L’Equateur condamné à indemniser Chevron

Photo @UDAPT

La Cour permanente d’arbitrage vient de condamner l’Equateur à indemniser Chevron, pourtant accusé d’avoir pollué l’Amazonie pendant 30 ans via sa filiale Texaco. Une bataille juridique qui dure depuis un quart de siècle, mais les militants équatoriens se sentent maintenant abandonnés même par leur gouvernement.

Il y a des jours où on se dit que le monde est tombé sur la tête… Le 7 septembre, le bras de fer qui oppose l’Equateur au pétrolier Chevron Texaco depuis 25 ans a connu un nouveau rebondissement. Et des plus hallucinants. La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a condamné l’Equateur à payer des dommages et intérêts – dont le montant n’est pas encore connu – au pétrolier américain, sur la base du traité de protection des investissements entre les Etats-Unis et l’Equateur. L’Equateur a pourtant dénoncé ce traité en 2017 – comme tous ses traités bilatéraux d’investissement, dont celui avec la Suisse, mais ces derniers comportent une clause qui protège les investisseurs étrangers encore pendant vingt ans. Il faut dire que l’Equateur a fait l’objet de pas moins de 23 plaintes d’investisseurs étrangers, pour la plupart dans le secteur du pétrole et du gaz.

Cette affaire remonte à 2011, lorsque la justice équatorienne a condamné Chevron à payer 9,5 milliards USD pour la pollution de l’Amazonie causée par sa filiale Texaco. Chevron a toujours affirmé que cette sentence était le fruit de la fraude et la corruption et intenté moult recours devant les tribunaux américains – qui lui donnaient raison – et équatoriens – qui lui donnaient tort. En 2018, la cour constitutionnelle d’Equateur a validé définitivement la sentence. Au niveau international, Chevron a intenté deux procès devant des tribunaux d’arbitrage, dont il a gagné le premier – mais la sentence a été suspendue – et maintenant aussi le deuxième.

30’0000 paysans et autochtones contre l’un des majors pétroliers

Cette interminable bataille juridique est aussi étourdissante que passionnante. C’est l’illustration même de la lutte de David contre Goliath. David : 30’000 paysans et communautés autochtones qui demandent des dédommagements pour le déversement de plus de 80’000 tonne de résidus pétroliers dans la région de Lago Agrio par Texaco, entre 1964 et 1992. Dès 1993 ils commencent à s’organiser – internet a beaucoup aidé –, se rassemblent, se battent pour leurs droits avec l’aide d’avocats locaux et internationaux, dont ceux de UDAPT et CDES, deux ONG équatoriennes qui viennent de publier une lettre ouverte pour protester contre la sentence du 7 septembre.  Goliath : l’un des plus puissants pétroliers du monde, qui affirme que Texaco a tout nettoyé – un mémorandum a même été signé avec le gouvernement équatorien – et qu’elle n’est plus responsable de la pollution restante. Ce à quoi les plaignants rétorquent que la dépollution n’a pas été faite convenablement. Pour preuve : le taux de cancers dans la région de Lago Agrio est nettement supérieur à la moyenne nationale et va même croissant – 2000 morts à ce jour.

Habitués des batailles à armes inégales, les signataires de la lettre ouverte découvrent maintenant avec effarement qu’ils ont perdu un allié de taille: leur propre gouvernement. Ils s’étranglent de l’attitude du nouveau cabinet de Lenin Moreno qui, le 6 septembre, a annoncé vouloir respecter la sentence arbitrale pour mettre fin au différend avec Chevron. Un virage à 180° par rapport à l’attitude de son prédécesseur, Rafael Correa. Ce dernier avait fait adopter une nouvelle constitution qui interdit le transfert de la juridiction souveraine à des tribunaux internationaux d’arbitrage, avait lancé une vaste campagne pour dénoncer les crimes contre la nature commis par les pétroliers et s’était engagé activement pour un traité contraignant sur les multinationales et les droits humains, négocié sous les auspices des Nations Unies à Genève. Un engagement qui s’est affaibli récemment, selon les signataires de la lettre.

« En tant que UDAPT, nous continuons notre combat pour l’accès à la justice et la réparation, s’exclame Pablo Fajardo Mendoza, l’un des avocats de l’association, même au cas où l’Etat équatorien bloquerait notre accès à la justice, nous persécuterait et nous mettrait en prison pour nous neutraliser. Nous ne pouvons pas laisser notre Amazonie, nos communautés autochtones  et paysannes continuer à être victimes de délits commis par les multinationales – et maintenant avec la complicité de l’Etat. »