En Zambie, des cheffes de village pour amener la paix

Photo: village de Zambie © Wiebke Wiesigel

Alors que la Zambie vient d’élire son nouveau président sur fond de scandales et de corruption, les chefs de village – souvent des femmes – s’emploient à résoudre les conflits. Wiebke Wiesigel, doctorante en ethnologie à l’Université de Neuchâtel, passe six mois parmi eux pour comprendre le fonctionnement de cette justice traditionnelle

Jeudi 12 août, les Zambiens se sont rendus aux urnes pour élire leur nouveau président, dans une atmosphère particulièrement tendue et de plus en plus répressive, sur fond de scandales dans l’utilisation des fonds publics et de corruption. Dans ce contexte, Wiebke Wiesigel, jeune doctorante en ethnologie à l’Université de Neuchâtel, s’est installée pendant six mois dans un village de la province de Lusaka pour écrire sa thèse sur le fonctionnement des « tribunaux coutumiers » dans la gestion des conflits. Dans ces institutions non étatiques, ce sont les chefs de village qui s’emploient à résoudre les conflits et à rendre la justice.

Wiebke Wiesiegel © Aurélie Sarrio

L’observation participante pour être au plus près des gens

Mais qu’est-ce qui pousse une jeune femme de 28 ans à s’installer dans un village zambien pour étudier la justice locale ? L’ethnologie emploie une méthodologie de recherche appelée « observation participante », qui consiste en une immersion dans les groupes étudiés pour allier entretiens et observations pratiques. « Je partage la vie quotidienne d’une famille du village dans des conditions modestes, sans eau courante, ni électricité. J’accompagne la mère au marché ou à l’église et je peux ainsi mener de nombreuses conversations informelles», nous indique-t-elle, jointe sur son téléphone portable qu’elle recharge à l’aide d’un petit panneau solaire, ou à l’hôpital du village voisin.

Ce qui intéresse la jeune ethnologue, c’est qu’il y a eu très peu de recherches sur ces institutions coutumières, alors que ce sont de loin les plus sollicitées par les Zambiens. En revanche, on a beaucoup étudié les institutions étatiques pour mener des projets de développement financés par les bailleurs de fonds. Elle ajoute que pendant longtemps l’anthropologie s’est intéressée aux marginalisés, elle a voulu donner une voix à ceux qui n’en avaient pas, mais cette perspective est quelque peu dépassée, aujourd’hui on s’intéresse davantage aux personnes dans des positions de pouvoir.

Succession matrilinéaire

Dans la région étudiée par Wiebke Wiesigel, les chefs de village sont principalement des femmes. Il s’agit d’une position transmise de génération en génération au sein d’une même famille.

« Dans les villages dans lesquels je vis, la succession est matrilinéaire, ce n’est pas l’enfant du chef qui hérite du poste de chef de village, mais celui d’une parente – sœur, tante, etc. » Il est lié à un certain prestige, mais comporte également de nombreuses responsabilités : « J’ai parlé avec une femme qui, au début, ne voulait pas assumer ce rôle car elle se trouvait trop jeune pour endosser autant de responsabilités. Elle était mal à l’aise de devoir se lever, prendre la parole en public, se donner de l’importance … mais aujourd’hui elle s’y est faite ! », nous confie-t-elle. Dépourvus d’un soutien financier du gouvernement et avec très peu d’infrastructures matérielles et humaines à disposition, les chefs de village sont très sollicités. « Une femme me racontait que les gens viennent parfois toquer à sa porte au milieu de la nuit pour lui demander de l’aide ! »

Accès à la terre et disputes conjugales

L’une des principales difficultés qu’elle constate, ce sont les déplacements. Il y a peu de bus et souvent les chefs de village n’ont pas les moyens de s’acheter un vélo. Pourtant si quelqu’un les appelle, ils doivent quitter leur travail au champ ou au marché et se rendre disponibles. A pied, cela prend vite une heure…

Sans surprise, le principal sujet de discorde porte sur les terres. Les registres fonciers sont tenus par les chefs de village et les conflits autour de la démarcation et la vente des terrains sont nombreux, d’autant plus que la très grande majorité des villageois sont agriculteurs.

L’autre sujet, ce sont les disputes conjugales. Dans ce système de justice de proximité, on accorde une grande importance à la réconciliation, un peu comme dans une médiation conjugale. La plupart des cas sont traités en public, sauf pour les questions qui touchent à la « chambre à coucher ». Si la conciliation n’aboutit pas, le différend remonte jusqu’au tribunal étatique, le seul qui peut prononcer le divorce des mariages coutumiers. Mais là il faut payer, tandis que les chefs de village touchent très peu, ou alors les personnes reconnues coupables sont astreintes à des travaux d’intérêt général, comme la construction de latrines.

La paisibilité, marque de fabrique d’un pays autoproclamé chrétien

Elle ajoute se sentir très en sécurité dans ce pays d’Afrique austral qui utilise l’argument de la paisibilité pour se démarquer. « Dans les années 1990, le président Chiluba a déclaré la Zambie une nation chrétienne et la religion joue un rôle très important dans la vie quotidienne de la majorité des gens. Également dans les tribunaux coutumiers où l’accent est mis sur la réconciliation et le dialogue, souvent avec des références explicites au christianisme et à Dieu. D’où le lien avec ma recherche. »

Est-ce que cette expérience lui plaît ? « J’adore être sur le terrain et pouvoir apprendre des chefs et des villageois ! Ils me parlent volontiers, m’invitent chez-eux et me posent également beaucoup de questions sur la Suisse. Je suis touchée par l’accueil qui m’a été réservé. Mais c’est parfois rude et pas seulement à cause des conditions de vie. Le plus dur c’est de voir des gens qui n’ont presque rien, qui doivent décider si acheter un sac de sel ou pas. Je me sens souvent impuissante même si je sais que les gens n’ont pas besoin de mon aide. »


Cet article a été publié dans l’Echo Magazine 

Les ONG accusent l’OMC de «pink-washing »

Photo: femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

En adoptant une déclaration sur les femmes et le commerce, à la ministérielle de Buenos Aires, l’OMC était accusé par les ONG de vouloir améliorer son image pour étendre des libéralisations qui menacent les droits des femmes. Une année plus tard, les critiques sont toujours aussi virulentes. 

En décembre 2017, à la conférence ministérielle de Buenos Aires, 121 membres de l’OMC ont adopté une déclaration sur le Commerce et la capacitation économique des femmes qui vise à augmenter la participation de ces dernières dans le commerce international en renforçant l’entrepreneuriat féminin. Bien que présentée comme une première dans l’histoire de l’organisation, la déclaration a aussitôt été taxée de « pink washing » par les ONG qui, dans une déclaration signée par 200 organisations féministes et alliées du monde entier, y voient une façon sournoise de faire accepter de nouveaux sujets, instrumentaliser l’égalité de genre pour renforcer le modèle néo-libéral et se concentrer sur les femmes entrepreneurs, en oubliant les autres. « Nous n’allons pas laisser utiliser les femmes comme cheval de Troie pour étendre un système qui détruit leurs vies et celles des enfants, des paysans, des travailleurs et de la planète ! », s’indignait l’activiste écologiste indienne Vandana Shiva. « Les libéralisations menées par l’OMC ont poussé les salaires et les standards du travail à des niveaux historiquement bas et permis aux investisseurs étrangers d’exploiter les femmes comme force de travail flexible et bon marché», renchérissait Joms Salvador, de Gabriela, l’Alliance des femmes philippines.

Femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

Commerce pas neutre du point de vue du genre

Pour réagir à cette « fausse bonne idée », des ONG du monde entier, dont Alliance Sud, se sont réunies dans une Gender and Trade coalition dont le Unity statement annonce clairement la couleur : une alliance féministe sur la justice commerciale pour traiter les impacts négatifs des règles commerciales sur les droits des femmes et élaborer des réponses politiques qui s’attaquent aux causes structurelles des violations « genrées » des droits humains. En d’autres termes : montrer que les politiques commerciales ne sont pas neutres du point de vue du genre. Car les femmes ne sont pas seulement entrepreneurs, mais aussi productrices, consommatrices, commerçantes, travailleuses, et principales prestataires du travail non payé. Et les libéralisations commerciales, les déréglementations, les libéralisations des services publics nuisent à leurs droits. D’où un appel à remplacer la compétition par la coopération, la croissance par le développement durable, la consommation par la conservation, l’individualisme par le bien public et la gouvernance du marché par la démocratie participative. Depuis l’adoption de la déclaration de Buenos Aires, l’OMC a organisé des séminaires sur le commerce et le genre, dont un début décembre à Genève, où la Gender and Trade Coalition s’est plainte de ne pas avoir été invitée à parler. Les présentations étaient parfois contradictoires. Une représentante de la Banque mondiale a affirmé que les entreprises exportatrices, intégrées dans les chaînes globales de valeur, emploient proportionnellement plus de femmes. Tout en reconnaissant que «la plupart des modèles [économétriques] que nous utilisons assument qu’il y a le plein emploi, personne dans le secteur informel et que les femmes peuvent passer aisément d’un secteur à l’autre – et nous savons que ce n’est pas vrai. » Une représentante du BIT a indiqué, au contraire, que les femmes travaillent surtout dans des secteurs où les droits de douane à l’exportation sont plus importants – aussi bien en Inde que dans les pays industrialisés. Et lors d’une même présentation, on a pu entendre une panéliste affirmer que le commerce est neutre du point de vue du genre et une autre dire exactement le contraire…

Buenos Aires, La Boca, © Isolda Agazzi

Dans le Mercosur, les libéralisations ont créé des emplois peu qualifiés et mal rémunérés pour les femmes 

De plus en plus d’accords de libre-échange incluent des dispositions spécifiques sur le genre – 75 (60 en vigueur) sur plus de 500 accords. La plupart de ces dispositions portent sur la coopération, d’autres sur l’égalité de genre, sur des instruments internationaux sur le genre, ou sur les politiques nationales sur le genre. Mais en cas de différend, seul l’ALE entre le Canada et Israël prévoit le recours au mécanisme de règlement des différends. Trois autres ALE prévoient des consultations. Les autres ne prévoient rien du tout. Les ALE de la Suisse ne contiennent pas de disposition spécifique sur le genre.

Dans un rapport qui vient de paraître, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) écrit que « les travaux de recherche de la CNUCED montrent que le processus d’intégration régionale entre les membres du Marché commun du Sud (Mercosur) – Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay – n’a que légèrement réduit les inégalités entre les sexes. Et si une plus grande ouverture commerciale entre les quatre pays d’Amérique du Sud a créé de nouvelles possibilités d’emploi pour les femmes, la plupart sont des emplois peu qualifiés et mal rémunérés.  L’autonomisation économique des femmes gagnerait à ce que la région s’affranchisse de sa dépendance à l’égard des produits primaires et des produits de base qui rendent les pays plus vulnérables aux chocs extérieurs et moins aptes à créer des emplois de qualité. »

La Suisse est en train de négocier un accord de libre-échange avec le Mercosur. Elle devrait étudier l’impact de cet accord proposé sur l’autonomisation économique des femmes.

Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud