Photo © Isolda Agazzi
Vue d’Afrique, l’Europe souffre d’une impréparation flagrante à la pandémie. Les mesures adoptées chez nous suscitent beaucoup d’étonnement en raison de leur dureté et parce qu’elles ont été décidées sans consulter la population, ni s’appuyer sur les communautés locales. Mais qu’est-ce une communauté en Europe ?
« Pour lutter contre la pandémie, l’Europe devrait s’inspirer des méthodes qui ont fait leur preuve dans la coopération au développement: impliquer les communautés locales et faire remonter les décisions de bas en haut, au lieu d’imposer aux citoyens des décisions qu’ils ne comprennent pas » s’exclamait récemment le responsable d’une ONG du Bangladesh dans les colonnes d’un quotidien tanzanien.
Il faut reconnaître que vue d’Afrique, la gestion de la pandémie sous nos latitudes interpelle. Là-bas, les mesures de confinement sont beaucoup moins strictes et la vie continue. Certes, le continent a été frappé beaucoup moins durement par le covid (112’800 décès, sur 2’800’000 en tout dans le monde) probablement parce que la population y est plus jeune, qu’elle a peut-être des défenses immunitaires plus fortes, qu’il fait chaud et que la vie se déroule au grand air. Mais cela n’explique pas tout.
« L’Afrique fait preuve d’une résilience remarquable »
« L’Afrique est souvent frappée de présomption de fragilité, or le continent fait preuve d’une résilience remarquable », souligne Virginie Collinge, une consultante belge qui offre des services de conseil en management et stratégie, notamment dans le contexte de gestion de crises. Pour cette coutumière des situations fragiles et complexes, l’Occident donne parfois l’impression d’avoir abordé la gestion de la crise d’une manière un peu arrogante et irresponsable. « Quand l’Europe s’est découverte vulnérable, elle a opté pour l’hibernation et la prudence. Aujourd’hui elle reste prostrée, tandis que l’Afrique est en mouvement !» nous déclare-t’elle par téléphone depuis Addis Abeba, en Ethiopie.
Elle souligne que certains pays du Sud sont expérimentés en gestion de crise et ont davantage conscience de leurs capacités, par exemple au niveau de leurs systèmes de santé, ce qui leur a permis de réagir rapidement à l’apparition du Covid. « Dans nos pays dits développés, nous avons constaté un état d’impréparation complet. En Afrique et ailleurs, il y a une expertise en matière de préparation aux urgences et aux crises qui n’est pas seulement technique et matérielle, mais aussi mentale. La façon d’accepter l’évènement et la contrainte est différente. En Europe nous sommes dans des sociétés très administrées, où les grandes questions existentielles telles que la vie, la mort, ce qui est essentiel, accessoire, sont désormais gérées par des bureaucrates. »
S’appuyer sur les communautés
Si chez nous beaucoup d’individus attendent encore tout de l’Etat, en Afrique les gens n’en attendent plus rien et s’organisent entre eux. «Chaque individu a une responsabilité, un rôle à jouer car l’engagement et l’adhésion communautaire sont critiques, encore davantage en situation d’épidémie, renchérit-elle. Si tu n’as pas la population avec toi, tu ne peux rien faire. En Europe, certains gouvernements ont beaucoup trop négligé la communication, qui doit être envisagée de manière holistique avec les aspects humains, logistiques et sécuritaires. La mobilisation de la population a été insuffisante. »
Oui mais si en Afrique on entend le mot « communauté » à tous les coins de rue, en Europe a-t-il encore un sens ? « En Europe il y a encore des communautés et certains ont abordé la crise en allant vers les autres – les voisins par exemple – même si c’est plus facile à faire quand on vit en zone rurale. D’autres se sont organisés pour faire bloc face à des décisions disproportionnées, une réponse jugée trop dure par rapport à la menace. Depuis l’Afrique, beaucoup regardent l’Europe avec étonnement : comment justifier de confiner une population saine si on ne se donne pas la peine de tester massivement et organiser de manière efficace le contact-tracing ?»
Selon Virginie Collinge, il y a une difficulté des gouvernements européens à organiser une réponse de crise autour de valeurs essentielles, comme le respect, la communication, la confiance des communautés locales. « Un socle robuste de valeurs communes aide à créer une vision à long terme, à rassembler. Les systèmes vivent et se construisent avec les personnes qui sont au cœur des communautés. La réponse ne peut être efficace que si l’on passe par la population et les personnes d’influence respectées, comme les leaders religieux avec qui nous avons activement collaboré durant l’épidémie d’Ebola en Guinée. Ici à Addis Abeba, qui est la capitale diplomatique de l’Afrique, j’ai l’impression qu’on est déjà en train de préparer l’ère post-covid. Le continent est en mouvement, il prend des risques et il avance », conclut-elle.
Une version de cette chronique a été publiée par l’Echo Magazine