Mille journalistes demandent la libération de Julian Assange

Photo: manifestation sur la Place des Nations à Genève Photos © Ynes Gajardo

Alors que le fondateur de Wikileaks risque d’être extradé aux Etats-Unis, où il deviendrait un « mort-vivant », plus d’un millier de journalistes du monde entier demandent sa libération, au nom de la liberté de la presse. Récemment, les révélations de sa plateforme avaient permis aux ONG de d’opposer avec succès à TISA, un accord qui prévoyait la libération extrême des services, dont les services publics, et qui aurait donné encore plus de pouvoir aux GAFA.

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander la libération de Julian Assange, actuellement détenu dans une prison de haute sécurité en Grande Bretagne, d’où il risque d’être extradé vers les Etats-Unis. Le fondateur de Wikileaks avait déjà passé sept ans comme réfugié politique à l’ambassade d’Equateur à Londres, avant d’être lâché par le nouveau président équatorien, Lenin Moreno.

Pour avoir divulgué des documents classés sur les guerres en Iraq et en Afghanistan, ainsi que des correspondances du Département d’Etat, il encourt jusqu’à 175 ans de prison aux Etats-Unis, en vertu de la loi sur l’espionnage. Il risquerait alors de devenir un « mort-vivant », selon sa propre expression, corroborée par Dick Marti, l’ancien procureur du canton du Tessin et rapporteur spécial du Conseil de l’Europe sur les prisons secrètes de la CIA – qui évite lui-même d’aller aux Etats-Unis de peur de se faire arrêter. «Julian Assange n’a pas révélé des secrets militaires qui mettent en danger la défense des Etats-Unis ou des pays occidentaux, mais des pratiques criminelles qui ont donné très mauvaise conscience à beaucoup de gouvernements. Aux Etats-Unis il y a un arbitraire complet, Assange risque beaucoup. J’espère qu’il y aura une mobilisation internationale en sa faveur », affirmait-il récemment sur le plateau de la RTS.

Le Conseil fédéral refuse l’asile ou un permis humanitaire

En Suisse, plusieurs interventions ont été déposées au Parlement pour lui accorder l’asile. Mais le Conseil fédéral a toujours répondu que Julian Assange est un journaliste d’investigation, mais qu’il n’avait pas l’intention de lier directement ses révélations à la protection des droits de l’homme. Dès lors, il ne peut pas être considéré comme un défenseur des droits de l’homme et ne peut pas recevoir la protection de la Suisse. Quant à l’octroi d’un permis humanitaire, ses chances ne sont guère plus élevées puisqu’il se trouve actuellement en Grande-Bretagne, pays qui, selon le Conseil fédéral, respecte ses obligations légales.

Début mai, des juristes suisses de renom ont réitéré la même requête, sans obtenir plus de succès pour l’instant. A Genève, une manifestation a réuni une centaine de participants le 19 décembre sur la Place des Nations pour demander sa libération.

Au niveau international, la mobilisation commence à prendre de l’ampleur, enfin. Un appel a été lancé par des professionnels des médias pour demander sa libération. A ce jour, il a été signé par plus d’un millier de journalistes de 91 pays, qui estiment que son incarcération est une violation grave de la liberté de la presse et de la liberté d’expression et pourrait constituer même un dangereux précédent pour le journalisme d’investigation. En novembre, Niels Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, a aussi recommandé de ne pas extrader Julian Assange vers les Etats-Unis. «En vingt ans de travail avec les victimes de guerre, de violence et de persécution politique, je n’ai jamais vu un groupe d’États démocratiques s’unir pour isoler, diaboliser et maltraiter délibérément un seul individu pendant si longtemps et avec si peu de respect pour la dignité humaine et l’État de droit », a-t-il affirmé.

Révélations sur TISA, l’accord étendu sur le commerce de services

Certes, Julian Assange est un personnage controversé. Pendant la campagne électorale américaine de 2016, Wikileaks a publié des emails de la candidate démocrate Hillary Clinton qui ont favorisé l’élection de Donald Trump – probablement avec l’aide de la Russie, ce qui a laissé planer de sérieux doutes sur son indépendance.

Mais Wikileaks a donné une impulsion sans précédent au journalisme d’investigation et, d’une façon générale, à la transparence dans la conduite des affaires publiques. L’un des derniers exemples en date : en 2012, cinquante pays, dont la Suisse, avaient commencé à négocier dans le plus grand secret l’Accord étendu sur le commerce de services, plus connu sous son acronyme anglais TISA. Celui-ci visait une libéralisation à outrance des services, entendus au sens très large du terme, dont les services publics. C’est grâce à Wikileaks que nous avons été avertis de l’existence de ces négociations. La plateforme a publié petit à petit tous les textes, à commencer par celui sur la libre circulation des données, qui aurait octroyé un pouvoir encore plus exorbitant aux GAFA et autorisé les pays à stocker de façon illimitée les données personnelles et à les transférer à l’étranger. La prise de connaissance de ces textes a permis à des ONG comme Alliance Sud d’alerter les parlementaires et le public et de poser les bonnes questions aux gouvernements sur des sujets sur lesquels ils n’avaient pas envie de communiquer. Finalement, les négociations de TISA ont échoué en décembre 2016.

Mais ce genre de problématiques, pour ne faire qu’un exemple, n’est pas balayée une fois pour toutes et elle risque fort de ressurgir dans les négociations sur l’e-commerce à l’OMC. Le monde a besoin de lanceurs d’alerte comme Julian Assange. Il faut le libérer-


Une version de cet article a d’abord été publiée par l’Echo Magazine