternatives à l’avion, il y a le redéploiement du train de nuit.

Quel dommage que les compagnies nationales de chemins de fer européennes aient si vite baissé les bras face à la concurrence des entreprises de transport aérien durant les années 2000 et 2010 !

Il y en a néanmoins une qui sort du lot et qui a bien compris que le train de nuit était un marché à développer : les chemins de fer fédéraux autrichiens (ÖBB), qui ont récemment décidé de renforcer leur collaboration avec nos CFF.

Développer les trains de nuit constitue clairement une solution pragmatique et intelligente pour agir en faveur du climat. Les jeunes comme les moins jeunes la demandent. La journaliste Céline Zünd a d’ailleurs décrit dans divers articles l’expérience du voyage en train de nuit pour montrer à quel point cela valait la peine de privilégier ce mode de transport par rapport à l’avion. On sait aussi que le «flygskam» a pour effet d’augmenter de manière importante la demande en transports ferroviaires au détriment de l’avion.

Certains m’accuseront de commettre de « l’écoblanchiment » (tu connais ma passion pour les anglicismes), mais j’ai la conscience tranquille. Depuis 2007, je suis membre du mouvement transpartisan Écologie libérale qui rassemble des membres et des élus de tous les partis politiques de la droite et du centre en Suisse romande dans le but de réconcilier l’économie et l’écologie.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises durant la campagne pour les élections fédérales qui s’achèvera ce dimanche, personne n’a le monopole de l’écologie et il y a un juste milieu entre la décroissance et le climato-négationnisme.

De par sa position géographique au centre de l’Europe, du moins de l’Europe occidentale, et grâce à un réseau ferroviaire déjà bien développé, la Suisse peut devenir une cheville ouvrière de la renaissance du train de nuit en Europe.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que plusieurs parlementaires fédéraux issus de différents partis se sont joints à des élus d’autres pays européens pour lancer le projet « Objectif train de nuit » qui vise à promouvoir le train de nuit, avec la particularité de combiner les wagons de transport de personnes avec les wagons de fret.

Je soutiens ce projet. Et je le fais d’autant plus volontiers que je suis persuadé que la Suisse a les moyens de devenir le nœud ferroviaire nocturne de l’Europe.

On en reparlera volontiers autour d’un café à l’occasion, mais plus probablement ce soir à 19:00 heures dans l’émission « Genève à Chaud » de Pascal Décaillet sur Léman Bleu où nous sommes conviés tous les deux pour parler de notre blog.

Amicalement,

Murat

Construire ensemble la transition énergétique

Chère Jessica,

Je te remercie de ton billet du 1er octobre 2019 à l’occasion de la journée internationale du café !

Avant même que je ne prenne la plume pour te répondre, l’ancien député radical genevois Pierre Kunz, avec qui j’ai eu le plaisir de siéger sur les bancs de l’Assemblée constituante genevoise entre 2008 et 2012, a répondu à ton article sur son blog.

C’est la première fois qu’une tierce personne réagit à nos échanges par son propre blog, et je m’en réjouis. Nous en aurons probablement d’autres, ce qui ne peut qu’enrichir nos débats !

C’est à juste titre que tu relèves que les bâtiments génèrent environ un quart des émissions de gaz à effet de serre. J’ajouterai même qu’ils consomment environ 40 % de l’énergie.

C’est pourquoi la Confédération et les cantons ont mis en place le Programme Bâtiments dont l’objectif est de réduire significativement la consommation d’énergie et les émissions de CO2 du parc immobilier suisse par un soutien financier aux rénovations énergétiques.

Le rapport annuel 2018 de ce programme révèle qu’en Suisse, encore un million de maisons sont peu, voire pas du tout isolées et que deux tiers des bâtiments sont encore chauffés au moyen d’énergies fossiles ou directement par l’alimentation électrique.

Comme toi, je pense qu’il est donc nécessaire d’agir, en priorité sur les bâtiments les plus anciens.

En revanche, je ne pense pas que ces travaux d’assainissement se feront sur le dos des locataires. En effet, lorsque ces travaux se font et sont financés avec intelligence et pragmatisme, les rénovations énergétiques profitent à tous, tant aux propriétaires qu’aux locataires.

Aux locataires tout d’abord, parce que les assainissements font baisser leurs charges sur le moyen terme et que le passage à des énergies renouvelables peut aller jusqu’à réduire à néant les émissions de CO2 lors de l’exploitation. Savais-tu par exemple qu’une meilleure isolation permet de réduire les besoins en chaleur de plus de la moitié, et donc, la facture de chauffage d’autant ?

Les rénovations énergétiques profitent également aux propriétaires, parce que la diminution des charges permet d’augmenter la rentabilité du bien immobilier. À moyen terme, les hausses de loyer marginales sont donc compensées par les gains en énergie et les réductions des charges.

Tu pars du principe que “ce sont (…) les locataires qui vont financer les rénovations énergétiques des bâtiments par l’augmentation de leurs loyers”. Les choses ne semblent pas aussi évidentes à la lecture de l’article “De la conciliation des intérêts entre propriétaires et locataires en matière de transition énergétique à de nouvelles mesures de politiques publiques”, paru dans l’ouvrage collectif “Volteface, La transition énergétique : un projet de société” (pages 183 et suivantes).

Cet article met en lumière le fait que les propriétaires sont souvent découragés de procéder à des travaux de rénovation énergétiques de leurs bâtiments en raison du mécanisme d’adaptation des loyers aux taux hypothécaires.

Là où tu as raison, c’est qu’en cas de rénovation énergétique, les coûts des travaux peuvent être répercutés sur le loyer. C’est le droit fédéral qui le prévoit ainsi (articles 14, alinéa 2 de l’OBLF et 269a, lettre b du Code des obligations).

Toutefois, lors du calcul du loyer après la répercussion, celui-ci doit être ajusté en prenant en compte l’ensemble des éléments qui le composent, ce qui inclut les taux hypothécaires courants. Or, comme tu le sais, les taux hypothécaires ont beaucoup baissé ces dernières années et le taux de référence se situe actuellement à 1,5 %, ce qui entraîne un réajustement des loyers à la baisse. Cela peut donc avoir pour effet de décourager un propriétaire de rénover son bâtiment.

Pour remédier à cette situation, les auteurs de cet article proposent l’adoption d’un contrat-cadre, négocié entre les associations faîtières de propriétaires et de locataires, qui comporterait une clause prévoyant que le coût des travaux de rénovation énergétique puisse être répercuté sur le loyer sans tenir compte du taux hypothécaire, selon une clé de répartition équitable et inférieure au taux de 100 % actuellement permis. Comme quoi, une certaine justice sociale peut être préservée et les gains tirés de la rénovation énergétique peuvent être équitablement répartis.

En d’autres termes, chère Jessica, il existe d’autres solutions que de rigidifier encore plus le droit des constructions et du logement. Au contraire, une plus grande rigidité n’aura guère d’autre effet que de décourager encore plus les propriétaires de bâtiments d’investir dans la rénovation énergétique, et là, tout le monde serait perdant : les locataires, les propriétaires et le climat.

À Genève, nous avons encore d’autres sortes de problèmes.

La Commission des monuments, de la nature et des sites, dont les préavis sont pratiquement toujours suivis par le département cantonal en charge des constructions, a parfois tendance à refuser la pose de panneaux solaires sur les toits des maisons des particuliers.

Autant je peux comprendre que cette Commission puisse s’opposer à ce que l’on pose des panneaux solaires sur des bâtiments ayant une valeur culturelle ou patrimoniale, autant je ne peux que déplorer l’intransigeance occasionnelle de cette autorité s’agissant de biens immobiliers appartenant à des privés.

Fort heureusement, certains propriétaires n’hésitent pas à contester des décisions négatives de ce département devant la justice, avec succès.

En conclusion, plutôt que de rigidifier encore plus le droit des constructions et du logement, je privilégie des solutions incitatives et pragmatiques, telles que les encouragements fiscaux, la réduction de la bureaucratie et la simplification des procédures, ou encore les mécanismes comme ceux proposés par Volteface. C’est ainsi que nous avancerons ensemble dans la transition énergétique.

On en reparle autour d’un café ?

Bien à toi,

Murat

Remettre la justice sociale au centre de la lutte contre le changement climatique

Cher Murat,

Grand honneur pour moi de t’écrire en cette Journée internationale du café! Faut dire que nous en avons bu beaucoup, au Gran’ Caffé d’abord – Patrick, si tu nous lis, des bises chaleureuses -, puis dans les quatre coins de ce pays au fur et à mesure des rencontres.

Je te remercie chaleureusement pour ton billet du 19 septembre 2019. J’ai toujours un grand plaisir à te lire et je dois dire que j’apprends beaucoup de nos échanges constructifs et bienveillants. Cela enrichit incontestablement mes réflexions et j’espère qu’il en est de même pour nos lecteurs.

Recherche et innovation

Mais revenons à nos moutons: une politique de recherche et d’innovation ambitieuse pour la Suisse.

Je partage avec toi la conviction que nous devons, pour notre pays, soutenir la recherche scientifique et les programmes internationaux idoines, à l’instar d’Horizon 2020.

Je pense également que nous pouvons être fiers de nos hautes écoles et la recherche de pointe qui y est menée, notamment sur les questions énergétiques.

Manifestations pour le climat

Cela ne t’aura pas échappé, nous étions une foule immense de 100’000 personnes à Berne le samedi 28 septembre à manifester pour la mise en oeuvre d’une politique climatique courageuse et responsable. A ce propos, y étais-tu? J’aurais eu plaisir à te croiser devant le Parlement fédéral pour échanger avec toi sur les toutes récentes préoccupations de ton parti sur cette thématique.

Bâtiments et émissions de gaz à effet de serre

Comme tu le sais sûrement déjà, les bâtiments en Suisse sont à l’origine de 26% des émissions de gaz à effet de serre. Autant dire que leur assainissement énergétique doit être une priorité absolue si notre pays veut atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris et la neutralité carbone en 2050.

Ce n’est certainement pas pour rien que le Conseil des Etats, la semaine dernière, a validé le principe d’une valeur-limite d’émission de CO2 pour les bâtiments existants.

Il a de plus donné son accord à l’instauration d’une taxe sur les billets d’avion et le mazout dont une part des revenus alimenteront le programme d’assainissement énergétique des bâtiments.

Les locataires passeront-ils à la caisse?

Les bâtiments qui doivent prioritairement être assainis sont les immeubles anciens, énergivores et, pour beaucoup, encore équipés de chauffage à mazout. Ils ont en outre la particularité, pour la plupart, d’offrir des logements à des loyers particulièrement bon marché. A cet égard, je suis assez sûre que la situation entre nos deux cantons est assez similaire: pénurie de logements et loyers globalement très très chers!

Or, lors de telles rénovations, entre 50% et 70% des coûts, sous déduction des subventions, sont directement reportés sur les loyers. Tout ceci est rendu possible en application du droit fédéral.

Ce sont donc les locataires qui vont financer les rénovations énergétiques des bâtiments par l’augmentation de leurs loyers.

Dans certains cas que j’ai pu défendre en tant qu’avocate, quand les locataires bénéficient de loyers particulièrement bas, leur loyer passe du simple au double. Ce n’est de loin pas marginal et c’est tout simplement insupportable financièrement pour la majorité d’entre eux, surtout pour les personnes retraitées. J’ai même eu entendu une fois un avocat adverse me dire que cela n’était pas grave, mon client n’ayant qu’à demander aux prestations complémentaires AVS/AI de couvrir la part de loyer augmentée! J’avoue avoir été assez choquée de penser que l’Etat pourrait être amené à subventionner les travaux, puis à payer indirectement le solde de ces travaux via les prestations complémentaires, tout en permettant au propriétaire de s’enrichir en encaissant des loyers plus élevés.

Les augmentations de loyers pour des travaux de rénovation subventionnés doivent donc être jugulées. C’est ce que propose notamment l’initiative de l’Asloca « pour des logements abordables » sur laquelle nous voterons vraisemblablement en février 2020.

Les locataires seront-ils mis à la porte?

Il faut en outre s’assurer que les locataires ne soient pas tout bonnement mis à la porte parce que le propriétaire veut réaliser de lourdes rénovations énergétiques. Là aussi, j’ai eu l’occasion en tant qu’avocate d’être témoin de nombreuses situations kafkaïennes! Les locataires doivent partir – et déménager dans des logements beaucoup plus chers – ou accepter des aménagements (p. ex. rocades d’appartements) moyennant de très grosses augmentations de loyers.

C’est dans ce sens que je viens de déposer un postulat au Grand conseil vaudois afin que le bailleur s’engage, lorsqu’il bénéficie de subventions de l’Etat pour rénover son bâtiment, à ne pas résilier les baux de ses locataires.

Evitons la fracture sociale

J’ai la conviction que si nous voulons obtenir l’adhésion de toutes et tous les citoyen.ne.s dans les grandes réformes qui nous attendent, sans créer de fracture sociale, nous devons remettre l’équité et la justice sociale au centre de la lutte contre le changement climatique. Il est en effet notoirement admis que le dérèglement climatique et certaines mesures incitatives, comme les taxes, vont toucher de façon disproportionnée les populations les moins favorisées.

Tu l’auras compris, je pense que nous ne pouvons pas envisager une transition écologique sans mettre l’accent sur la politique du logement et les droits des locataires. Faute de quoi, nous ne ferons que creuser un peu plus les inégalités croissantes entre les classes populaires et les plus favorisées.

Nous devons impérativement nous soucier de la fin du monde. Mais nous ne devons pas oublier ceux pour qui la fin du mois est toujours un soucis.

Je suis sûre que je trouverai chez toi une écoute attentive à ces enjeux.

On en reparle autour d’un café?

Amitiés,

Jessica

Une politique de recherche et d’innovation ambitieuse pour la Suisse

Chère Jessica,

Le weekend dernier, un institut de renommée mondiale situé dans le canton de Vaud célébrait ses 50 ans d’existence, en organisant des journées portes ouvertes. Au même moment, un autre poids lourd de la recherche scientifique, situé dans le canton de Genève, a profité de l’arrêt technique de son accélérateur de particules, le Grand collisionneur de hadrons, pour ouvrir ses portes au public.

Tu auras deviné que je fais référence à l’EPFL et au CERN, dont les journées portes ouvertes m’ont donné l’occasion d’aborder dans ce billet une thématique qui suscite une moindre attention politique, mais qui est pourtant essentielle pour la prospérité de la Suisse et les échanges scientifiques internationaux.

Avant cela, j’aimerais néanmoins te dire combien je suis heureux de pouvoir échanger avec toi dans le respect et l’ouverture au dialogue.

En effet, au cours de cette semaine, un parti représenté au Conseil fédéral a défrayé la chronique en tombant dans ce qu’il y a de plus lamentable en politique : s’attaquer aux personnes au lieu de débattre des idées.

Cette démarche a tellement choqué que certaines sections romandes de ce parti s’en sont désolidarisées avec autant de courage que de sévérité. Qu’elles en soient remerciées et félicitées !

Revenons-en au thème que je me propose d’aborder ce jour.

Tu sais que dans notre pays, notre principale matière première, c’est la matière grise.

En juillet dernier, pour la neuvième année consécutive, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a décerné à la Suisse le titre de championne du monde de l’innovation.

Nous pouvons en être fiers. Nous le devons en grande partie à nos hautes écoles, à nos universités, à nos écoles polytechniques fédérales et à nos chercheurs, mais aussi aux cerveaux venus du monde entier en Suisse pour participer à la recherche, au développement et à l’innovation dans notre pays.

En effet, la recherche de pointe ne se conduit pas de manière isolée, chacun dans son coin. Elle se nourrit des échanges d’idées entre scientifiques du monde entier. Par exemple, le CERN met ses laboratoires et outils à disposition de plus de 10’000 scientifiques de 100 nationalités différentes et le succès de nos écoles polytechniques fédérales est aussi dû à nombre de professeurs et chercheurs internationaux.

Une étude publiée dans la revue scientifique « Nature » a montré que plus les pays sont ouverts sur le monde, plus l’impact de leur recherche scientifique est fort. Une proportion de chercheurs étrangers élevée, les possibilités pour les chercheurs nationaux d’effectuer des recherches à l’étranger et les équipes de chercheurs issus de plusieurs pays aboutissent à des études scientifiques plus souvent citées, et donc plus influentes.

La Suisse est un pays ouvert en matière de recherche et doit le rester. Elle participe depuis de nombreuses années aux programmes cadres de recherche et d’innovation de l’Union européenne (PCR). Depuis 2017, notre pays est un associé à part entière du 8ème programme de ce type, Horizon 2020.

La Suisse participe également à d’autres programmes internationaux (AAL2, Eurostars 2, EDCTP2, EMPIR, EURATOM et ITER), qui revêtent eux aussi une importance capitale.

Cependant, l’acceptation de l’initiative « contre l’immigration de masse » le 9 février 2014 a jeté un froid sur nos échanges scientifiques avec l’étranger. Entre 2014 et 2016, notre pays n’a en effet été associé que de manière partielle à Horizon 2020. Ce qui montre que cet équilibre est fragile et dépend de nos bonnes relations avec le reste du monde, y compris avec l’Union européenne.

La qualité de la recherche scientifique de notre pays, ainsi que la réputation de la Suisse comme centre de recherche, de même que les prochains succès de l’EPFL et du CERN, dépendent des échanges scientifiques internationaux, dont l’importance est parfois sous-estimée lorsqu’il s’agit de conclure de nouveaux accords de libre-échange.

C’est pourquoi je pense que la Suisse aurait beaucoup à gagner en s’engageant en faveur de mesures et d’accords qui stimulent les échanges scientifiques internationaux.

Qu’en penses-tu ?

On en reparle autour d’un café ?

Amicalement,

Murat

Une conception libérale et moderne du mariage et de la famille

Chère Jessica,

Je me réjouis que nous ayons pu tomber d’accord sur l’imposition individuelle des couples et des familles.

Je constate également que nous partageons la même préoccupation concernant le maintien des jeunes mères sur le marché du travail suite à la naissance d’un enfant. Dans ton billet du 8 septembre dernier, tu m’écris à cet égard que la Confédération serait bien avisée de mener “une politique d’investissement majeure (…) dans l’accueil de jour des enfants”.

Récemment, le canton de Genève et la Confédération ont décidé – sur l’initiative du PLR – d’augmenter à 25’000 francs par année le plafond du montant déductible des impôts pour les frais de garde.

En réaction à ce soutien financier indirect en faveur des familles, la Ville de Genève, dont l’organe exécutif est composé d’une majorité de gauche et d’extrême-gauche, a décidé d’augmenter les tarifs de ses crèches. Oui, tu m’as bien lu.

Augmenter ainsi les tarifs des crèches, c’est non seulement tondre encore plus la classe moyenne, mais c’est également compliquer la conciliation de la vie privée et familiale avec les obligations professionnelles, tout en créant des barrières supplémentaires au maintien des jeunes mères sur le marché du travail.

La Présidente du Parti socialiste vaudois que tu es cautionnerait-elle une telle politique ?

Venons-en à présent aux autres thèmes que tu abordes dans ton dernier billet.

C’est avec plaisir que j’ai moi aussi pris connaissance des résultats de la procédure de consultation de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant le mariage civil pour tous.

Comme toi, je fais partie de celles et ceux qui considèrent que chacun doit pouvoir organiser sa vie de couple et mener à bien ses projets familiaux sans que l’Etat ne vienne s’en mêler.

Tout comme l’amour au sein d’un couple, la capacité à aimer et à élever un enfant n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. C’est pourquoi je considère que les couples de même sexe doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que les couples hétérosexuels.

À propos de la procréation médicalement assistée, permets-moi, au nom de la liberté, de me montrer encore plus critique que toi sous l’angle de l’égalité.

Actuellement, la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée est doublement discriminatoire et rétrograde : d’une part, elle réserve les dons de sperme aux seuls couples mariés (article 3, alinéa 3), d’autre part, elle interdit tout don d’ovules (article 4).

Autrement dit, les couples non mariés ne peuvent en aucun cas bénéficier d’un don de sperme, alors qu’ils pourraient en avoir tout autant besoin qu’un couple marié, et le don d’ovules est proscrit pour l’ensemble des couples, qu’ils soient mariés ou non.

Certes, comme l’exige l’article 119 de la Constitution fédérale, l’être humain doit être protégé contre les abus en matière de procréation médicalement assistée et de génie génétique.

Toutefois, en raison d’une législation aussi restrictive en comparaison avec d’autres Etats européens, de nombreux couples suisses en sont aujourd’hui réduits à devoir recourir à la procréation médicalement assistée à l’étranger, alors que nous avons en Suisse le savoir-faire et les compétences pour offrir les prestations dont ces couples ont besoin.

Il n’y a rien de plus humain que de vouloir fonder une famille. Est-ce vraiment le rôle de l’Etat que de mettre des bâtons dans les roues aux couples qui, pour toutes sortes de raisons, ne peuvent pas avoir d’enfants par la seule voie naturelle ?

On en reparle volontiers autour d’un café !

Amicalement,

Murat

Mariage: égalité pour toutes et tous

Cher Murat,

Je te prie de bien vouloir excuser le temps pris pour répondre à ta lettre du 20 août 2019. J’avoue avoir été prise dans un tourbillon d’activités et d’engagements lors de cette rentrée politique et judiciaire.

Imposition individuelle

Comme tu l’as anticipé, je soutiens également la mise en place d’une imposition individuelle des couples mariés. Cela étant, ma motivation à la création d’un tel système diffère quelque peu de la tienne. Je m’explique:

Dans ton dernier courrier, tu m’expliques que cette inégalité – cela en est une, aucun doute – serait une barrière au maintien des femmes mariées sur le marché du travail. Pour ma part, je pense que ce n’est pas le mariage, mais bien l’arrivée du/des premiers enfants qui constitue une difficulté majeure pour les femmes dans leur cursus professionnel. Si nous voulons agir contre ce fléau – à nouveau, cela en est un, aucun doute – il nous faut créer de vraies mesures contraignantes afin de garantir l’égalité salariale, couplées à une politique d’investissement majeure de la Confédération dans l’accueil de jour des enfants. Sans compter le besoin de faire tomber les plafonds de verre, les licenciements au retour d’un congé maternité et toute une série de discriminations que les femmes subissent sur le marché du travail. Je ne m’étends pas plus sur cette question, tant elle pourrait faire l’objet d’une billet à lui tout seul.

Je ne pense pas non plus que l’imposition individuelle des personnes mariées doit être vue comme un cadeau fiscal: quand on supprime une inégalité, ce n’est pas un cadeau, mais un devoir.

De plus, dans mon métier d’avocate, j’accompagne de nombreuses personnes dans leurs divorces. Outre les questions de droit de garde et de contributions d’entretien, la problématique des dettes d’impôts – rarement des créances – est de plus en plus un enjeu. Sans compter les cas où un époux devenu soudainement insolvable laisse à l’autre l’entier de l’ardoise fiscale. L’imposition individuelle, dans ces cas d’espèce, permettrait d’équilibrer un peu plus les relations entre époux pendant et après le mariage.

Par contre, mon cher Murat, ce n’est pas comme ça que tu me feras gober une réduction des barèmes d’imposition pour les personnes physiques au non du pouvoir d’achat! On le sait, la réduction des impôts profite surtout à une infime minorité au détriment d’une large majorité. Ce qui, en revanche, contribue à redonner du pouvoir d’achat aux familles, c’est le plafonnement des primes maladie à 10% du revenu comme nous l’avons instauré dans le Canton de Vaud, suite à une initiative socialiste.

Mariage pour toutes et tous

Et puisque nous parlons d’égalité entre les couples, qu’ils soient mariés ou non, je souhaiterais évoquer avec toi les récents travaux de la Commission des affaires juridiques du Conseil national s’agissant du mariage civil pour toutes et tous.

Je salue la décision (enfin!) d’une large majorité de cette commission en faveur de l’instauration d’un vrai mariage pour les couples homosexuels en Suisse. Cela étant, je regrette qu’une faible majorité (13 voix contre 12) ait décidé de renoncer à intégrer à ce projet la possibilité pour des couples de femmes mariées de recourir au don de sperme.. Ce d’autant plus que lors de la consultation, la grande majorité des participants (97 sur 154) a approuvé ce pas supplémentaire.

Je suis d’avis que seule la variante évoquée ci-dessus permettrait d’atteindre l’égalité totale souhaitées entre les couples homosexuels et hétérosexuels; la même égalité que celle revendiquée à l’appui du projet d’imposition individuelle.

J’espère mon cher Murat que tu partageras mon avis sur ce dernier point. Je pense que nos citoyennes et citoyens ont besoin aujourd’hui de représentant.e.s politiques qui s’inscrivent dans les aspirations légitimes d’une nouvelle génération, plus progressiste et plus égalitaire. Je suis persuadée que ces sujets peuvent nous réunir bien au-delà des clivages politiques et partisans. Qu’en penses-tu?

On en reparle autour d’un café?

Avec toute mon amitié,

Jessica