Demain, à Genève, la vie sera plus verte. Ailleurs aussi

Photo: la rade de Genève © Isolda Agazzi

L’engouement pour Demain Genève ne tarit pas. Le documentaire genevois, qui présente des solutions locales pour le développement durable, s’exporte en Suisse romande et fait des émules à l’étranger. Car les problématiques qu’il aborde sont universelles, que ce soit au Nord ou au Sud du monde.  

La file d’attente devant le cinéma Les Scala, à Genève, est exceptionnelle. Le film que la plupart des spectateurs sont venus voir ? Demain Genève, un documentaire qui fait salle comble depuis deux mois et avoisine les 6’000 entrées. Le temps maussade de ce jour férié et la curiosité compréhensible des spectateurs pour des images qui leur sont familières (et un sujet qui ne l’est pas forcément) n’expliquent pas tout : comme son précurseur, Demain, dont il s’inspire ouvertement, Demain Genève est un véritable phénomène de société, destiné à susciter des vocations dans d’autres villes et bien au-delà de la Suisse.

Le sujet est relativement simple : comment réaliser le développement durable, ici et maintenant? De jeunes Genevois ont  pris leur caméra pour montrer que dans leur ville aussi des solutions existent, à commencer par quelques secteurs clé : l’économie sociale et solidaire, l’agriculture de proximité, la gouvernance participative, les énergies alternatives, l’habitat durable. Faute de moyens, et bien dans l’esprit du film, ils se sont tournés tout naturellement vers les réseaux sociaux pour solliciter un financement participatif. «Nous avons rassemblé 106’000 CHF en 45 jours, c’est de la folie ! S’enthousiasme Grégory Chollet, le responsable marketing. Des apports complémentaires par des entreprises privées et des fondations nous ont permis de boucler le budget du film : 250’000 francs. » Un film tourné en un temps record : de juin 2016 à octobre 2017.

400 projets recensés à Genève

« On ne s’attendait pas à trouver autant d’initiatives à Genève ! Renchérit Gwendolyn Cano, une autre responsable de l’équipe. Au début on se demandait même si on allait avoir assez de projets pour nourrir un film, mais finalement il y en a beaucoup plus que nous imaginions. On a reçu des centaines de sollicitations et, lors du lancement de la campagne participative, il y avait 900 personnes ! L’association Demain Genève, que nous avons créée, recense à ce jour 400 initiatives dans la région – et encore, on ne les connaît pas toutes  –  et les informations pour aider les citoyens à adopter les bons gestes.»

Ces initiatives portent sur l’agriculture et l’alimentation, avec des fermes innovantes de la campagne genevoise. Le mot clé : favoriser l’agriculture bio, locale et de saison et éliminer les intermédiaires. Un concept tout droit issu du commerce équitable, dirons-nous, à ce jour utilisé dans les pays en développement, mais qui se révèle très utile sous nos latitudes aussi pour permettre à nos petits paysans de vivre décemment.

Estelle est membre de l’association AOC, qui fait partie du collectif Beaulieu, créé dans les années 2000. Lorsque la Ville de Genève a abandonné la petite zone horticole du parc Beaulieu, des habitants se sont associés pour lancer un projet social et d’agriculture urbaine.  « Le collectif regroupe une dizaine d’associations qui cultivent des plantons bio qu’elles vendent au printemps, vendent des légumes en accès libre et essaient d’entretenir des espèces de légumes et de plantes locales pour favoriser la biodiversité. On a aussi des poules locales et des abeilles et on collecte du miel. Une autre association fait pousser de l’indigo pour faire de la couleur et produit des tisanes bio. Avant il y avait même des producteurs de bière. J’habite à côté et c’est magnifique d’apprendre à cultiver des légumes et des fruits, à connaître le cycle des saisons et de voir pousser ce qu’on plante ! »

Projet d’agroécologie au Myanmar © Isolda Agazzi

Inspiré des projets de développement dans les pays du Sud

Il y a ensuite des restaurants qui, en plus des francs suisses, acceptent le Léman, une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée qu’entre acteurs du bassin lémanique, dans le but de promouvoir l’économie locale et de limiter la spéculation. Côté économie on trouve des entreprises sociales et solidaires qui se soucient du bien-être de leurs collaborateurs, essaient de préserver l’environnement, ou qui, comme la Banque alternative, ne financent que des projets répondant à des critères socio-environnementaux stricts. Des entreprises qui essaient autant que possible de réparer, récupérer et recycler au lieu de jeter.

Dans le secteur de l’énergie figurent des entreprises ou sociétés de conseil qui s’efforcent de consommer moins d’énergie et de promouvoir une énergie verte et locale, comme un ingénieux système de refroidissement des bâtiments grâce à l’eau du lac Léman. Les initiatives urbanistiques, quant à elles, se déclinent en coopératives et projets d’éco-quartiers avant-gardistes. Tout cela, évidemment, dans une approche participative, où les décisions se prennent ensemble et de bas en haut, tant au niveau de l’entreprise, de la communauté, du quartier que de la ville. Ce qui nous frappe c’est que, de nouveau, c’est une approche traditionnellement utilisée dans les projets de développement au Sud ! La démocratie directe suisse favorise évidemment ce genre d’approche, mais elle ne suffit pas, il faut une réelle volonté d’aller plus loin.

Approche participative au Myanmar © Isolda Agazzi

 

Première à Lausanne complète, mais les projections continuent

Dernièrement, le film a franchi les frontières du canton pour être projeté ailleurs en Suisse romande. Une avant-première est organisée le 28 avril à Lausanne, en présence de l’équipe. Les billets sont partis en quatre jours ! Elle est co-organisée par Pain pour le prochain, une ONG active dans le développement des pays du Sud. Elle y soutient la souveraineté alimentaire, la protection des semences, les droits humains, l’accès à la terre et à l’eau. « Depuis deux ans, nous essayons de promouvoir cette vision de l’économie et de l’environnement aussi en Suisse, pour donner une cohérence à notre discours, nous explique Daniel Tillmanns, le chargé de communication. Nous avons créé un laboratoire de la Transition pour susciter une réflexion sur un nouveau paradigme social et économique qui respecte le vivant. D’où notre soutien pour des initiatives de transition locale. »

Mais comment expliquer un tel engouement pour des modèles autrefois considérés comme « alternatifs » et de niche ? « Notre système dominant de consumérisme montre ses limites. Les gens veulent donner un sens à leur vie et à leur travail. Ce film illustre des initiatives concrètes et porteuses d’espoir, à la portée de tous. Il montre que tu peux donner ta petite contribution et faire partie d’un mouvement qui, un jour, va amener un véritable changement. Peut-être que ça sera une révolution… »

L’association Demain Genève a été approchée par un groupe de jeunes qui souhaitent tourner Demain Portugal. Un réalisateur libanais serait aussi intéressé… Nul doute, au niveau local la révolution du développement durable est bel et bien en marche. Aujourd’hui déjà.

Cultiver le bonheur dans son jardin

Photo: paysanne dans l’Etat Shan, Myanmar, © Isolda Agazzi

Changer soi-même pour changer le monde. Passer du local au global. Le mouvement de la Transition renverse les perspectives : la recette du bonheur serait à portée de main, pourvu de bien mélanger le spirituel, le social et l’environnemental. 

C’est un formidable mouvement d’espoir qui prend de plus en plus d’ampleur. « Il faut une grande transition : spirituelle, environnementale et sociale. Ces trois éléments doivent aller de pair, comme les trois fleuves sacrés de l’Inde – le Gange, le Jamuna et le Saraswati –, célébrés tous les trois ans dans le plus grand pèlerinage du monde, le Kumba Mela » s’exclame Satish Kumar, invité par Action de Carême et Pain pour le prochain pour parler de la Transition, le thème de la campagne œcuménique 2018.

Né au Rajastan en 1936, mais installé de longue date en Angleterre, cet ancien moine jaïn est l’un des pionniers de la Transition, un mouvement lancé en 2006 dans la ville anglaise de Totnes avec un autre militant célèbre, Rob Hopkins, et devenu mondialement connu grâce au film Demain. La transition extérieure consiste à passer des énergies fossiles aux renouvelables et de la mondialisation à des systèmes économiques plus localisés. Elle vise à réduire les inégalités et accroître la justice sociale. Elle exhorte à se prendre en main sans attendre que le gouvernement, ou le secteur privé, le fassent. Mais elle ne peut réussir que si elle va de pair avec une transition intérieure, spirituelle et psychologique, car l’avidité se niche au cœur de l’homme. «Quand on reçoit quelque chose dont on a besoin, il y a abondance. Mais quand on achète par avidité, la rareté s’installe car ce n’est jamais assez », assure cet hédoniste, qui appelle à croquer la vie à pleines dents et à ne pas travailler plus de quatre heures par jour « car le temps et les relations sont plus importantes que l’argent. Il faudrait utiliser son temps pour nourrir son âme, son imagination et son esprit par une spiritualité qui transcende les religions». Ce qu’on appelle la frugalité heureuse.

Si une récente étude semble lui donner raison – elle affirme qu’au-delà de 7’800.- de revenu mensuel notre bonheur n’augmente pas – cette philosophie, qui est aussi un projet politique et économique, est-elle pour autant réaliste ? Satish Kumar en est convaincu. Et de citer l’exemple des villes anglaises en transition, où les jeunes et les personnes âgées travaillent dans les mêmes jardins potagers et se partagent les récoltes, les habitants lancent des projets d’énergie renouvelable qui appartiennent à la communauté et non aux grandes entreprises et, quand on tombe malade, on se demande pourquoi avant d’aller chez le médecin. Comme la réponse se trouve souvent dans la solitude et l’isolement, les habitants prennent soin les uns des autres. Un appel qui semble avoir été entendu : la Grande Bretagne vient de créer un ministère de la solitude pour faire face à un fléau social qui touche neuf millions de personnes.  Une première mondiale.

Comment passer du local au global ?

Lorsqu’on objecte que ce genre d’initiatives marchent au niveau local, mais beaucoup moins au niveau national et international, Satish Kumar ne se laisse pas désarçonner. Il cite l’exemple du Bouthan, qui a adopté le Bonheur national brut, un indicateur qui mesure le développement socio-économique, mais aussi le bien-être psychologique, la santé, l’utilisation du temps, l’éducation, la diversité culturelle, la bonne gouvernance, la vitalité de la communauté, la diversité et résilience écologique et les standards de vie. « Le Bouthan est en transition d’une société agricole, qui était très pauvre, à une société écologique basée sur la justice sociale et la durabilité économique et imprégnée d’une grande spiritualité. » Il cite aussi le cas de l’Inde, avec des personnalités comme Vandana Shiva et les mouvements inspirés de Gandhi, encore très vivants. Ou le Danemark, où 40% de l’énergie est désormais produite à partir de sources renouvelables.

Il affirme que la transition est un processus qui se déploie en plusieurs niveaux : le premier est celui de la transition personnelle, où l’on essaie de consommer moins, travailler moins, cultiver son jardin, méditer, s’adonner à la vie spirituelle et participer à la vie de la communauté. Ensuite vient le niveau de la famille, où l’on essaie d’adopter une attitude écologique en polluant moins. Vient ensuite le niveau de la ville (en Suisse romande des initiatives intéressantes fleurissent à Genève, Bienne et Meyrin, entre autres) ; et pour finir le niveau national et même international.

« Le mouvement de la transition est très vaste, conclue-t-il. Des millions de personnes s’engagent dans le monde – défenseurs de l’environnement, activistes sociaux, défenseurs des droits humains, adeptes de l’agro-écologie, personnes actives dans la santé holistique. Parfois ils ne mettent pas d’étiquette, mais la grande transition consiste à voir tout cela dans son ensemble. Un grand changement est en marche, qui touche même les gouvernements : voyez l’accord de Paris sur le changement climatique ».

Pourvu que des gouvernements peu intéressés ne viennent pas torpiller ce bel élan, se dit-on… Après on pense aux grandes villes, Etats fédéraux et entreprises américaines qui ont décidé de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre malgré le retrait annoncé des Etats-Unis de l’accord de Paris et on se dit que oui, c’est un beau message d’espoir.