Les semences c’est la vie

La Coalition sur le droit aux semences demande à la Suisse de ne pas exiger des lois strictes sur la protection des obtentions végétales dans ses accords de libre-échange avec les pays en développement. Le droit aux semences est aussi le thème de la campagne œcuménique de Pain pour le prochain et Action de Carême, lancée aujourd’hui.

« Nous luttons pour le droit aux semences, la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne car le Honduras a adopté un modèle de développement basé sur la production agricole pour l’exportation» déclare Octavio Sanchez dans le magazine Perspectives. Le directeur du réseau hondurien ANAFAE, hôte de la campagne œcuménique de Pain pour le prochain et Action de Carême, est venu en Suisse pour parler de son combat contre l’Etat et les multinationales étrangères, qui veulent certifier les semences dans son pays, l’un des plus pauvres et violents d’Amérique latine, où 52% de la population vit encore de l’agriculture.

En Afrique, en Asie et en Amérique latine, 1,5 milliards de petits paysans sélectionnent, échanges ou achètent au marché local leurs propres semences depuis toujours. Ils ont développé une grande diversité de cultures et de variétés, adaptées entre autres au changement climatique, et produisent 70% de la nourriture. Or, si une législation stricte sur les semences est adoptée, ils n’ont plus le droit de le faire et sont obligés d’acheter les graines au prix fort auprès des grands producteurs, ce qui entraîne une dépendance, voire l’endettement.

Monsanto, Syngenta et DuPont produisent 50% des semences dans le monde

Car sous prétexte de moderniser le secteur, de plus en plus de pays adoptent des législations strictes sur la protection des obtentions végétales pour garantir le monopole aux sélectionneurs de semences – la plupart du temps des multinationales. Monsanto, DuPont et la bâloise Syngenta produisent désormais plus de 50% des semences commercialisées dans le monde. Ce sont aussi les plus grands producteurs de pesticides et promoteurs de l’agriculture industrielle. Or, selon la FAO, celle-ci est responsable de la disparition de 75% des espèces végétales au cours du siècle dernier.

Quel rôle joue la Suisse? Dans les accords de libre-échange qu’elle négocie avec les pays en développement, elle leur demande d’adopter une législation stricte sur la protection des semences répondant aux exigences de la Convention pour la protection des obtentions végétales (UPOV 91). Si certains ont le dos assez solide pour résister à ces pressions, d’autres, comme l’Indonésie, capitulent. L’accord de libre-échange, ratifié par le Parlement à la fin de l’année passée, inclut une telle obligation qui, en plus, est en contradiction avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, que la Suisse a pourtant signée.

Dès lors Alliance Sud, Apbrebes, Pain pour le prochain, Action de Carême, Public Eye et Swissaid, réunies dans la Coalition suisse pour le droit aux semences, ont lancé une campagne pour demander au Conseil fédéral de ne pas exiger des lois strictes sur la protection des obtentions végétales dans ses accords de libre-échange avec les pays en développement. La Suisse négocie actuellement avec la Malaisie. Vous pouvez soutenir cette action en envoyant une lettre au Secrétariat d’Etat à l’économie [Ministère suisse de l’économie].

Octavio Sanchez reproche à son gouvernement de vouloir transformer le Honduras en une immense maquila [industrie de sous-traitance] avec l’aide des multinationales étrangères, obligeant les gens à émigrer pour devenir de la main d’œuvre bon marché ailleurs. Les images de la caravane des migrants, partie il y a un an du Honduras vers les Etats-Unis, sont encore dans les esprits. Si on veut que les gens ne soient pas obligés d’émigrer, mais puissent vivre chez eux dans la dignité, il faut assurer leur droit à la sécurité et la souveraineté alimentaire.

Après Bruno Manser, la lutte contre la déforestation continue

Photo © Bruno Manser Fonds

Depuis la disparition de l’activiste bâlois, il y a près de 20 ans, le Bruno Manser Fonds continue le combat à Sarawak. Et, en Suisse, dans le cadre d’une coalition d’ONG qui demande d’exclure l’huile de palme des accords de libre-échange avec l’Indonésie et la Malaisie. L’accord avec le Mercosur risque aussi de favoriser la déforestation.

 « La lutte continue ». C’est ainsi que se termine le somptueux film sur Bruno Manser (“Bruno Manser, la voix de la forêt tropicale”, actuellement à l’affiche en Suisse romande), l’activiste bâlois qui, entre 1984 et 1990, a vécu en pleine forêt tropicale de Sarawak, dans la partie malaisienne de Bornéo. Il avait été adopté par les Penan, un peuple autochtone qui a vu son milieu de vie disparaître sous le coup des bulldozer et de la mondialisation, le bois tropical étant devenu une source faramineuse de revenus pour des homme politiques aux bottes de multinationales qui exportent le bois tropical bon marché aux quatre coins de la planète.

Les Penan demandent alors à Bruno Manser de les aider car c’est le seul qui connaît le monde extérieur. Il regroupe 46 tribus et leur conseille de créer des barrages pour empêcher les camions de passer. Dans un premier temps, la pression médiatique aidant, la tactique fonctionne, mais assez vite les autorités n’hésitent pas à raser les barricades et à tuer les Penan qui résistent pacifiquement. La tête de Bruno Manser est même mise à prix pour 50’000 USD.

Travail politique en Suisse

Pensant alors qu’il est plus utile chez lui, l’écologiste rentre à Bâle, où il crée le Bruno Manser Fonds, et se jette corps et âme dans le travail politique. Avec ses camarades, il lance une pétition pour demander aux parlementaires européens de boycotter l’importation de bois malaisien, mais ceux-ci céderont face à la pression de la Malaisie. Malgré cela, il arrivera à mettre la question de la déforestation de la forêt primaire à l’agenda international. Le secrétaire général de l’ONU en personne, Bouthros Bouthros Ghali, lui conseillera de créer un certificat qui distringue le bois coupé légalement. Celui-ci sera finalement adopté par l’Organisation internationale des bois tropicaux mais, à sa grande déception, il ne tiendra compte que de critères écologiques et non sociaux, les Penan étant nomades et donc considérés comme n’ayant pas de titres de propriété sur leurs terres ancestrales.

Il décide alors de retourner à Sarawak pour les convaincre de cartographier leur territoire et montrer que, loin d’être nomades, ils y vivent depuis toujours. Il disparaîtra en 2000, à l’âge de 46 ans, dans un accident ou sous le coup des balles, nul ne le saura jamais.

Le libre-échange accusé de favoriser la déforestation

Depuis sa disparition, le Bruno Manser Fonds continue à se battre pour les droits des Penan et contre la déforestation, surtout à Sarawak, mais pas seulement. Il fait partie de la coalition suisse sur l’huile de palme, dont Alliance Sud est aussi membre, qui demande d’exclure ce produit controversé des accords de libre-échange avec l’Indonésie (premier producteur mondial) et la Malaisie (deuxième). La culture de palmiers à huile est devenue la principale source de déforestation dans ces pays et la baisse des droits de douane prévue par ces accords ne ferait que stimuler encore davantage sa production.

L’accord avec l’Indonésie a été signé en décembre 2018. Malgré nos revendications et celles du Conseil national, l’huile de palme n’en a pas été exclue, mais les préférences tarifaires sont soumises à des conditions de durabilité. C’est une première dans un accord de libre-échange suisse, mais toute la question est de savoir comment la Suisse va s’y prendre pour mettre concrètement en œuvre ces dispositions et les contrôler.

Quant aux négociations avec la Malaisie, elles sont bloquées depuis mars 2017 car Kuala Lumpur est en train de revoir toute sa politique commerciale, mais elles pourraient reprendre l’année prochaine. Le Bruno Manser Fonds a donc lancé une pétition, signée à ce jour par plus de 52’000 personnes, qui demande un moratoire sur de nouvelles plantations de palmiers à huile.

Finalement, Alliance Sud et les autres membres de la coalition sur le Mercosur vont analyser de près le contenu de l’accord avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), dont les négociations ont été terminées fin août et le texte devrait être publié prochainement. Ces pays sont les principaux exportateurs de viande et de soja au monde et leur production est largement responsable de la déforestation de pans entiers de la forêt amazonienne et susceptible d’augmenter avec les accords de libre-échange avec l’AELE (dont la Suisse est membre) et l’UE.

L’Union européenne recule sur l’huile de palme

A Bruxelles, la Commission européenne et les Etats membres n’ont finalement pas suivi le Parlement européen, qui avait demandé la fin des importations d’huile de palme pour les agro carburants pour 2021. Le 14 juin 2018, ils ont décidé de repousser cette échéance à 2030.

C’en est déjà trop pour l’Indonésie, qui vient de réagir. Il y a deux semaines, elle a porté plainte contre l’UE devant l’Organisation mondiale du commerce, à cause de cette décision de Bruxelles, qui considère l’huile de palme comme un agro carburant non durable en raison de son impact sur la déforestation. Dès 2030, son importation dans l’UE devrait diminuer.

La Malaisie a brandi la menace de porter la même plainte, mais elle se donne un peu de temps. Il faut dire que depuis le 11 décembre, l’organe d’appel de l’OMC, qui statue sur les éventuels recours, est paralysé en raison du refus des Etats-Unis de nommer les nouveaux juges.

En 2020, les organisations qui se battent contre la déforestation et pour les droits des peuples autochtones auront encore du pain sur la planche.


Voir aussi de la même auteure L’huile de palme sur une pente glissante

 

 

L’huile de palme sur une pente glissante

Photo: Militants de l’association indonésienne Wahli © Miges Baumann

La coalition suisse sur l’huile de palme demande d’exclure ce produit controversé de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui touche à sa fin. A Bruxelles, le parlement européen vient de décider de l’exclure du quota d’agro-carburants d’ici 2021.

 

Sale temps pour l’huile de palme. Cette huile végétale, qui entre dans la composition de près de la moitié des produits alimentaires, cosmétiques et de nettoyage qu’on trouve dans les supermarchés, en raison de son faible coût, de sa résistance à la chaleur et de son rendement exceptionnel, est produite à 90% en Indonésie et en Malaisie. Dès lors, elle représente un produit stratégique pour les gouvernements de ces deux pays, mais aussi la principale pierre d’achoppement dans les négociations des accords de libre-échange avec la Suisse (par le biais de l’AELE, l’Association européenne de libre-échange). Actuellement, l’importation d’huile de palme est frappée d’un droit de douane de 100%, qui vise surtout à protéger les producteurs suisses de colza et de tournesol. L’Indonésie et la Malaisie demandent de baisser drastiquement ce tarif douanier, voire de le ramener à zéro, ce qui a créé une levée de boucliers. Pas moins de 23 interventions ont été déposées au Parlement depuis 2010, date du début des négociations avec l’Indonésie. Celles-ci, précisément, sont à bout portant, alors que celles avec la Malaisie ont pris un peu de retard.

Aujourd’hui même, la coalition suisse sur l’huile de palme, qui comprend douze organisations paysannes, de développement – dont Alliance Sud – de protection de l’environnement et des consommateurs, a publié une lettre ouverte au Conseiller fédéral Johann Schneider – Amman et aux ministres indonésiens compétents, pour demander d’exclure l’huile de palme de l’accord avec l’Indonésie. Concrètement, cela veut dire ne pas baisser les droits de douane pour faciliter encore davantage l’importation de ce produit controversé. Car cela entraînerait une augmentation de la production, qui pose d’énormes problèmes du point de vue environnemental, social, des droits humains et des droits du travail : déforestation, pollution, diminution de la biodiversité, confiscation des terres, violation des droits des communautés locales et des travailleurs…. La liste des griefs est longue.

Les signataires s’opposent aussi à la prise en compte de tout label prétendument durable sur l’huile de palme, dont le célèbre RSPO (Table-ronde sur l’huile de palme durable), une initiative volontaire créée à Zurich en 2004 et qui regroupe aujourd’hui plus de 2’000 membres, issus surtout du secteur privé, mais aussi quelques ONG comme le WWF. Le problème du RSPO est notamment qu’il autorise certaines formes de déforestation, que ses lignes directrices sont vagues et que son mécanisme de contrôle et de plainte est faible. La lettre a été signée aussi par l’association indonésienne Wahli, membre d’Amis de la terre Indonésie, qui vient de soutenir la plainte de deux villages indonésiens contre le RSPO auprès du point de contact suisse auprès de l’OCDE. Les communautés villageoises reprochent à RSPO de ne rien faire contre la déforestation occasionnée par une société malaisienne, pourtant membre du label, à West Kalimantan.

A Bruxelles, les nuages s’amoncellent aussi. Après que des ONG indonésiennes ont demandé d’exclure l’huile de palme des négociations de l’accord de libre-échange avec l’UE, fin janvier le parlement européen a voté pour l’exclure du quota européen d’agro-carburants d’ici 2021. Il va devoir convaincre la commission européenne et le Conseil européen, qui ne sont pas du même avis, mais ce vote a déjà jeté un froid sur les négociations de l’accord de libre-échange avec la Malaisie.

On va voir qui, de la Suisse ou de l’UE, va coiffer l’autre au poteau en concluant la première des accords de libre-échange avec les deux principaux producteurs d’huile de palme au monde. Cela pourrait bien être la Suisse, mais il faut alors qu’elle ne le fasse pas au détriment de la biodiversité, des droits humains et des droits des communautés locales. Cela pourrait créer un dangereux précédent.