Le chant de la mort

Saman Yasin, un rappeur kurde de 27 ans, a été condamné à mort le 29 octobre, après un procès de onze minutes, pour « hostilité contre Dieu ». La répression qui s’abat sur l’Iran depuis le 16 septembre touche de façon disproportionnée les minorités kurde et baloutche

« Saman Yasin a été condamné à mort parce qu’il est Kurde. Un autre chanteur, Shervin Hajipour, qui chantait en farsi, a été arrêté pendant une semaine et libéré sous caution », nous déclare sans ambages Taimoor Aliassi, directeur de la Kurdistan Human Rights Association – Geneva, une ONG qui fait du plaidoyer auprès de l’ONU, de l’Union européenne (UE) et de la communauté internationale en faveur des minorités et des femmes en Iran, avec un accent particulier sur la lutte contre la peine de mort.

La révolte qui embrase l’Iran depuis le 16 septembre est partie du Kurdistan, après la mort en détention de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour avoir mal porté son voile. L’association genevoise estime que les Kurdes et les Baloutches sont les plus touchés par la répression : 448 personnes au moins ont été tuées, dont au moins 125 Kurdes et 130 Baloutches, ce qui en fait plus de la moitié des victimes, alors que les deux communautés ne représentent que 20% des 82 millions d’Iraniens.

Selon l’association, dans certaines provinces du Kurdistan iranien les prisons sont pleines et les gens entassés dans des garages souterrains. Le régime aurait commencé à organiser des procès par groupes de vingt personnes, condamnées pour atteinte à la sécurité nationale. « C’est contraire à toute loi iranienne et au droit international ! » En plus d’internet, l’eau et l’électricité seraient aussi régulièrement coupés au Kurdistan pendant plusieurs jours.

L’aspect religieux n’est sans doute pas étranger à cette situation : Saman Yasin est de confession Yarasan, une des plus anciennes religions du Moyen-Orient, qui compterait trois millions d’adaptes en Iran. « Le Yarasan se rapporte à la croyance zoroastrienne, qui est la religion originelle des Kurdes, continue Taimoor Aliassi. Ceux-ci n’ont jamais adhéré vraiment à la société islamique. En 1979, ils ont rejeté à 85% le régime islamique et monarchique lors d’un referendum organisé par Khomeini, qui a alors lancé une fatwa qualifiant les Kurdes de non musulmans et adopté une politique hostile et sécuritaire à leur encontre. Depuis on se bat pour un régime laïque, qui respecte les droits des femmes et des minorités ».

Ce militant bénévole a-t-il le sentiment que l’activité de son association sert à quelque chose ? « Oui, on arrive à influencer la politique, on pousse l’ONU à faire des déclarations sur la violation des droits des minorités en Iran. Mais je suis fâché contre la Suisse : l’UE a sanctionné des membres des Gardiens de la révolution [11 personnes et 4 organisations] mais Berne ne suit pas, alors qu’elle a repris toutes les sanctions de l’UE contre l’Ukraine. Elle adopte soi-disant une position de neutralité, mais celle-ci est toujours en faveur de l’oppresseur, jamais de l’opprimé. C’est un peu hypocrite. »

Le 24 novembre lors d’une session spéciale sur l’Iran, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a décidé de créer une mission d’enquête internationale indépendante. «C’est historique, elle permettra de collecter des preuves qui pourront être utilisées dans un tribunal international, régional ou national », s’enthousiasme le militant. Même si ladite mission ne pourra pas se rendre sur place ? « Oui, Téhéran n’a jamais autorisé l’accès aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à commencer par le Rapporteur spécial sur l’Iran. Mais la mission pourra utiliser les preuves collectées par d’autres instances et organisations, comme notre ONG par exemple. C’est le début de la fin du régime.»


Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine


Le 8 décembre, des experts de l’ONU ont condamné l’exécution d’un manifestant et alerté sur le sort des artistes emprisonnés, notamment Saman Yasin