Là-haut sur la montagne, il n’y avait pas la guerre

Lac de Band-e Amir, Afghanistan @ Louis Meunier

Si haute soit la montagne, de Louis Meunier, est une échappée poétique dans les montagnes d’Asie centrale, pour sillonner des pays dont on parle peu, ou seulement pour en raconter les horreurs – à commencer par l’Afghanistan.  Et qui montre ce qu’il y a de commun à tous les montagnards  

L’auteur – réalisateur français, installé depuis peu dans la région genevoise, s’y glisse, avec une empathie désarmante, dans la peau d’une panthère des neiges, d’une grue cendrée et de personnages plus pittoresques les uns que les autres. A commencer par un Français un peu paumé, parti se battre avec les Kurdes d’Irak pour défendre le Sinjar, la montagne sacrée des Yézidis persécutés par Daech, dans le but de gagner le respect de sa fille.

« Mon livre est une échappée littéraire et philosophique, sans ambition géopolitique, né à partir d’expériences humaines dans des régions qu’on connaît très peu, nous explique Louis Meunier, attablé dans le quartier multiculturel des Pâquis, à Genève. Je fais des films et toutes ces histoires sont inspirées de tournages, de gens que j’ai rencontrés. »

Louis Meunier@ Grégoire Belot

« Dans les Alpes ou le Ladakh, les montagnards se ressemblent »

D’où des nouvelles qui se lisent les yeux écarquillés, comme on regarderait des images couleur sépia de contrées lointaines, mais qui paraissent étonnamment familières. Car pour lui, les montagnards se ressemblent, que ce soit dans les Alpes ou le Ladakh : même esprit rude ; même vie rythmée par le cycle des saisons, qui pousse à s’attacher à la vraie valeur des choses – quand on reçoit une galette à 5’000 m altitude, on apprécie autant la nourriture que celui qui vous l’offre. « Les montagnards sont loin du rouleau compresseur de la civilisation. Je ne juge pas, tout le monde a le droit d’avoir la télévision, mais aujourd’hui la montagne est un refuge contre une société assez inégalitaire, destructrice, sans âme, où l’on atteint les limites de la consommation, dans un capitalisme à outrance qui annihile toute forme de liberté individuelle », lance-t-il.

Louis Meunier@ Laure Chichmanov

Réfugiés obligés de vendre leurs organes

L’idée du prologue, qui se déroule « quelque part dans l’Indou Kouch », est tirée d’une réalisation qu’il a dû arrêter lors la prise de Kaboul par les talibans – des combattants qu’il a visiblement côtoyés, à en juger par l’humanité de la nouvelle narrant la rencontre d’un des leurs et d’un berger. Ou la sensibilité du « Prince de Pigalle », l’histoire d’un Afghan amoureux, échoué à Paris après moultes péripéties. « La vente d’organes est de plus en plus répandue parmi les réfugiés, mais on en parle très peu. Les Afghans sont férus de poésie, ils ressentent beaucoup de douleur à quitter leur terre natale, il y a de la naïveté dans leurs relations amoureuses », confie-t-il.

Ce passionné d’Asie sait de quoi il parle: il a passé dix ans en Afghanistan, où il a travaillé pour une ONG – une aventure racontée dans son premier roman, La Terre des cavaliers – et où il est revenu souvent. Convaincu que l’information est un vecteur de développement et peut faire la différence dans un contexte de crise, il a créé Taimani Communications, une maison de production et agence de communication basée à Kaboul, avec des branches à Amman et à Paris. Celle-ci mène des campagnes sur des sujets variés, qui vont de la vaccination des enfants à l’obtention d’un permis de travail lorsqu’on est un réfugié syrien.

Montagnes d’Afghanistan @ Louis Meunier

Dans le Wakhan, l’un des endroits les plus pauvres du monde

Nomades d’Iran, l’instituteur des monts Zagros – un film sorti en 2020 qui suit la transhumance de deux enfants nomades incapacités d’aller à l’école – lui inspire l’histoire d’un garçonnet du Ladakh destiné à devenir berger, alors que son frère est envoyé au couvent pour apprendre à lire et à écrire. Avec son amie, une grue cendrée estropiée, il veille sur son grand-père qui glisse vers la mort, appréhendée comme la suite naturelle de la vie, avec une sérénité qui se dégage de la plupart des nouvelles.

Il y a aussi des histoires à contrepied de la bien-pensance, tel ce médecin français parti dans le Wakhan, le dernier refuge des Kirghizes d’Afghanistan et l’un des endroits les plus pauvres de la planète, pour vacciner la population. « Dans cette région complètement isolée, où l’espérance de vie des femmes est de 32 ans et les gens se soignent à l’opium, un équilibre fragile s’est créé entre la population – 1’200 âmes -, les troupeaux et les pâturages », commente l’auteur.

A l’heure où la protection de la nature s’impose partout sur la planète, on est médusé par le franc-parler du berger du Pamir dont le troupeau de yacks s’est fait tuer par les loups, et qui peste contre les nouvelles règles qui interdisent d’utiliser son fusil. « Dans le Pamir, beaucoup de chasseurs ont été reconvertis en rangers, ce qui suppose un changement brutal de mode de vie plein de contradictions », explique Louis Meunier.

« Ali veut croire que leurs différences sont autant de raisons de se rejoindre, que les anges ont tissé des fils entre eux, que si haute soit la montagne on peut toujours trouver un chemin vers son sommet… ». En ces temps troublés, l’Afghan amoureux de Pigalle nous offre, comme l’âme de tout ce livre, une élévation bienvenue de l’esprit.


Louis Meunier, Si haute soit la montagne, Calmann-Lévy, 2022

Une version de cette chronique a été publiée dans l’Echo Magazine