Cher Temps

Cher Temps,

Les villas romaines sont comme des golems qui se dévorent entre eux avant de se cannibaliser. Construites les unes sur les autres, elles cherchent continuellement à se dépasser, alimentant ainsi un cycle sans fin auquel seule une destruction pure et simple peut mettre fin.

Le cannibalisme architectural désigne la pratique consistant à réutiliser des bâtiments ou parties de bâtiments existants pour construire de nouvelles structures. Tiré du latin canis, « chien », le terme fait référence au fait de se nourrir de chiens pour assurer sa propre subsistance. Il est employé dans des contextes très divers, mais est surtout associé à la pratique qui, en architecture, consiste à recycler d’anciens bâtiments ou segments de bâtiments pour en construire d’autres.

Utilisée depuis la nuit des temps, cette méthode n’a rien de nouveau. Le Colisée de Rome, construit avec des matériaux repris d’autres structures, en constitue l’un des exemples les plus célèbres. Plus récemment, le terme a aussi été employé pour décrire la destruction d’anciens édifices et la réutilisation des matériaux récupérés pour en élever d’autres. Alors que le coût des matériaux de construction augmente et que la quantité de bâtiments anciens disponibles diminue, cette pratique devient aujourd’hui de plus en plus courante.

L’araignée veuve noire est une espèce sexuellement dimorphique. Les femelles sont beaucoup plus grandes que les mâles, puisqu’elles mesurent jusqu’à 4 centimètres, alors que les males sont généralement deux fois plus petits. La durée de vie varie également : les femelles peuvent vivre jusqu’à 3 ans, tandis que les males ne vivent qu’environ une année.
La veuve noire femelle est aussi beaucoup plus agressive et tue souvent le male après l’accouplement. Elle s’accouple avec de nombreux partenaires et peut stocker le sperme dans son organisme et l’utiliser plus tard.

 

Le cannibalisme sexuel a quelque chose de tabou qui le rend d’autant plus excitant. L’idée de manger l’autre – ou d’être mangé.e – constitue pour beaucoup un puissant aphrodisiaque.
Le cannibalisme sexuel peut être dangereux et n’est pas adapté à tout le monde. Mais pour ceux et celles qui veulent explorer ce fantasme sombre et tabou, l’expérience peut s’avérer incroyablement érotique et excitante.

Pour le reste, rien d’extraordinaire, des sphinx de la finance, des codes, des coffres et des montres.


Gaia Vincensini (1992) – Arts visuels

Gaia Vincensini vit et travaille entre Genève et Paris. Elle a obtenu son diplôme de licence de la HEAD-Genève en 2016. Dans son travail, elle crée des récits qui explorent les systèmes de valeurs qui structurent l’art et la société. En 2021, elle a remporté les prix Manor et Kiefer Hablitzel I Göhner et en 2020, elle a effectué une résidence de neuf mois à la Cité internationale des arts de Paris. Son travail a été exposé au MAMCO et à la Forde à Genève, au Swiss Institute à New York, à la Maison d’Art Bernard Anthonioz à Nogent-sur-Marne et plus récemment à la Galleria Martina Simeti à Milan et, pendant la FIAC, à la galerie Gaudel de Stampa. À Rome, elle développe une série d’œuvres explorant les divinités du monde contemporain et la manière dont les êtres humains s’y confrontent.

Photo : Gina Folly

GLAÇURES NATURELLES ET ARGILE SAUVAGE

Photo : Laura Breitschmid

En tant qu’artiste visuelle et dans ma pratique de la sculpture, je touche les matériaux à mains nues. C’est un processus aussi important pour moi que pour le matériau travaillé.
Durant mon séjour en Sicile, j’ai développé de nouvelles surfaces à partir de matériaux naturels, notamment des matières volcaniques qui gisent autour de l’Etna.

 

Photo : Laura Breitschmid

Sur la plage de la Salinelle, au pied du volcan, j’ai pu extraire de l’argile sauvage des boues volcaniques. En raison de sa forte teneur en sel, ce matériau, qui fond à très basse température dans les phases de cuisson, permet d’apporter une glaçure intéressante aux œuvres sculptées.

 

Photo : Maya Hottarek

J’ai également trouvé des pierres volcaniques et un minéral que j’ai d’abord pris pour du soufre, et mille autres matières aussi, mais ceux-ci étaient mes préférés.
Le traitement de ces minéraux a consisté d’abord à les réduire en poudre à la main puis, au terme de ce long processus, à les tamiser et enfin à les mélanger selon un procédé triaxial. Cette méthode me permet de trouver leur point eutectique, soit de déterminer selon quels dosages amalgamer les matériaux pour obtenir la glaçure recherchée.

 

Photo : Maya Hottarek

Une des plaques triaxiales, avec un mélange de trois matériaux différents, après cuisson à haute température.

 

Photo : Maya Hottarek

Je suis très contente de ce travail, que j’entends approfondir. Je poursuivrai cette démarche l’an prochain avec des minéraux provenant des Alpes suisses et des glaçures à la cendre.
J’ai besoin de ressentir un lien plus fort avec les matières que j’utilise dans ma pratique artistique et d’acquérir une plus grande indépendante à cet égard.

 

Photo : Maya Hottarek

Maya Hottarek (1990) – Arts visuels

Maya Hottarek (1990) vit et travaille à Biel/Bienne. Elle a étudié les arts visuels à la Haute école des arts de Berne et à l’Institut Kunst de Bâle. Dans son travail elle a recours à différents médias tels que la céramique, le cinéma, le son et les objets qu’elle trouve. L’un de ses principaux intérêts est d’articuler les interactions complexes entre l’individu, la société, l’économie et la nature. Parmi ses expositions les plus récentes, nous pouvons citer Itelleaks à N/A/S/L Mexico City, Liste Art Fair Basel, Petri dish dream à la galerie A.ROMY de Zurich, Isomorphous Drip à Krone/Couronne à Biel/Bienne, Situation 1 und andere à la Kunsthalle Basel, INSONNE au Sonnenstube de Lugano. Pendant la résidence à Palerme, elle a poursuivi le projet de sculpture Neokaryotes, en se consacrant au processus de recherche et de production des émaux, avec l’aide d’experts céramistes locaux.

Photo : Gina Folly

Fontaines publiques

La fontaine est une fleur ou un champignon émergeant d’un grand système sous-terrain prosaïque et mystérieux composé d’histoires, d’argent, de plomb, de salive et de pressions
Fontaine via Paolina © Lou Masduraud, Rome, 2021

J’aime bien les fontaines. Je les aime pour leurs formes, leurs histoires et les flux généreux qui rafraîchissent nos bouches asséchées par la ville.
Je m’intéresse aux fontaines en tant qu’objet politique – symbole de la profusion du bien commun, de sa spectacularisation et donc de son contrôle.
Une fontaine c’est aussi la fleur d’un système, l’histoire de son acheminement depuis la source captée jusqu’à la bouche du mascaron me fascine. Son chemin par les terres, les pierres, les citernes, les valves, les pompes, les tuyaux d’argile cuite, de plomb, d’acier et de béton jusqu’à notre langue.

A qui appartient la terre sur laquelle se trouve la source ? Qui paie l’ouvrier qui nettoie ces conduits?
Est-ce qu’il y a des femmes dans le service d’eau et de maintenance des infrastructures souterraines de Rome ? Est-ce qu’on abreuve les fontaines de jardin de ces villas avant de desservir la place publique ?
Combien de particules de terre, de plomb, d’acier et de béton se trouvent suspendues dans les eaux de fontaine en fonction du chemin parcouru ?
Combien de pièces ont-elles eu le temps de rouiller dans le fond de ce bassin avant d’être récupérées par les services de la ville ?
Combien de vœux ont-ils été exaucés ?

 

Nasone © Lou Masduraud, Rome 2021

Là où on a trouvé la première source, la toute première fois, c’était aux flanc d’une colline, sous les orangers et les bergamotiers. Le verger diffusait des senteurs d’agrumes dans la vallée, et, de façon plus discrète mais tout aussi vraisemblable, infusait abondamment la nappe souterraine de son arôme. Le réseau racinaire des arbres fruitiers instillent les eaux par les sèves et les sucs acides des agrumes dans un échange chimique des plus secret. Et puis il y a la pluie qui ruisselle sur les fruits puis le long des troncs, entraînant avec elle quelques huiles. Chaque goutte d’eau se fraie un chemin pour rejoindre ses sœurs sous la terre. Bain collectif, nappe phréatique et tout le monde dans le même tuyaux. Vas-y qu’on se serre, qu’on se glisse enrichi de parfums, qu’on se bouscule, dévale la pente et serpente sous la ville pour l’abreuver de ces acides fruitées. Extase citoyenne. Miracle.

Fontaine du Pantheon, © Lou Masduraud, Rome 2021

La fontaine est une fleur ou un champignon. C’est la partie visible d’un grand système souterrain, relativement comparable au mycélium courant dans les sous-bois. Le bitume recouvre un large réseau prosaïque et mystérieux, rhizome de circulations fluides, de forces contraires, de pressions, de tourbillons, de frottement liquides, d’air enfermé dans des bulles le long de kilomètre de tuyaux qui fleurissent, jaïssent en fontaine de surface et s’épanouissent à l’air libre. Là, ce sont des bouches ouvertes en forme de O qui déversent le liquide en continu, chuchotant les secrets mouillés de chaque place publique. L’eau passe directement du petit tuyau de bronze à la commissure des lèvres dures et pulpeuses, caressant aux passage ces dents de marbre et transformant cette bouche en terrain légèrement moussu vert noir, carriant ainsi le sourire de la nayade.
Une eau claire et vive sans gaz ni plomb se jette enfin dans le vide. Un vide de quelques centimètre – pas le grand saut, pas de grande chute – mais simplement ce petit vide à traverser librement, relaxée de toute contrainte, libre de forme, se délaissant même de quelques gouttes le temps de savourer l’air ambiant, d’entrevoir le soleil ou la lune et sentir l’air contre son corps d’eau avant de rejoindre le bassin avec permanence.

Une bouche s’approche, différemment cariée, différemment mouillée, un terrain plus acide encore que les agrumes vient interrompre le flux de la fontaine. Bouche de chair contre bouche de pierre. L’eau s’engouffre dans un second système.

Citoyen à la fontaine, © Lou Masduraud, Rome 2021

Lou Masduraud (1990) – Arts visuels

Lou Masduraud (1990) vit et travaille à Genève, où elle développe un travail artistique, critique et féministe. Elle a obtenu un MA en arts plastiques à la HEAD Genève et a participé au programme de recherche postgrade de l’ENSBA Lyon de 2017 à 2019. Sa pratique artistique analyse les mécanismes du pouvoir, du désir et de l’émancipation. À Rome, elle réalisera un projet sur les fontaines publiques en tant que symbole de la vie politique.

Photo by Rebecca Bowring