La société civile du Mercosur rejette l’accord avec l’UE

Le 28 juin, l’UE et le Mercosur annonçaient la conclusion d’un accord de libre-échange dont les négociations auront duré 20 ans. Les paysans et les écologistes européens sont loin d’être les seuls à s’y opposer : les syndicats, ONG, mouvements sociaux et intellectuels latino-américains le rejettent aussi fermement.

Contrairement à ce que laisse trop souvent entendre la presse européenne, les paysans et défenseurs de l’environnement de l’UE ne sont pas les seuls à s’opposer à l’accord de libre-échange signé vendredi passé. Si les gouvernements du Mercosur (Argentine, Uruguay, Paraguay et Brésil) saluent un succès diplomatique, la société civile de la région le rejette fermement et se mobilise pour empêcher sa ratification. Car, rappelle-t-elle, cet accord va bien au-delà de l’exportation facilitée vers l’UE de viande et soja – dont le prix sur le marché international ne cesse d’ailleurs de baisser.

Dans une pétition en ligne relayée par la Plataforma America Latina mejor sin TLC, des intellectuels et universitaires argentins critiquent le fait que l’accord ait été négocié dans le plus grand secret et sans qu’aucune étude d’impact préalable n’ait été effectuée par l’Argentine. Maintenant que les grandes lignes du texte sont connues, ils affirment que, bien que dénommé « accord de libre-échange », ce traité va au-delà des frontières pour empiéter sur des politiques nationales souveraines, comme les droits de propriété intellectuelle, les services, le secteur financier, les indications géographiques et les politiques gouvernementales. Il limite la capacité des Etats à réguler dans l’intérêt public et il va avoir un impact particulièrement négatif sur les services de base tels que la santé, l’éducation et l’eau potable, affectant principalement les femmes et les secteurs les plus vulnérables de la société.

Marchandisation de la santé par le renforcement des droits de propriété intellectuelle

Selon la Coordinadora de Centrales sindicales del Cono Sur, la puissante faîtière qui regroupe les 20 principales centrales syndicales de la région, l’accord « signe l’arrêt de mort de notre industrie, de l’emploi décent et du travail de qualité », notamment dans la technologie, le système maritime et fluvial, les œuvres publiques, les marchés publics, les laboratoires médicaux, l’industrie automobile et les économies régionales (surtout celles liées à l’huile d’olive, aux vins et aux produits laitiers). Ce à cause de la baisse des droits de douane dans des secteurs industriels stratégiques, qui vont rendre l’importation de produits manufacturés européens moins chers, au détriment de la production locale. En cause aussi la libéralisation des marchés publics, qui permettra aux entreprises européennes de participer aux appels d’offre sur un pied d’égalité avec les entreprises locales. Ces dernières, dont beaucoup de PME, ne sont souvent pas (encore) compétitives. Jusqu’à présent elles étaient protégées par des droits de douane pouvant aller jusqu’à 35%, que l’accord vise à démanteler progressivement. Au grand dam de l’industrie et de l’emploi local.

Dans un communiqué intitulé « Notre santé n’est pas négociable», le Grupo Efectos Positivos met en garde contre l’impact sur la santé du renforcement des droits de propriété intellectuelle prévus par l’accord, qui vont au-delà des dispositions de l’OMC. Il prévoit notamment une prolongation de la durée des brevets au-delà de 20 ans et la protection des données test, qui vont rendre plus longue et onéreuse la production et commercialisation de médicaments génériques.

Les problèmes de l’accord avec l’AELE sont les mêmes

Lors d’une journée continentale, les mouvements sociaux de la région ont rejeté l’accord de libre-échange avec l’UE au nom du droit à réguler, à protéger les industries naissantes et à exiger le transfert de technologies. A leur tour, elles ont dénoncé la libéralisation des marchés publics, la marchandisation du droit à la santé et la dérégulation des services.

Pour le sénateur argentin Fernando Solana, « l’accord Mercosur-UE confirme une politique qui viole notre production et notre souveraineté économique. C’est un jour noir pour les intérêts nationaux ».

L’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse est membre, négocie un accord de libre-échange avec le Mercosur depuis deux ans. L’UE et l’AELE étant en compétition constante, les négociations pourraient aboutir très prochainement. Les problèmes que cet accord pose du point de vue du développement sont les mêmes que celui avec l’UE.

 

 

Malgré la répression des Ouighours, la Suisse entretient des relations privilégiées avec la Chine

Photo: Rebiya Kadeer à Berne, 23 novembre 2010

La Suisse a été l’un des premiers  – et des rares – pays occidentaux à conclure un accord de libre-échange avec la Chine. Ceci lui confère une responsabilité particulière, alors que l’ONU vient de dénoncer l’internement d’un million de musulmans dans des camps de rééducation au Xinjiang.

Kashagar, Urumqi… Des villes mythiques sur la route de la soie, des noms qui ont fait rêver des générations entières de voyageurs, dont l’auteure de ces lignes lorsqu’elle sillonnait la Chine en 1990, une année à peine après le massacre de Tiananmen. Elles se trouvent au Xinjiang, une province à l’extrême ouest de la Chine, peuplée par la minorité musulmane des Ouighours.  On rejoint d’ailleurs Kashgar par la vertigineuse Karakorum Highway, l’une des routes les plus hautes du monde, qui relie le Pakistan à la Chine. Et l’ambiance y est complètement différente que dans le reste du pays, peuplé majoritairement par les Han: les souks bariolés, les mosquées, les effluves d’épices et les couvre-chefs typiques nous rappellent qu’on est bien en Asie centrale.

Ou plutôt, l’ambiance y était très différente, car l’uniformisation est en marche. En marche forcée même, comme l’a confirmé officiellement, à Genève, le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU: un million d’Ouighours et d’autres minorités musulmanes y croupissent dans des « camps politiques d’endoctrinement ». Autrement dit, au nom de la lutte contre l’extrémisme religieux et pour « maintenir la stabilité sociale », la Chine a fait de la région autonome du Xinjiang un camp d’internement de masse, une zone de non droit, où des gens sont emprisonnés simplement parce qu’ils sont musulmans. Si les témoignages sur ces camps de rééducation – au programme : lavage du cerveau, obligation de manger du cochon et de boire de l’alcool, tortures et disparitions forcées – défrayaient la chronique depuis quelques mois, aujourd’hui leur existence ne fait plus de doute.

Cela ne nous étonne pas vraiment, même si le degré d’horreur frôle l’inimaginable…. En 2010, Alliance Sud et les autres ONG de la Plateforme Chine, avaient invité à Berne Rebiya Kadeer, alors présidente du Congrès ouighour mondial. C’était peu avant le lancement des négociations de l’accord de libre-échange entre la Suisse et la Chine. La célèbre militante des droits humains, nominée plusieurs fois pour le Prix Nobel de la paix, avait demandé – comme nous – que des clauses sur les droits humains soient insérées dans l’accord de libre-échange et qu’une étude d’impact soit réalisée pour s’assurer que ledit accord ne viole pas les droits des minorités, notamment. On pense par exemple aux déplacements forcés de population ou aux produits fabriqués dans des camps de travail et susceptibles d’être importés en Suisse à des conditions préférentielles, en vertu de l’accord de libre-échange. Harry Wu, un autre célèbre militant, aujourd’hui décédé, que nous avions aussi invité en Suisse, affirmait que, sur le marché mondial, de nombreux produits chinois proviennent de plus de 1’000 camps de travail forcé, où croupissent entre trois et cinq millions de personnes.

Finalement, nos revendications sont restées lettre morte. La Suisse a conclu les négociations avec la Chine en trois ans – un record ! Mais le mot « droits humains » ne figure pas une seule fois dans le texte. Certes, il y a bien un accord parallèle sur les droits du travail, mais il n’est pas exécutoire, c’est-à-dire qu’une violation éventuelle de ces droits par l’une ou l’autre partie ne peut pas faire l’objet de sanctions, contrairement aux autres parties de l’accord.

Malgré ces lacunes, la Suisse a été le deuxième pays occidental à signer un accord de libre-échange avec la Chine, après la Nouvelle-Zélande. Depuis, l’Australie et l’Islande ont suivi. L’Union européenne semble avoir abandonné les négociations. Il faut dire que dans ses accords de libre-échange elle est plus regardante sur les droits humains que la Suisse.

Au vu de ses relations commerciales privilégiées avec Pékin, Berne devrait soulever la question de la violation des droits de la minorité ouighour et s’assurer qu’aucun produit importé en Suisse ne provient de ces camps de rééducation.  Faute de quoi, elle devrait suspendre l’accord de libre-échange.