Chez le barbier du Caravage

Samedi, par hasard, je me suis arrêté devant une très belle vitrine de barbier. Le très joli logo représentant un singe indiquait que la boutique fût ouverte en 1900. Tout semblait d’origine, les carreaux blancs, les fauteuils, jusqu’aux produits mis en vitrine dont les emballages avaient la nonchalance promotionnelle des formules centenaires. Tout était très soigné, mais le quartier très touristique. Je m’attendais donc à me retrouver confronté à des hypsters à barbes longues rêvant une généalogie mystique. Mais rien de cela.

La Sala di Barba GENCO est gérée par une famille soudée. https://gencosaladabarba.com/. La clientèle, qui parfois patiente quelques minutes dans le café du bout de la rue, est très chic, il faut dire que nous ne sommes pas loin du tout du parlement. Ici, on appelle les gens par leurs prénoms, on s’intéresse un peu à chacun, même au touriste de passage que je reste dans cette ville. On s’affère autour si de vous, sans trop d’onguent, ni de pédante douceur feinte, mais avec rapidité, efficacité du geste et une légère brutalité masculine imposée par l’ancienneté du matériel. Au pied de la tour médiévale, appelée tour du singe (d’où le motif simiesque de la vitrine) on aimerait croire que les jours se succèdent et voient passer les personnalités les plus étranges. On ne croit pas si bien dire.

Au détour de la conversation que j’essaie d’avoir avec son cousin qui me coupe les cheveux, le barbier comprend que je m’intéresse à l’art. On échange quelques banalités et on en arrive à parler de la grande exposition de Caravage au Musée Jacquemar Andre de Paris qui a dépouillé, pour un temps, certains musées romains de leurs tableaux. Là en un éclair, la conversation prend un tour inattendu. Le barbier se transforme en passionné absolu du peintre. Il se saisit de son téléphone portable pour me montrer des photographies qu’il a pu prendre lors du tournage de la série italienne qui, cette année, a redonné vie à Michelangelo Merisi (1571-1610) surnommé le Caravage. Il me montre des vues prises sur des échafaudages montés dans St-Louis des Français. Il me montre aussi, encore plus surprenant, des vues du retour à son emplacement de la « Madone des Pèlerins » dans la basilique de St-Augustin. Après l’avoir quitté pour une de ses très très rares expositions hors de l’église et de la niche dans laquelle elle a été installée en 1604. J’ai donc vu, assis sur le siège de son cousin, pendant que celui-ci me séchait énergiquement les cheveux, des images du dos de la toile, de la niche vide… Un plaisir qui valait bien la cinquantaine d’euros que j’ai payés pour une coupe, un shampoing, un rasage et un pourboire.

Mais, comme si ce n’était pas encore assez, mon barbier m’explique que Le Caravage fréquentait aussi ce lieu. En effet, sur un des rapports de police qui établissent régulièrement les rixes auxquelles participe le peintre, il est établi que celui-ci avant de se battre était venu déposer chez son barbier, à l’exacte adresse actuelle de GENCO, son manteau. Le fougueux peintre qui habita quelques années et jusqu’à sa fuite de Rome en 1606 dans l’actuel vicolo del Divino Amore voisin, aurait donc eu … le même barbier que moi.

Un beau samedi


Samuel Gross est responsable du programme artistique de l’Institut suisse. Il a obtenu un master en Histoire de l’art à l’Université de Genève en 2001. Depuis, il travaille comme commissaire d’exposition indépendant et critique d’art pour des magazines d’art et collabore à des livres d’artistes (éditeur et auteur de la monographie de Sylvie Fleury, 2015, publiée par jrp | Ringier). Parmi ses expériences de travail précédentes on retriendra notamment sa collaboration avec la Fondation Speerstra, Suisse, en tant que directeur jusqu’en 2014; la Galerie Evergreene, Genève, en tant que directeur artistique (2007-2012) et le MAMCO (Musée d’art moderne et contemporain), Genève, en tant qu’assistant du directeur. Parmi les expositions qu’il a récemment organisées, on peut citer ici: Roman Signer, Institut suisse, Rome; Balthasar Burkhard, Institut suisse, Milan; John M. Armleder, Institut suisse, Rome; Elizabeth Murray « Récit d’un temps court 2 », MAMCO, Genève. Samuel Gross a été aussi membre de différentes commissions artistiques, entre autres: Prix Manor, Artissima – section Present Future, et F.P. Journe.

Istituto Svizzero

L’Istituto svizzero a plus de 70 ans. Il souhaite se faire mieux connaître et illustrer, grâce aux récits de ses résidents de Rome, Milan ou Palerme, comment cette plateforme interdisciplinaire permet à des artistes et à des scientifiques venus de toute la Suisse de développer leurs projets en croisant leurs expériences et leurs pratiques. Sous l’impulsion d’une nouvelle équipe et de Joëlle Comé, sa directrice depuis quatre ans, l’institut a ouvert des résidences à Milan, la ville du design, de l’architecture et de la mode. Mais aussi à Palerme, la cité qui se situe depuis toujours au carrefour des civilisations et de la Méditerranée. Le blog donne la parole aux résidents et permettra de suivre ces chercheurs tout au long de leur séjour et de leur cohabitation inédite à l’Istituto svizzero. Il informera de l’avancée de leurs recherches qui vont, de l’archéologie à l’architecture, en passant par les arts visuels, la composition musicale ou l’histoire de l’art. Et ainsi de les accompagner dans leur découverte de l’Italie et des trois villes de résidence.