Sur les traces du loup au Val Verzasca

Le carnivore a habité cette vallée du Tessin jusqu’à sa disparition, il y a plus de cent ans. En cherchant un vieux piège à loup, on est tombés sur Pascal Favre, un berger qui milite contre le retour de l’animal. Estimant au contraire que la nouvelle loi sur la chasse ne le protège pas assez, des associations écologistes ont lancé un referendum. Le peuple votera le 27 septembre

Un vieux livre raconte que sur les hauteurs du Val Verzasca il y avait un piège à loup. Un simple trou creusé dans le sol, entouré de pierres et camouflé par les feuilles, d’où le prédateur échoué n’avait aucune chance de sortir vivant. Au 19ème siècle, les paysans avaient construit beaucoup de lüera comme celle-ci dans cette région sauvage du Tessin, où les loups attaquaient régulièrement les troupeaux de moutons et de chèvres.

En suivant les indications aussi poétiques qu’approximatives de Montagna bella, 15 itinerari per scoprire il Ticino, d’Ely Riva (aujourd’hui épuisé), on arpente les versants abrupts de cette vallée encaissée, le long de sentiers abandonnés où l’on ne croise âme qui vive. Très vite on n’entend plus le mugissement de la Verzasca, une rivière vert émeraude dont la furie défie la blancheur immaculée d’immenses blocs de gneiss, vestiges des glaciations. Et on oublie les touristes qui en cette fin juin, après trois mois de confinement et de fermeture des frontières, reviennent avec ardeur dans les «Maldives de la Suisse» pour s’agglutiner autour du pont prétendument romain de Lavertezzo et éprouver le frisson d’une eau cristalline à 12 degrés.

La pente est raide, mais la brise qui anime la forêt de hêtres rend la montée presque légère. Une lumière vive danse entre les feuilles. Au-dessus d’un terre-plein, elle éclaire une vieille étable en pierres sèches à moitié écroulée. Au-détour d’un chemin, elle illumine une chapelle avec des fleurs en plastique et des bougies éteintes. Le jaune éclatant des genets alterne au mauve des rhododendrons, qui cède la place à l’orangé de quelques lys isolés. A l’ombre d’un cytise au jaune flamboyant on reprend son souffle en scrutant les cimes. Pourtant, malgré tous nos efforts et d’innombrables glissades sur les tapis de feuilles, nous n’avons pas trouvé le piège à loup.

Pascal Favre © Isolda Agazzi

A l’alpage, pas d’eau, ni électricité et chauffage au bois

En revanche, nous avons atteint un sommet avec une vue vertigineuse sur la vallée et la montagne d’en face, que nous avons gravi vaillamment le lendemain, en suivant les indications d’un éleveur d’ânes du coin : «N’allez pas par-là, même moi je me perds ! Les chemins sont tracés seulement près de la rivière et sur les sommets, le long de la célèbre Via Idra, mais entre deux il n’y a rien.»

C’est pourtant sur ces coteaux escarpés, sur ces sentiers impraticables ponctués de hameaux abandonnés et de quelques rustici restaurés pour accueillir les citadins du week-end, que nous avons rencontré des êtres humains, les seuls. Arrivés à un alpage, nous entendons le bêlement de chèvres que nous ne voyons pas. “Ce sont des Nera Verzasca, une pro specie rara qui ne sort que la nuit”, nous explique Pascal Favre, pointant la tête hors de l’étable. Ce bonhomme grand et mince, à la longue barbe blanche, est à lui seul une image d’épinal de la Suisse, au point que Passe-moi les jumelles, une célèbre émission de la TSR , lui a été consacrée et visionnée plus d’un million de fois. Il y a plus de 30 ans, il a quitté Neuchâtel et son métier d’instituteur pour s’installer avec son épouse sur ces terres aussi majestueuses qu’inhospitalières, y élever une septantaine de chèvres et vivre de la fabrication du fromage, qu’il vend sur les marchés du canton et envoie dans tout le pays.

Pendant les trois mois d’été il monte à l’alpage, aidé par une personne volontaire. La vie y est frugale: pas d’eau courante, ni d’électricité  – la traite des chèvres se fait à la main – et le chauffage au bois est limité à la cuisine.

La Verzasca © Isolda Agazzi

“Consternés de voir encore tant de troupeaux sans protection”

Depuis peu Pascal Favre milite contre le loup: “Le 13 avril, les moutons de mon voisin ont été attaqués par les loups, à 100 m de mon étable, détaille-t-il. Sur les quinze bêtes, quatre ont été tuées. Mes chèvres sont en liberté, c’est impossible d’installer une clôture électrique sur un terrain aussi escarpé et elles n’y sont pas habituées. Au Tessin et sur toute la chaîne alpine, le mode de gouvernance des troupeaux est le même. La configuration du sol ne permet pas d’appliquer les règles qu’on nous impose et d’ailleurs elles ne fonctionnent pas toujours: malgré les protections électriques et les chiens, les troupeaux continuent à se faire attaquer !»

Ce n’est pas l’avis d’Isabelle Germanier, responsable romande de Groupe Loup Suisse, jointe par téléphone: « En Suisse, où il n’y avait plus de prédateurs depuis cent ans, les bergers avaient peu à peu disparus mais, avec le retour du loup, ce métier revient sur le devant de la scène et retrouve ses lettres de noblesse. Pourtant nous sommes consternés de voir encore tant de troupeaux sans aucune protection, c’est irresponsable ! Nous sommes contre la nouvelle loi sur la chasse car, selon le texte mentionné, elle permettrait le tir préventif d’un loup n’ayant pas encore commis de dégâts.»

L’association accepte que le loup soit régulé – autrement dit abattu – mais selon des modalités claires et non sujettes à interprétation, ce qui n’est pas le cas selon elle. Le Groupe Loup Suisse demande également qu’un travail de fond soit fait pour que les éleveurs utilisent les moyens de protection préconisés par l’Office Fédéral de l’Environnement. « Nous conseillons des clôtures et parcs de nuit électrifiés, si possible un ou des chiens de protection et une présence humaine à proximité», conclut-elle.

Corippo, 13 habitants © Isolda Agazzi

Les paysans de montagne se sentent menacés

Pascal Favre ne l’entend pas de cette oreille : «Je n’ai pas de chiens, rétorque-t-il. On ne peut pas se payer des chiens et des clôtures, ce n’est pas la réalité des paysans de montagne. Avant il y avait dix personnes sur une exploitation, aujourd’hui à deux on peut encore y arriver, mais si on doit prendre un ouvrier on ne s’en sort pas. On fait croire aux gens que les agriculteurs sont contre la nature, c’est absurde! La société va vers le bio, la permaculture, mais des animaux en liberté sur le territoire, c’est encore mieux que le bio. Les miens mangent ce qu’il y a dehors, d’ailleurs lorsqu’on est passés au bio, je n’ai eu besoin de rien changer.»

Selon lui, le loup c’est l’arbre qui cache la forêt. Derrière il y a les constructeurs de tracteurs, l’industrie agroalimentaire qui a tout avantage à ce que les petits producteurs disparaissent. « Le loup, c’est un fait de société. Les gens doivent choisir quel type d’aliments ils veulent manger. Je ne suis pas contre le loup à 100%, mais il faut le contrôler dans certaines régions très précises et s’il sort, il faut le tuer. Pourtant ce sont les habitants des villes qui décident pour nous. En Suisse il n’y a plus que 4% de paysans et ce ne sont même pas tous des paysans de montagne. Si on disparaît les gens s’en moquent, pourtant ils veulent des produits d’alpage.»

Les vieux pièges à loup du Val Verzasca prouvent que les éleveurs ont toujours cherché à se défendre contre le loup. A titre préventif ou pas, là est toute la question.


Un “rustico”, un ancien grenier © Isolda Agazzi

Le loup en Suisse et la nouvelle loi sur la chasse

En Suisse, le loup a disparu au début du 20ème siècle, exterminé par les chasseurs. Le premier est revenu officiellement en 1995 dans le Val Ferret. Actuellement il y a environ 80 loups répartis sur plus de 20 cantons, essentiellement en Valais, dans les Grisons et au Tessin.

L’ancienne loi sur la chasse, qui date de 1985, interdit de tirer le loup, à moins qu’il pose problème sur des troupeaux gardés (au minimum une clôture électrifiée), c’est-à-dire qu’il ait tué 35 moutons en 4 mois ou 25 moutons en 1 mois. Dans ce cas, les autorités délivrent une autorisation de tir – il y en a eu 27 depuis 1995 et 14 loups ont été abattus. Le 2ème cas de figure est que le loup ait un comportement inadapté envers l’homme, ce qui n’a jamais été le cas sur les 27 autorisations de tir. Il n’y a eu aucune attaque sur l’homme en Suisse depuis 1995.

Selon l’Office fédéral de l’Environnement, depuis 2009, les loups tuent entre 150-500 chèvres et moutons par an. En 2018, 360 attaques sur 400 ont été commises sur des troupeaux n’ayant strictement aucune protection. Les élevages protégés sont nettement moins touchés : entre 10 et 30% des attaques annuelles, les loups arrivant parfois à contourner les clôtures électriques lorsque celles-ci sont le seul moyen de protection utilisé.

Jugeant que cette loi n’était plus d’actualité, le Conseil national en a adopté une nouvelle qui essaie de protéger un peu plus les espèces, mais qui autorise aussi à tirer le loup à titre préventif, selon une décision confiée aux cantons. Un comité composé de Groupe Loup Suisse, le WWF, Pro Natura et Bird Life a lancé un referendum et celui-ci a abouti. La nouvelle loi sur la chasse sera soumise à la votation populaire le 27 septembre.


Ce reportage a été publiée par l’Echo Magazine