Rome au temps du Coronavirus

Le beau temps, l’atmosphère printanière à Rome est trompeuse.
Le jardin de la Villa Marini est tranquille, serein, rien ne bouge sauf les feuilles des palmiers dans une brise légère. Les bruits de la ville ont disparu et seuls les oiseaux et les perroquets conversent encore,  sporadiquement interrompus par une mouette ou une corneille qui essaient d’imposer leur loi.
Dans l’institut pourtant les signes de la désertion sont là : peu de bruit, pas de va et vient, pas d’agitation. Invisibles, les chercheurs sont cloitrés en bibliothèque et les artistes dans leurs ateliers.
Plus loin dans la rue, à deux pas de la Via Veneto, c’est pire encore. La rue quotidiennement encombrée d’un méli-mélo de bus touristiques est vide. Les stores des commerces sont baissés, les bars et les terrasses ont disparu. Quelques silhouettes isolées passent, souvent masquées. Nous sommes en mars, l’air est encore frais et ce désert urbain n’a rien de Ferragosto.

Entre la mauvaise série dystopique et le roman d’anticipation, le réveil à Rome ne ressemble à plus rien de connu : Au cœur de la ville, on sort de chez soi sans saluer personne car on ne voit personne, à perte de vue. Dans l’espace public, on se déplace dans le silence, plus de trafic mais des places de parking inutiles, plus de bar pour le café et ses mille déclinaisons, plus d’interpellations et de discussions entre inconnus.
Une vie sans la vie. Une capitale européenne, ville de près de 3 millions d’habitants, réduite à une pâle reproduction de son architecture, une maquette géante dans laquelle on aurait oublié d’installer les figurines des habitants.

Hier, dans la course aux mesures toujours plus restrictives, les files de taxis inoccupés s’allongeaient encore au coin des rues. Hier les portiers désœuvrés des grands hôtels espéraient trois visiteurs, un touriste oublié et masqué cherchait sa route sur Google maps, les bars désertés fermaient déjà avant les 18 heures fatidiques du quasi-couvre-feu.
Aujourd’hui, plusieurs hôtels ont fermés, les rares portiers en activité sont calfeutrés dans leur hall désert, les chauffeurs de taxi restent à la maison, les touristes se sont tous rapatriés. Aujourd’hui le personnel du supermarché et du tabac veille encore à l’approvisionnement, protégé par des gants de latex et des masques. On va faire ses courses (alimentaires et de première nécessité) avec un formulaire d’auto certification que les agents peuvent demander pour justifier chaque déplacement.

Je dois me rendre à l’évidence, j’ai bu hier mon dernier cappuccino al banco avant longtemps et c’est le moindre mal dans une nouvelle vie sans écoles, sans cinéma, sans musée, sans expos, sans concerts, sans coiffeur, sans fitness, sans diner entre amis et sans resto. On positive et on est respectivement heureux 1) d’être en bonne santé sans symptômes préoccupants 2) que les résidents, le personnel et les amis soient en bonne santé 3) que les plus de 60 et les nonni soient en bonne santé 4) d’avoir mis la main sur un bon stock de lotion antibactérienne pour tout l’Institut 5) d’avoir un abonnement Netflix 6) de gérer un équipe qui ne panique pas ou pas trop 7) que les kiosques à journaux restent ouverts.

Aujourd’hui l’institut avance en formation réduite, ceux qui peuvent travailler de loin sont à la maison, l’énergie se canalise sous d’autres formes, les ados privés de contacts mais pas de devoirs ont lancé le goûter virtuel pour se connecter en groupe, l’aperitivo et les leçons d’italien se font par skype, chacun s’ouvre un compte zoom et la réflexion pour digitaliser les activités est lancée.

En dehors de notre petit pré carré, de la gestion de crise au jour le jour, on sait qu’on devra demain relever la tête et se préoccuper – entre autres – de la signification du bulletin quotidien des morts et des infectés, des hôpitaux surchargés, du sens civique, de la solidarité européenne et du long terme, de la peur qui pointe et des lendemains pas vraiment enchantés qui s’annoncent.


Joëlle Comé est directrice de l’Institut suisse. Au bénéfice d’un Master en cinéma et culture de l’INSAS (Bruxelles), elle a une longue expérience dans la conduite de projets culturels internationaux, l’encouragement à la culture, la formation artistique et la politique culturelle. Joëlle Comé a commencé son parcours professionnel au CICR – Comité international de la Croix-Rouge. Après plusieurs années comme déléguée dans des pays en conflit sur 3 continents, elle devient productrice et réalisatrice de films documentaires et institutionnels au siège de Genève. Elle rejoint ensuite l’ECAL (Lausanne) en tant que responsable du département cinéma, puis fonde et dirige sa propre compagnie de production cinématographique. En 2007 elle est nommée Directrice des affaires culturelles du Canton de Genève. Depuis 2016 elle est directrice de l’Institut suisse à Rome.

Istituto Svizzero

L’Istituto svizzero a plus de 70 ans. Il souhaite se faire mieux connaître et illustrer, grâce aux récits de ses résidents de Rome, Milan ou Palerme, comment cette plateforme interdisciplinaire permet à des artistes et à des scientifiques venus de toute la Suisse de développer leurs projets en croisant leurs expériences et leurs pratiques. Sous l’impulsion d’une nouvelle équipe et de Joëlle Comé, sa directrice depuis quatre ans, l’institut a ouvert des résidences à Milan, la ville du design, de l’architecture et de la mode. Mais aussi à Palerme, la cité qui se situe depuis toujours au carrefour des civilisations et de la Méditerranée. Le blog donne la parole aux résidents et permettra de suivre ces chercheurs tout au long de leur séjour et de leur cohabitation inédite à l’Istituto svizzero. Il informera de l’avancée de leurs recherches qui vont, de l’archéologie à l’architecture, en passant par les arts visuels, la composition musicale ou l’histoire de l’art. Et ainsi de les accompagner dans leur découverte de l’Italie et des trois villes de résidence.

Une réponse à “Rome au temps du Coronavirus

  1. Un grand merci pour cet édifiant tableau. Un cinéaste, camera au poing, ne décrirait – n’écrirait pas mieux Rome, autrefois centre du monde connu et maintenant ville ouverte à toutes les incertitudes. Bien sûr, il serait tentant d’invoquer telle bande dessinée ou tel roman d’anticipation – par exemple, “La guerre des mondes ” d’H. G. Wells où les Martiens, d’abord vainqueurs des habitants de Londres, finissent décimés par les microbes terrestres, contre lesquels ils ne sont pas immunisés. Sauf qu’ici, à vous lire, c’est la population bien terrestre des Ferragosti qui a été décimée tout entière, non par d’extra-terrestres tripodes tentaculaires armés de rayons ardents et de gaz toxiques ou autres E. T. façon Spielberg, mais par un virus d’à peine un dixième de millimètre, invisible à l’oeil nu.

    Rome, ville fantôme? Rossellini lui-même n’y aurait pas songé.

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