Du premier homme à la dernière femme

Deux films, deux réalités si proches et pourtant si différentes en matière de droits des femmes. Adam raconte l’histoire d’une mère célibataire au Maroc. Un divan à Tunis narre les soubresauts psychiques de la Tunisie d’aujourd’hui.

Deux films de réalisatrices maghrébines, particulièrement attachants, sont actuellement à l’affiche en Suisse romande et, forcément, on est tentés de faire le lien entre les deux pays où ils se déroulent : le Maroc de Adam, de Maryam Touzani et la Tunisie de Un divan à Tunis, de Manèle Labidi.

Le premier traite, avec beaucoup de tact et de finesse, de la délicate question des mères célibataires dans un pays arabo-musulman. Au Maroc, où les femmes qui ont des relations sexuelles hors mariage sont passibles d’un an de prison et l’avortement est interdit, Samia, enceinte d’un homme qui ne sera jamais évoqué, a décidé de faire adopter son enfant dès sa naissance “pour ne pas le condamner à une vie dans la honte ». Mais sa rencontre avec Abla va ébranler cette certitude. Une battante, qui a le courage d’accueillir chez elle cette jeune femme enceinte qui traînait dans la rue, malgré les qu’en dira-t-on des voisins.

Femmes exclues du cortège funèbre

La cohabitation la changera elle-même, car Samia va obliger cette veuve aigrie, mère d’une adorable fillette, à s’ouvrir à la vie, dans une scène poignante et au son d’une chanson qui célèbre la compagnie en tant que remède à la solitude. C’est qu’Abla a perdu son mari et, à son grand regret, n’a même pas pu lui dire un dernier adieu : la tradition musulmane veut que seuls les hommes accompagnent le cercueil au cimetière.

La chaleur et l’insouciance finiront par s’installer dans cette accueillante maison de la médina de Casablanca, où les deux femmes préparent dans la bonne humeur des gâteaux traditionnels qui se vendent comme des petits pains. C’est le jour de l’Aïd que Samia accouche. Comme tout est fermé et qu’elle ne peut pas donner son enfant en adoption tout de suite, elle développera un instinct maternel contre lequel elle tente en vain de lutter et des liens très forts avec son fils, qu’elle finira par appeler Adam.

2’000 enfants naissent hors mariage chaque année en Tunisie

Un divan à Tunis n’aborde pas particulièrement la question de la femme dans la société tunisienne, même si le fait qu’une psychanalyste, de surcroît franco-tunisienne, ouvre un cabinet où elle accueille même des hommes sur son divan, suscite certains malentendus.

Mais le film donne l’occasion de rappeler quelques faits anciens et d’évoquer des développements récents. La situation de la femme y est très différente du Maroc, même si les mères célibataires y sont tout aussi mal vues. Mais en Tunisie (11 millions d’habitants) elles sont nettement moins nombreuses: 2’000 enfants y naissent hors mariage chaque année, contre 50’000 au Maroc (35 millions d’habitants).

Cela est dû probablement à un planning familial plus efficace et au fait que l’avortement y est autorisé depuis 1973. Par une décision on ne peut moins démocratique, Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante, a promulgué en 1956 le Code du statut personnel qui a aboli la polygamie, le mariage forcé et la répudiation et accordé aux femmes le droit au divorce. Peu après elles ont obtenu le droit de vote.

Ce qu’il n’a pas réglé, c’est l’épineuse question de l’héritage : la sœur hérite encore et toujours la moitié du frère, à moins que le père ou la mère ne décident autrement par testament  – cela existe. A ce jour, aucun président ni parlement n’a osé changer cette disposition inscrite dans le Coran.

Education sexuelle dès 5 ans en Tunisie

En matière de droits des femmes, les dernières avancées du seul pays rescapé du printemps arabe sont encourageantes : l’éducation sexuelle vient d’être introduite à l’école primaire pour tous les enfants dès l’âge de 5 ans, sur initiative de Yamina Zoghlami, une députée du parti islamiste Ennahdha, qui a déclaré: « Nous devons ancrer la culture sexuelle auprès des enfants. Cessons de parler de halal et haram et apprenons à l’enfant à se familiariser avec son corps.» Le but est surtout d’enrayer la pédo criminalité, suite à des scandales d’abus sexuels sur des enfants, mais cela constitue bel et bien une première dans le monde arabe.

Finalement, le 28 janvier passé, lors de l’enterrement de Lina Ben Mhenni qui, avec son blog A Tunisian girl, était devenue une icône de la révolution, ce sont des femmes qui ont porté le cercueil. Les seules litanies ont été des slogans appelant à l’égalité homme – femme, «un pied de nez aux obscurantistes de tout bord» selon des observateurs. Et la preuve que les choses peuvent évoluer.

Les ONG accusent l’OMC de «pink-washing »

Photo: femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

En adoptant une déclaration sur les femmes et le commerce, à la ministérielle de Buenos Aires, l’OMC était accusé par les ONG de vouloir améliorer son image pour étendre des libéralisations qui menacent les droits des femmes. Une année plus tard, les critiques sont toujours aussi virulentes. 

En décembre 2017, à la conférence ministérielle de Buenos Aires, 121 membres de l’OMC ont adopté une déclaration sur le Commerce et la capacitation économique des femmes qui vise à augmenter la participation de ces dernières dans le commerce international en renforçant l’entrepreneuriat féminin. Bien que présentée comme une première dans l’histoire de l’organisation, la déclaration a aussitôt été taxée de « pink washing » par les ONG qui, dans une déclaration signée par 200 organisations féministes et alliées du monde entier, y voient une façon sournoise de faire accepter de nouveaux sujets, instrumentaliser l’égalité de genre pour renforcer le modèle néo-libéral et se concentrer sur les femmes entrepreneurs, en oubliant les autres. « Nous n’allons pas laisser utiliser les femmes comme cheval de Troie pour étendre un système qui détruit leurs vies et celles des enfants, des paysans, des travailleurs et de la planète ! », s’indignait l’activiste écologiste indienne Vandana Shiva. « Les libéralisations menées par l’OMC ont poussé les salaires et les standards du travail à des niveaux historiquement bas et permis aux investisseurs étrangers d’exploiter les femmes comme force de travail flexible et bon marché», renchérissait Joms Salvador, de Gabriela, l’Alliance des femmes philippines.

Femmes au marché au Myanmar © Isolda Agazzi

Commerce pas neutre du point de vue du genre

Pour réagir à cette « fausse bonne idée », des ONG du monde entier, dont Alliance Sud, se sont réunies dans une Gender and Trade coalition dont le Unity statement annonce clairement la couleur : une alliance féministe sur la justice commerciale pour traiter les impacts négatifs des règles commerciales sur les droits des femmes et élaborer des réponses politiques qui s’attaquent aux causes structurelles des violations « genrées » des droits humains. En d’autres termes : montrer que les politiques commerciales ne sont pas neutres du point de vue du genre. Car les femmes ne sont pas seulement entrepreneurs, mais aussi productrices, consommatrices, commerçantes, travailleuses, et principales prestataires du travail non payé. Et les libéralisations commerciales, les déréglementations, les libéralisations des services publics nuisent à leurs droits. D’où un appel à remplacer la compétition par la coopération, la croissance par le développement durable, la consommation par la conservation, l’individualisme par le bien public et la gouvernance du marché par la démocratie participative. Depuis l’adoption de la déclaration de Buenos Aires, l’OMC a organisé des séminaires sur le commerce et le genre, dont un début décembre à Genève, où la Gender and Trade Coalition s’est plainte de ne pas avoir été invitée à parler. Les présentations étaient parfois contradictoires. Une représentante de la Banque mondiale a affirmé que les entreprises exportatrices, intégrées dans les chaînes globales de valeur, emploient proportionnellement plus de femmes. Tout en reconnaissant que «la plupart des modèles [économétriques] que nous utilisons assument qu’il y a le plein emploi, personne dans le secteur informel et que les femmes peuvent passer aisément d’un secteur à l’autre – et nous savons que ce n’est pas vrai. » Une représentante du BIT a indiqué, au contraire, que les femmes travaillent surtout dans des secteurs où les droits de douane à l’exportation sont plus importants – aussi bien en Inde que dans les pays industrialisés. Et lors d’une même présentation, on a pu entendre une panéliste affirmer que le commerce est neutre du point de vue du genre et une autre dire exactement le contraire…

Buenos Aires, La Boca, © Isolda Agazzi

Dans le Mercosur, les libéralisations ont créé des emplois peu qualifiés et mal rémunérés pour les femmes 

De plus en plus d’accords de libre-échange incluent des dispositions spécifiques sur le genre – 75 (60 en vigueur) sur plus de 500 accords. La plupart de ces dispositions portent sur la coopération, d’autres sur l’égalité de genre, sur des instruments internationaux sur le genre, ou sur les politiques nationales sur le genre. Mais en cas de différend, seul l’ALE entre le Canada et Israël prévoit le recours au mécanisme de règlement des différends. Trois autres ALE prévoient des consultations. Les autres ne prévoient rien du tout. Les ALE de la Suisse ne contiennent pas de disposition spécifique sur le genre.

Dans un rapport qui vient de paraître, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) écrit que « les travaux de recherche de la CNUCED montrent que le processus d’intégration régionale entre les membres du Marché commun du Sud (Mercosur) – Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay – n’a que légèrement réduit les inégalités entre les sexes. Et si une plus grande ouverture commerciale entre les quatre pays d’Amérique du Sud a créé de nouvelles possibilités d’emploi pour les femmes, la plupart sont des emplois peu qualifiés et mal rémunérés.  L’autonomisation économique des femmes gagnerait à ce que la région s’affranchisse de sa dépendance à l’égard des produits primaires et des produits de base qui rendent les pays plus vulnérables aux chocs extérieurs et moins aptes à créer des emplois de qualité. »

La Suisse est en train de négocier un accord de libre-échange avec le Mercosur. Elle devrait étudier l’impact de cet accord proposé sur l’autonomisation économique des femmes.

Cet article a d’abord été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud